Écrire pour être soi-même

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Publié 25/01/2011 par Paul-François Sylvestre

Professeur émérite de l’Université d’Ottawa, essayiste et critique littéraire, le Franco-Ontarien Jean-Louis Major a signé une douzaine de livres et a collaboré à une trentaine d’ouvrages collectifs, sans compter plus de 200 articles dans des périodiques au Canada, aux États-Unis et en Europe. Il est spécialiste des littératures québécoise et française. Son tout dernier ouvrage s’intitule Appartenances et se veut un regard critique sur son cheminement d’écrivain.

Appartenances est l’ouvrage d’un universitaire, un essai qui a parfois des allures hermétiques, surtout quand il est question «d’un argument rédhibitoire…, d’une épistémologie…, d’une fonction métacritique… ou d’un métalangage critique». Le livre renferme six «pièces détachées» et je me suis arrêté, à la suggestion de l’éditeur, à la sixième pièce: Pied de nez livresque. Mon commentaire portera exclusivement sur ce fragment d’essai.

Major a beaucoup fréquenté le milieu de l’édition et il a des idées bien arrêtées au sujet des éditeurs et des auteurs. Les premiers, note-t-il, sont pour la plupart «trop paresseux ou trop ignorants pour intervenir à bon escient, ou trop pauvres pour retenir les services de lecteurs professionnels».

Quant aux seconds, ils sont «trop remplis d’eux-mêmes pour admettre qu’on puisse porter atteinte à cet objet prétendument sacré qu’est leur texte». Résultat: on continue de publier des livres qui auraient manifestement pu et dû bénéficier de corrections.

Au sujet de l’entrevue qu’un journaliste mène auprès d’un auteur qui vient de publier un nouveau livre, Major précise qu’on lui demandera immanquablement de résumer son livre ou d’en raconter l’intrigue et de dire pourquoi il l’a écrit, car, de toute évidence, le journaliste n’a pas lu l’ouvrage. Il l’avoue souvent tout de go.

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Les commentaires de Major sur les lancements de livres sont aussi coriaces qu’exacts.

Il ne se gêne pas pour dire que rares sont les invités qui achètent le livre; la plupart estiment qu’on devrait le leur offrir gratuitement parce qu’ils se sont donné la peine de se déplacer. L’auteur doit souvent s’installer derrière une table pour dédicacer son livre. «Mais comme, en principe, il faut acheter le livre pour obtenir une dédicace, l’auteur risque fort de s’ennuyer derrière sa table.» La même chose se produit dans les salons du livre.

Universitaire, Jean-Louis Major connaît les hauts et les bas de l’édition savante. Il écrit que «les universitaires publient tellement qu’ils n’ont pas le temps de lire». Ce qui importe, c’est de dire «je suis savant». Or, «on se demande si toutes ces publications ont d’autres lecteurs que ceux des comités de lecture…»

Le jugement porté par Major sur ses collègues est assez dur: «il n’y a pas à s’en faire de ce que des universitaires ne sachent pas lire, puisque de toute façon ils estiment n’avoir pas besoin de lire et n’en avoir pas le temps. Résultat: pour les quelques rares exceptions, on compte une foule d’ignares bardés de diplômes, heureux parce que satisfaits d’eux-mêmes et qui ne demandent pas mieux que de propager leur ignorance.» Et vlan!

Tout au long de son Pied de nez livresque, Jean-Louis Major nous dit qu’il a complété un manuscrit, «ce livre que j’ai par-devers moi», mais qu’il se refuse à le publier. Pourquoi? Parce que «me répugne tout ce qui entre en jeu lors de la publication et tout ce qui l’entoure et s’en prétend le prolongement ou même un aspect nécessaire».

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On pense aux entrevues, aux lancements, aux salons du livre. À un moment donné, Major écrit qu’il refuse à publier son manuscrit «par respect pour les textes et pour l’écriture; c’est parce que j’aime les livres et que je les crois essentiels à ma vie. En somme, si je me refuse à publier, c’est par dégoût. Et par amour.»

Mais ne vient-il pas de publier Appartenances? Oui, et je crois qu’il finira par publier ce livre qu’il a par-devers lui pour la simple raison que la publication, prolongeant l’écriture, fait partie de ce que Jean-Louis Major est. Il ne sait pas d’autre façon d’être lui-même.

Jean-Louis Major, Appartenances, essai en pièces détachées, Ottawa, Éditions David, 2010, 306 pages, 26,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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