Biodiversité: protéger les espèces plutôt que les kilomètres

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Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, un ancien premier ministre du Portugal, inaugure la COP15 à Montréal le 7 décembre. Photo: COP15
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Publié 09/12/2022 par Pascal Lapointe

Augmenter les aires protégées est un objectif qui semble faire l’unanimité à chacun des sommets des Nations unies sur la biodiversité. Mais une augmentation devrait être basée avant tout sur la quantité de biodiversité, et non sur le nombre de kilomètres carrés.

Dans le cadre de ce sommet qui a lieu à Montréal jusqu’au 17 décembre, un chiffre circule en effet beaucoup: 30%.

En vertu de ce chiffre, l’ensemble des gouvernements devraient se donner pour objectif de doubler les aires protégées dans le monde — c’est-à-dire les zones qui sont protégées de la surpêche, de la déforestation, de l’expansion urbaine, etc. — de manière à atteindre, d’ici 2030, un total de 30% des terres et des océans.

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Le Parc national des Hautes-Terres au Cap-Breton. Photo: Marine Ernoult, Francopresse

La biodiversité, un «monument»

Lorsqu’ils abordent cette idée d’une augmentation radicale de la superficie, les experts donnent souvent en exemple l’attribution du statut de «monument national» à la région de la fosse des Mariannes, dans le Pacifique.

Le gouvernement américain avait attribué en 2009 ce statut à cette région de l’océan qui est sous sa juridiction, ajoutant d’un seul coup quelque 250 000 kilomètres carrés à la liste des aires protégées.

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Les écologistes vantent cet exemple comme un modèle à suivre. Mais le problème est que cela protège un territoire qui n’était pas soumis à beaucoup de menaces pour ses espèces marines.

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Un béluga de l’Arctique. Photo: Programme des Nations unies pour l’environnement

La qualité devrait primer sur la quantité

À l’autre extrémité du spectre, le gouvernement mexicain avait attribué la même année le statut de «parc national» à une toute petite zone d’une quarantaine de kilomètres carrés, mais qui protège le récif de corail Cabo Pulmo, dans le golfe de Californie.

Toute expansion d’une zone protégée ou d’un réseau de zones protégées devrait donc être «basée sur la biodiversité plutôt que sur la superficie totale», commente le professeur en sciences de l’environnement David Williams, de l’Université de Leeds, en Angleterre.

«L’inquiétude, c’est qu’une grosse cible comme ces 30% englobe différents objectifs.»

Des aires protégées… mais pas menacées

Williams est l’auteur principal d’une étude parue en juin dernier, qui estime que les zones actuellement protégées, même si elles étaient toutes bien gérées, ne réussiraient pas à protéger la moitié des espèces de mammifères.

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Interrogé par le magazine environnemental E360, il donne en exemple le Groenland. «De grandes parties sont protégées, mais ne sont pas menacées, alors à quoi sert vraiment cette protection?»

L’écologiste allemand Christian Hof renchérit: «l’expansion sans coordination des zones protégées peut résulter en un gaspillage de ressources».

Le gouvernement australien a ainsi ajouté en 2019 d’immenses territoires à la liste, au point où 50% des terres ont à présent le statut «protégé». Mais ne figure pas dans cette liste la Grande Barrière de corail, une des plus grandes richesses mondiales de biodiversité.

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Les coraux marins constituent de riches écosystèmes. Photo: Programme des Nations unies pour l’environnement

Maintenir la connectivité entre aires protégées

Une étude de l’évolution des zones protégées depuis 2010, parue en 2020, concluait que cette expansion «avait eu un succès limité» pour améliorer la protection «à travers différents éléments de la biodiversité».

Tous les observateurs conviennent que la valeur d’une zone protégée devrait être fonction, non de sa taille, mais de facteurs comme le nombre d’espèces qui s’y trouvent et leur rareté.

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La question de la connectivité entre deux aires protégées devrait également être prise en considération. Si un animal ne peut plus se rendre du point A au point B comme il le faisait auparavant (à cause d’une autoroute qui sépare les deux zones, ou de clôtures), on a créé un obstacle à la véritable protection de cette espèce.

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Un passage pour les animaux au-dessus de l’autoroute menant à Sault-Sainte-Marie, en Ontario. Photo: Nathalie Prézeau, l-express.ca

Des parcs «sur papier»

Le premier jet de l’entente, qui doit en théorie être signée à Montréal, contenait des efforts pour quantifier espèces ou diversité génétique. Mais plusieurs de ces efforts sont à risque d’être remplacés par des formulations plus vagues, dénonçait le mois dernier l’écologiste argentine Sandra Diaz.

Et encore faut-il s’assurer que les actuels statuts de zones protégées ou d’aires protégées remplissent bel et bien leur fonction. «Dans beaucoup de pays en voie de développement, résume le reportage de E360, des zones supposément protégées sont surtout des parcs “sur papier” avec une gestion minimale».

Et ça, c’est quand la gestion du parc n’entre pas en conflit avec les communautés locales, y compris autochtones.

C’est un paradoxe, sachant que, recherches à l’appui, on réalise à présent que la meilleure protection de la biodiversité est souvent celle qui est prise en main par les communautés locales.

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Dans le Parc national de Jasper. Photo: Camille Langlade, Francopresse

Des cibles irréalistes pour 2030

Selon une des phrases du premier jet de l’entente qui sera discutée cette semaine au sommet des Nations unies sur la biodiversité, l’objectif d’ici 2030 devrait être «d’arrêter et inverser» la perte de biodiversité.

Une cible qui, aussi bien intentionnée soit-elle, serait irréaliste. Pour renverser une telle tendance, le rythme de la nature imposerait plutôt 80 ans.

C’est ce que résume l’expert en conservation des écosystèmes marins David Obura, qui signe avec ses collègues, le 5 décembre, une analyse dans la revue scientifique One Earth. Le défi de 2030, dit-il, n’est pas seulement trop ambitieux, il est simpliste et ne tient pas compte des réalités biologiques.

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Un oiseau rare. Photo: Programme des Nations unies pour l’environnement

«Il faut du temps à des organismes pour grandir, spécialement les plus massifs comme les arbres ou les grands herbivores», rappelle Obura dans le New Scientist.

«Ça peut prendre 100 ans ou plus à un écosystème pour passer par une succession d’étapes essentielles.» Ce n’est donc pas le genre de choses que l’on peut réorganiser en huit ans.

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D’autres chercheurs partagent le même point de vue. «Une complète récupération [de la nature] n’est pas possible en seulement quelques décennies», renchérit l’écologiste britannique Tom Oliver, de l’Université de Reading.

L’objectif premier de la COP15 devrait être tout au plus d’infléchir la courbe des pertes d’écosystèmes, suggère David Obura, ce qui serait déjà un grand pas en avant.

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Dans le Parc national de Jasper. Photo: Camille Langlade, Francopresse

Vivre «en harmonie» avec la nature

À l’inverse, se fixer des cibles irréalistes — et ne pas les atteindre — pourrait même nuire aux efforts de conservation de la nature. L’incapacité des États à atteindre les 20 cibles de protection de la biodiversité fixées en 2010 en a rendu plusieurs pessimistes.

Le même brouillon de l’entente de cette année, publié en juin dernier, fixait aussi comme objectif pour les humains de vivre «en harmonie» avec la nature en 2050, une cible encore plus vague.

Une des critiques récurrentes a d’ailleurs été que les cibles en général sont trop vagues… La raison étant qu’il s’agit souvent de la seule façon d’atteindre un consensus entre tous les pays.

Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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