Disséquer la captivité physique et émotive

Joyce Carol Oates, Daddy Love, roman traduite de l’anglais par Claude Seban, Paris, Éditions Philippe Rey, 2016, 272 pages, 29,95 $.
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Publié 13/09/2016 par Paul-François Sylvestre

Joyce Carol Oates est l’écrivaine américaine la plus prolifique. On lui doit pas moins de 150 ouvrages dans tous les genres : romans, nouvelles, poésie, théâtre, essais, livres pour enfants. Son roman Daddy Love a été qualifié par le New York Journal of Books le qualifie de «livre à ne pas prendre à la légère». Il vient de paraître en français.

L’auteure raconte l’histoire sordide d’un pasteur pédophile qui s’en prend à des garçons âgés de 5 à 8 ans. Elle dissèque le prédateur, la victime et les parents du jeune garçon. Le sujet est lourd et le style n’est pas léger; il est parfois déroutant, voire rébarbatif.

Nous sommes au Michigan en 2006. Robbie Whitcomb, 5 ans, est enlevé dans le stationnement d’un centre commercial. Sa mère est frappée par le ravisseur au volant d’une USV. Défigurée, les jambes et les côtes brisées, elle doit réapprendre à marcher. Pendant six ans de souffrance, elle ne cesse de croire que Robbie est en vie, «elle le sait, voilà tout».

Le prédateur a 38 ans et est pasteur itinérant de l’Église de l’espoir éternel. Il se nomme Chet Cash (jeu de mots sur l’argent de la quête) et sait subjuguer l’assistance par ses sermons. C’est aussi un citoyen actif, un artiste admiré faisant commerce d’objets en macramé (fabriqués par ses proies), un homme que les femmes trouvent irrésistible.

Chaque fois que Chet Cash enlève un enfant, c’est pour l’élever comme sa progéniture. «Le garçon, le fils réincarné pour ainsi dire, devenait inévitablement plus âgé – et moins désirable». Douze ans, c’est déjà trop vieux; treize ans, c’est répugnant.

Le pasteur Cash se fait appeler Daddy Love par son fils réincarné. Dès qu’il est en sécurité dans son repaire du New Jersey, il peut «commencer sa compagne amoureuse. Ils ne feraient pas deux mais un.» Robbie Whitcomb devient Gideon Cash.

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Dompté comme un chiot, puni au moindre «aboiement», souvent forcé à passer la nuit dans un cercueil fermé (!), Gideon vit constamment dans la terreur. Plusieurs passages du roman nous emmènent aux frontières de l’horreur.

Oates écrit que «les désespérés ne cessent pas d’espérer, c’est une preuve de leur désespoir.» Deux phrases de trois mots chacune me semblent significatives à cet égard. Elle écrit: «Fils était est. Gideon était était

Certains passages montrent comment le vrai père de Robbie vit le drame. L’essence même de son âme a évidemment été anéantie au moment de l’enlèvement. Le prédateur a non seulement pris son fils, mais a fait voler en éclats «sa paternité, sa virilité, sa dignité».

Avec Daddy Love, Joyce Carol Oates dissèque la complexité d’une captivité, physique et émotive. Elle illustre tout ce qui est sous-jacent à un vécu dans l’intimité d’un monstre.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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