À la découverte de coopératives alimentaires de Toronto

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La petite épicerie Karma Co-op, dans l'Annex, se distingue par son fonctionnement: «les clients sont les patrons». Photos: Jessica Chen, l-express.ca
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Publié 16/11/2025 par Jessica Chen

Un rayon fruits et légumes frais, quelques allées de produits alimentaires, un coin pour les produits d’hygiène… Si, à première vue, la petite épicerie Karma Co-op s’apparente à n’importe quelle autre à Toronto, c’est surtout de par son fonctionnement qu’elle se distingue. Ici, «les clients sont les patrons» prend un sens littéral.

Située dans l’Annex, entre l’avenue Palmerston et Karma Lane — allée qui doit son nom à l’épicerie — celle-ci fonctionne comme une coopérative à but non lucratif. Pour la modique somme de 50$ par année, vous en devenez membre et obtenez ainsi une voix pour décider de la manière dont le magasin est géré.

Tous les bénéfices générés par l’épicerie sont ensuite réinvestis dans la coopérative.

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Zacharie Weingarten, directeur général de l’épicerie Karma.

«L’épicerie appartient à ses membres», explique son directeur général Zacharie Weingarten. «Il n’y a donc pas de PDG ni d’actionnaires externes chez Karma Co-op.»

Nommé directeur général par le conseil d’administration il y a environ deux ans, Zacharie Weingarten gère une petite équipe constituée d’une douzaine de salariés syndiqués.

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«Tout est très démocratique. Les membres de la coopérative élisent le conseil d’administration, qui définit la stratégie et l’orientation de la coopérative.»

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Les clients qui ne font pas partie de la coopérative paient un supplément à la caisse.

À l’intérieur de l’épicerie, les prix affichés sont ceux pour les membres de la coopérative. Pour les clients non-membres, un supplément de 10% est ajouté à la caisse.

Les adhérents de Karma Co-op peuvent aussi faire du bénévolat au sein de l’épicerie et bénéficier, en échange, d’une réduction de 5% supplémentaire sur leurs courses.

L’épicerie coopérative, qui a plus de 50 ans d’histoire, compte près de 1000 membres, dont environ 800 viennent faire leurs courses ici régulièrement.

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Paul DeCampo a rejoint Karma Co-op en 1997.

Paul DeCampo, membre actif de la coopérative, y a adhéré en 1997, pour son «économie politique».

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«C’était l’occasion pour moi de faire partie d’un collectif qui joue un rôle différent, plus significatif, dans le système alimentaire, explique-t-il, qui ne se contente pas d’être passif face à ce que le système alimentaire nous offre, mais qui y participe activement.»

«Et j’adore la qualité de la nourriture», ajoute-t-il, qualifiant ce modèle alimentaire alternatif de «révolution délicieuse».

«Une révolution délicieuse»

L’épicerie propose quelque 3000 produits, dont la liste est déterminée par un comité et en se basant sur la politique mise en place par les membres.

«Nous proposons une sélection de produits axée sur les aliments locaux et issus de l’agriculture durable», explique Zacharie. «Nous ne nous contentons pas de rechercher les marques biologiques ou équitables. Nous adoptons une approche holistique en tenant compte des aspects nutritionnels, économiques, politiques et socio-économiques de tous les produits que nous proposons. »

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La coopérative privilégie des produits locaux et se base sur une politique mise en place par les membres pour faire ses choix.

Parmi les produits proposés: une sauce mexicaine de Scarborough, une bière issue d’une brasserie coopérative à London (Ontario), ou encore du kombucha fermenté à Toronto…

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Les clients sont encouragés à apporter leurs propres contenants pour réduire l’utilisation d’emballages, aussi bien pour différents types de céréales vendus en vrac, que pour de l’huile végétale, ou encore pour du savon liquide.

Une mission avant tout communautaire

Karma Co-op organise aussi régulièrement des activités telles que des ateliers de réparation ou encore des sessions de fabrication de conserves.

«Nous avons une communauté formidable ici», se félicite le directeur général. «Quand vous allez faire vos courses dans un grand supermarché, tout le monde est là pour soi-même. Ce n’est pas le cas ici.»

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Un marché où les gens se connaissent et se parlent.

«Nous parlons avec les autres clients quand nous sommes ici», renchérit Paul DeCampo. «Je pense que beaucoup de gens, en particulier ceux qui vivent seuls ou qui travaillent à domicile, n’ont peut-être pas eu de conversations en face à face de toute la journée avant de venir ici. Mais ici, on voit des visages familiers, on fait partie d’un collectif, c’est donc facile d’engager la conversation.»

Et l’esprit de communauté est aussi l’une des valeurs principales de Saint James Town Community Co-op, une autre coopérative alimentaire de Toronto.

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Un autre modèle: St. James Town Community Co-op

La coopérative communautaire St. James Town, à l’Est du centre-ville, a été créée il y a dix ans.

Josephine Grey, St. James Town Co-op
Josephine Grey.

L’idée a germé vers 2012-2013, explique sa présidente, Josephine Grey.

«Beaucoup d’habitants, majoritairement des nouveaux arrivants et des immigrants, parlaient de leurs préoccupations vis-à-vis du manque de nourriture saine, abordable et culturellement appropriée», souligne Mme Grey.

