L’itinérance au féminin: rendre visible l’invisible

Itinérance au féminin
Statistique Canada distingue deux types d’itinérance: l’itinérance sans-abri et l’itinérance cachée, qui désigne les personnes qui n’ont pas de domicile fixe, mais qui habitent temporairement chez des connaissances. Photo: Ev – Unsplash
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Publié 01/07/2023 par Eya Ben Nejm

Chaque année, environ 235 000 personnes au Canada se retrouvent en situation d’itinérance à un moment ou un autre de l’année. Parmi elles, 27% sont des femmes et un grand nombre d’entre elles font partie des itinérantes invisibles.

Céline Bellot s’intéresse à la réalité des femmes en situation d’itinérance. La professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages (ODP) remarque que les idées reçues sur la réalité des itinérantes sont nombreuses.

«Quand on en voit une, on a l’impression vraiment que c’est la déchéance. On côtoie des femmes en situation d’itinérance partout, mais sans les voir parce qu’elles ne veulent pas se faire voir», indique-t-elle.

Statistique Canada distingue deux types d’itinérance: l’itinérance sans-abri, qui définit notamment les personnes qui fréquentent les refuges ou qui dorment à l’extérieur, et l’itinérance cachée, qui désigne les personnes qui n’ont pas de domicile fixe, mais qui habitent temporairement chez des connaissances.

Itinérance au féminin
Céline Bellot. Photo: courtoisie

Se cacher pour se protéger

«Essayer de passer du temps chez l’un, chez l’autre, chez des amis, chez des familles éloignées, passer d’un endroit à l’autre», constitue la réalité de plusieurs femmes en situation d’itinérance cachée, confirme Sophie Rousseau, travailleuse en santé mentale en maison d’hébergement pour femmes en Colombie-Britannique.

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«Les femmes vont tout faire pour ne pas être dans la rue, et lorsqu’elles arrivent à la rue, elles vont tout faire pour cacher leur situation d’itinérance. Elles vont essayer de ne pas paraître dans les milieux où on a des personnes en situation d’itinérance», ajoute Céline Bellot.

Se tenir propre, invisible, ne pas transporter beaucoup de choses au risque de se faire repérer, éviter un certain nombre de lieux, notamment mixtes: tels sont les défis quotidiens auxquels beaucoup de femmes itinérantes sont confrontées, déclare la chercheuse.

Itinérance au féminin
Sophie Rousseau. Photo: courtoisie

Des hébergements inadéquats

Le Canada comptait 437 refuges d’urgence pouvant accueillir 15 185 personnes en 2021. En tout, 53 refuges étaient réservés aux femmes, 82 étaient réservés aux hommes et 161 accueillaient des hommes et des femmes.

«Le système leur impose de se débrouiller par elles-mêmes parce que même le système de l’intervention ne parvient pas à les accueillir faute de place», déclare Céline Bellot.

Dans la maison d’hébergement où elle travaille, Sophie Rousseau côtoie des femmes qui se retrouvent en situation d’itinérance cachée et sans-abri. Celles qui refusent de respecter les règles des maisons d’hébergement choisissent de rester à l’extérieur tout en accordant une grande priorité à leur sécurité.

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«Elles vont privilégier des parcs publics qui ont des petites zones nature, qui ont un certain espace entre les arbres, qui ne sont pas tendus et qui sont volontairement laissés plus ou moins dans un état simili sauvage et donc les personnes vont aller avec leur tente et camper.»

Selon elle, «une femme qui se retrouve sans logement parce qu’elle fuit la violence va rarement vouloir s’approcher d’une maison d’hébergement mixte et donc elles sont doublement pénalisées, parce que les services ne sont pas à la mesure des besoins.»

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Un campement d’itinérants derrière un des pavillons des Allan Gardens à Toronto. Photo: l-express.ca

Le cercle vicieux de la violence

«Une des voies du passage vers l’itinérance des femmes, c’est la question de sortir de la violence conjugale, qui les précipite finalement dans une perte de logement, la perte de chez soi. Il va y avoir des trajectoires aussi spécifiques de femmes qui vont avoir des problèmes de santé mentale qui ne sont pas pris en charge, non reconnus comme la dépression», constate Céline Bellot.

Une fois en situation d’itinérance, les femmes «vont être constamment dans l’hyper-vigilance, à essayer de s’assurer une sécurité tout en s’invisibilisant, poursuit-elle. Elles vont essayer constamment de travailler pour leur sécurité».

Même après avoir fui la violence dans leur propre foyer, ces femmes sont exposées à la violence de la rue.

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«Après avoir passé plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois dans la rue, elles ont toutes subi de la violence sexualisée pendant leur période dans la rue», confie Sophie Rousseau, d’après les témoignages recueillis auprès des femmes rencontrées dans la maison d’hébergement où elle travaille.

«Ce que nous on observe, c’est que les femmes se mettent en couple avec quelqu’un qui est un peu craint dans la communauté de la rue. C’est l’une des façons les plus rapides d’obtenir une protection», note-t-elle.

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L’agence torontoise Margaret’s rénove des maisons pour les femmes itinérantes. Photo: Margaret’s Housing and Community Services

Écouter ces femmes

Améliorer la condition des femmes en situation d’itinérance commence par «la reconnaissance qu’elles existent pour, par la suite, trouver des solutions qui leur sont adaptées et leur sont spécifiques», déclare Céline Bellot.

Parmi celles-ci, favoriser un environnement sécuritaire dans les centres d’hébergement mixtes, indique la professeure.

À l’échelle individuelle, la meilleure façon d’aider les femmes en situation d’itinérance est «de laisser la personne exprimer ses besoins plutôt que de les assumer et imposer nos propres préjudices et préjugés sur la personne», suggère Sophie Rousseau.

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«On a trop tendance à finalement les positionner en victime et donc à les prendre en charge comme si on savait tout sur ce qui était meilleur pour elle, alors qu’elles savent ce qu’il y a de mieux pour elles», conclut Céline Bellot.

Toronto

À Toronto, les personnes en détresse ou menacées de se retrouver à la rue peuvent s’adresser au Centre francophone du Grand Toronto. Le groupe Oasis Centre des femmes s’occupent notamment des femmes victimes de violences.

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