L’histoire des Noirs contée par un aîné de la diaspora africaine à Toronto

Dans le cadre d’une série d’activités visant à marquer concrètement février, Mois de l’histoire des Noirs, les membres du Centre de vie active de CAH, au service des aînés francophones de Toronto, ont eu droit, le 22 février, à un exposé sur l’apport du peuple africain à l’humanité par Zénon Nicayenzi, qui immigrait du Burundi au Canada en 2013.

L’octogénaire habite à la Place Saint-Laurent, l’édifice à logements géré par CAH dans le quartier du St. Lawrence Market au centre-ville de Toronto.

Pas assez entré dans l’histoire?

M. Nicayenzi n’aurait pu trouver une meilleure introduction pour son exposé que le passage maladroit d’un discours de 2007 du président français Nicolas Sarkozy à Dakar: «le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire».

De sa voix posée, jetant à peine un regard sur ses notes, il a offert aux personnes présentes un survol des thèmes présentés par l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop dans son livre iconoclaste Nations nègres et culture.

Bien que publiée en 1954, sa thèse continue de faire partie des débats intellectuels et scientifiques sur l’origine de la civilisation égypto-nubienne et l’antériorité des civilisations nègres. Débats qui évoluent avec l’analyse contemporaine de l’ADN qu’on trouve encore sur les momies!

D’ailleurs, Diop relevait que les historiens ont toujours considéré l’Égypte comme une sorte de fait à part en Afrique. «On oubliait même que l’Égypte était une nation africaine.»

Le conférencier a rappelé avec un certain plaisir à son auditoire que le Nil, bien qu’associé à l’Égypte, prend sa source au Burundi.

Puis il s’est lancé dans un survol des contributions des premières civilisations ayant évolué autour du fleuve: hiéroglyphes, grandes pyramides, mathématiques, cosmologie… Autant d’apports à l’humanité qui influenceront par la suite les civilisations grecques et romaines.

Autre point de réflexion : l’impact de la sécheresse rapide du Sahara vert d’il y a 6 000 ans sur l’éclatement des premières civilisations et la mouvance des peuples et des connaissances.

L’impact mondial de la décolonisation

Rien qu’en 1960, 17 pays africains briseront le moule de la colonisation en devenant indépendants. Au 1er juillet 1962, c’est le tour du Burundi et de son frère siamois le Rwanda.

Zénon Nicayenzi se souvient encore avec grande émotion de ce jour dont il était le témoin direct. Il est devenu ministre de la Défense nationale, avec mandat de bâtir l’armée burundaise, en remplacement des militaires belges jusqu’alors en place.

Le conférencier remarque que le réveil par la décolonisation aura un impact autant sur les pays colonisateurs que sur l’Afrique. Tout comme à la suite de l’abolition de l’esclavage, l’homme doit revoir son rapport avec l’autre.

Il est fascinant de considérer qu’il aura fallu attendre encore jusqu’en 1991 pour que cesse l’apartheid en Afrique du Sud.

Avec la diaspora, la diversité

M. Nicayenzi raconte qu’il a eu le grand bonheur de lire dans L’Express de Toronto un article sur la 2e édition du Gala Ubuntu organisée par la Coalition créole Ontario. “Voilà un signe qui ne trompe pas!»

«L’Ubuntu est l’un des plus grands cadeaux que l’Afrique ait faits à cette planète.» Tel est cité Mgr Desmond Tutu (l’archevêque sud-africain ayant travaillé avec Mandela à l’abolition de l’apartheid) dans la préface du livre de sa petite-fille Mungi Nogomane publié en 2022: Ubuntu, Je suis car tu es.

Cette philosophie africaine, à laquelle adhère personnellement M. Nicayenzi dans son quotidien, a également guidé Nelson Mandela, Desmond Tutu et Barack Obama. Un bon moment pour rappeler que tous trois ont reçu le Prix Nobel de la paix.

L’Ubuntu nous invite à améliorer notre manière d’être en nous engageant auprès des autres, à nous décentrer et à toucher à l’universel en célébrant la diversité et l’intérêt commun.

S’engager en s’exprimant à tout âge

Selon Fabien Schneider, directeur général adjoint de CAH, cet événement répond tout à fait à l’ambition du Centre de vie active, de construire sur la richesse des individus.

«Quand on constate, après une présentation comme celle qu’on vient de voir, qu’il y a encore de la place pour que cette richesse puisse s’exprimer, ça fait moins peur de vieillir. C’est ça, le vieillissement actif.»

M. Schneider se dit également très satisfait de la variété des activités proposées à CAH cette année dans le cadre du Mois de l‘histoire des Noirs. De nombreuses pauses-café spéciales avec accent sur des sujets variés – musique, mode, artisanat, nourriture, ainsi qu’une présentation sur Africville à Halifax – ont été autant d’occasions de s’activer intellectuellement.

Quand aux objectifs d’activation physique, ils ont été bien servis lorsque les danseuses de Connect Burundi ont invité le public à se joindre à elles à la suite de leur spectacle offert le 24 février à CAH. Une invitation à laquelle Zénon Nicayenzi et son épouse ont répondu aussitôt!