De ces discussions est alors née la conviction qu’il fallait une solution gérée et détenue par la communauté, ajoute-t-elle. Ce qui a éventuellement mené à la création d’une structure coopérative. L’adhésion à la coopérative coûte 5$ par an.

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St. James Town Community Co-op organise de nombreuses activités communautaires liées à l’alimentation.

L’une des initiatives les plus importantes de la coopérative a été de créer le «Good Food Club»: un programme d’achats groupés permettant aux résidents d’obtenir des aliments de qualité à des prix abordables.

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Les membres paient 50$ pour trois paniers de produits par mois, et la coopérative subventionne une partie du coût des produits, en plus d’aider les membres à trouver les fournisseurs, de négocier les prix, d’organiser les commandes et de répartir les produits entre les adhérents.

«Nous recherchons des sources de produits bons, sains et éthiques», souligne Josephine Grey. «Nous essayons de faire en sorte que le fait d’acheter en gros permette de faire baisser les prix, afin que nos membres puissent obtenir des aliments de haute qualité à un prix beaucoup plus abordable.»

Mais le club est plus ou moins actif selon les financements disponibles, explique la présidente de la coopérative.

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Le jardin communautaire de la Saint James Town Community Co-op dans le quartier Cabbagetown.

Saint James Town Community Co-op organise aussi des ateliers éducatifs et culturels alimentaires dans son jardin communautaire, des événements collectifs, ou encore des sorties dans des fermes locales.

Si la coopérative obtient parfois des subventions et des dons, «c’est très difficile en ce moment», affirme Josephine Grey. «Il n’y a pas beaucoup de ressources disponibles et la concurrence pour obtenir des subventions est rude.»

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Des défis partagés par Karma Co-op.

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Des recommandations du patron.

Des défis communs

«Karma a été plusieurs fois sur le point de fermer ses portes au cours de son histoire, et notamment récemment, au plus fort de la pandémie», souligne Zacharie Weingarten.

La coopérative avait alors fait sa pire année avec un déficit de plus de 100 000 $ en une seule année, affirme son directeur général. Depuis, elle enregistre des déficits chaque année, et ce n’est que l’année dernière que l’épicerie s’est rapprochée d’un flux de trésorerie positif.

«Mais c’est là où on voit aussi la résilience du modèle coopératif», affirme Zacharie. En effet, des membres ont alors soutenu la coopérative, en lui accordant des prêts et en amenant de nouveaux membres.

La situation géographique de l’épicerie lui donnant peu de visibilité, l’épicerie compte beaucoup sur le bouche-à-oreille.

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«Pour beaucoup de magasins, les gens passent devant en voiture ou à pied et y entrent par curiosité», souligne Paul DeCampo. «Nous n’avons pas souvent cette opportunité, c’est pourquoi nous avons amélioré notre signalisation et avons des plans pour les améliorer encore davantage.»

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L’épicerie coopérative Karma Co-op, créée en 1972, est installée dans ce bâtiment du quartier The Annex depuis 1979

Et le manque de visibilité représente aussi un défi de taille pour Saint James Town Community Co-op, qui loue un local abordable d’un peu plus de 160 mètres carrés à la Toronto Community Housing Corporation.

«Beaucoup de Canadiens pensent “logement” lorsqu’on leur parle de co-op, à part si vous êtes au Québec ou en Saskatchewan, où il y a davantage de coopératives agricoles», affirme Josephine Grey.

Les coopératives alimentaires: un modèle peu courant en Ontario

Félix Corriveau, directeur général d’Impact ON,  une organisation à but non lucratif qui soutient le développement d’entreprises sociales et coopératives, confirme cette observation.

«Le modèle coopératif d’épicerie est plus présent aux États-Unis et au Québec», commente-t-il. «Ce sont des endroits où, peut-être, le tissu social est tissé plus serré, et où l’économie sociale est peut-être plus forte qu’en Ontario.»

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Il rappelle que le modèle coopératif en alimentation s’est créé aux États-Unis, dans les années 70.

«Son développement dépend fortement de la mobilisation des membres et de la force sociale», explique-t-il. «Ce qui est plus compliqué à Toronto, car c’est souvent pour les gens une ville de transition.»

Félix Corriveau, DG d'Impact ON.
Félix Corriveau.

M. Corriveau affirme néanmoins que l’on constate aujourd’hui un «regain d’intérêt pour le modèle coopératif» à Toronto et à travers le monde. «Des gens se sentent laissés pour compte par les modèles économiques traditionnels.»

«Les modèles économiques sociaux, l’économie sociale, les coopératives, l’économie solidaire, c’est un rempart contre ce mouvement d’abandon, affirme-t-il, parce que justement, en remettant les gens au centre des décisions économiques de l’entreprise, tu les fédères, tu les solidarises. Donc on a tout avantage à investir dans ces modèles économiques-là.»

Impact ON organise d’ailleurs du 17 au 25 novembre sa «Semaine d’Impact», une initiative annuelle, qui, depuis 2023, met en avant les entreprises à vocation sociale.

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Cette année, la «Semaine d’Impact» prend la forme de publications sur les réseaux sociaux de «récits et de témoignages de gens qui vont vivre ces projets-là», indique Félix Corriveau.

Une campagne qui intervient alors que vient de s’achever l’«Année internationale des coopératives» proclamée par l’ONU.

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