Vétéranes de l’armée: un long chemin vers la reconnaissance

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Le gouvernement fédéral a décidé de donner une voix aux vétéranes des Forces armées canadiennes, qui sont souvent oubliées. Photo de l'aviatrice Annabelle Marcoux: soldate Kelly-Ann Lepage, Section d’imagerie Valcartier, avec la permission des Forces armées canadiennes
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Publié 18/01/2025 par Marianne Dépelteau

Elles ont combattu pour leur pays, désormais elles se battent pour être reconnues à leur juste valeur. Bien que les choses changent, les vétéranes des Forces armées canadiennes demeurent souvent dans l’ombre et peinent à se faire entendre. Le gouvernement fédéral a décidé de les écouter.

En décembre dernier, le gouvernement fédéral a annoncé la création du tout premier Conseil des vétéranes du Canada. Ce groupe formulera des recommandations au ministère des Anciens Combattants sur les enjeux qui touchent ces femmes, longtemps passées inaperçues.

Le Conseil vise à déterminer les obstacles systémiques, à promouvoir l’équité et à améliorer les politiques, pratiques et recherches concernant la santé, les avantages et les droits des vétéranes.

Cette annonce suit la publication d’un rapport d’étude du Comité permanent des anciens combattants intitulé Plus jamais invisibles. Les expériences des vétéranes canadiennes.

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Le député bloquiste Luc Desilets. Photo: courtoisie

«C’est un monde à part, qui n’évolue pas rapidement», concède le député bloquiste et vice-président du Comité, Luc Desilets.

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L’étude a débouché sur 42 recommandations. «C’est le plus grand nombre de recommandations qu’on a jamais faites ici, poursuit l’élu. Mais c’est symptomatique, je pense, des besoins qu’elles ont. Les femmes vétéranes, comme les femmes dans l’armée, ont des besoins différents des hommes.»

«On part de très loin»

Le Conseil aura du pain sur la planche. «On part de très loin», déplore Luc Desilets. Le député a d’ailleurs fait adopter le terme «vétérane» au Parlement, afin de remplacer l’expression «femmes vétérans» qui était jusque-là utilisée.

Au Québec, cela fait environ un an que l’élu milite pour rendre accessible le mot «vétérane» sur les plaques d’immatriculation, une question qui ne se pose pas dans le monde anglophone.

«[Les plaques en français] sont identifiées avec le mot “vétéran”. Une femme qui va faire son épicerie se fait dire occasionnellement “vous féliciterez votre conjoint pour son service”. C’est blessant pour elle», raconte-t-il.

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Pour l’instant, les plaques d’immatriculation québécoises peuvent seulement afficher le mot «vétéran». Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

L’étude du comité parlementaire a permis de rassembler des témoignages percutants sur la condition des femmes dans l’armée. Par exemple, si les uniformes et équipements ont été récemment modifiés pour s’adapter au corps féminin, il reste encore du travail à faire.

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«L’équipement adapté est de plus en plus [disponible], mais pas suffisamment, note Luc Desilets. Ça va jusqu’au point où des militaires ont demandé à des médecins l’ablation des seins pour pouvoir porter le kit militaire sans souffrir.»

Le rapport du comité montre aussi que la vie après l’armée est particulièrement difficile pour les femmes. Comparativement à leurs collègues masculins, elles peinent davantage à trouver un emploi et leurs revenus sont moindres.

Quant à l’accès aux services pour vétérans tels que les demandes d’indemnisation, Luc Desilets a appris que les délais pour les femmes étaient souvent supérieurs. Toutefois, «on est en train d’atteindre un équilibre», nuance le bloquiste.

Parmi les raisons expliquant les délais, le député a entendu que les évaluations nécessaires prenaient plus de temps en cas de traumatismes sexuels, car elles nécessitent l’intervention d’un gynécologue spécialisé.

La reconnaissance, une lutte interminable

«Les gens ont souvent du mal à croire que je suis est une vétérane, que je suis allée en Afghanistan, que j’étais présente sur le terrain et qu’un engin explosif artisanal a détoné près de moi. Ils ont l’air de croire que je mens ou que je raconte l’histoire de quelqu’un d’autre.»

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Cet extrait du rapport est celui du témoignage de la capitaine à la retraite Hélène Le Scelleur. Il illustre un enjeu particulier auquel sont confrontées les vétéranes : le manque de reconnaissance, que ce soit pour la valeur du travail effectué, les séquelles, les raisons de départ ou autre chose.

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Rebecca Patterson. Photo: Sénat du Canada

Selon la sénatrice Rebecca Patterson, elle-même vétérane et témoin dans le rapport, plusieurs vétéranes ont occupé des rôles moins reconnus. «Notre définition de ce qui est le combat était très traditionnelle. Seule la personne qui tirait sur la gâchette était vraiment un soldat, un marin ou un aviateur», dit-elle en entrevue avec Francopresse.

Les infirmières, les cuisinières et les femmes à la logistique font partie de ces militaires perçues comme moins importantes, moins héroïques.

Ces femmes ont par la suite de la difficulté à aller chercher du soutien, explique la sénatrice : «Quand ces personnes deviennent des vétéranes, elles ne se voient pas vraiment comme des vétéranes. [Elles vont se dire :] “Comment pourrais-je avoir un syndrome post-traumatique? Je n’étais pas au front en Afghanistan, j’étais médecin dans une base opérationnelle avancée. J’ai des traumatismes de combat, mais ça ne compte pas vraiment. Je ne mérite donc pas de services pour les vétérans”.»

Parce que les vétéranes «ne se voient pas elles-mêmes», «on ne sait même pas combien ont besoin d’aide», constate Rebecca Patterson.

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«On a des centaines et des centaines de monuments et d’œuvres d’art pour les vétérans au Canada», observe Luc Desilets, dont la demande pour l’édification d’une œuvre d’art dédiée aux vétéranes à Ottawa a été approuvée.

«Ça peut paraître basique, mais c’est de la reconnaissance. Les femmes, globalement dans la vie, mais encore plus chez les militaires, sont dans l’ombre du travail des vétérans et des militaires.»

Un «monde d’hommes»

Aujourd’hui directrice d’une école à l’Île-du-Prince-Édouard, Julie Gagnon a passé 13 ans comme assistante médicale au sein des Forces armées canadiennes (FAC). Mère monoparentale, elle a quitté les FAC pour s’occuper de sa fille.

À son époque, les femmes dans l’armée se faisaient plutôt rares. «Dans mon temps, les G.I. Joe – tant qu’il n’y a pas eu le G.I. Jane –, les bonhommes militaires, c’était tous des hommes, dit-elle. Quand je suis entrée, c’était comme pour prouver que oui, les femmes ont une place.»

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Julie Gagnon lors du jour du Souvenir, en 1998. Photo: courtoisie

Elle constate désormais une augmentation du nombre de femmes engagées, notamment de cadettes : «C’est comme une porte d’entrée. Après ça, elles peuvent aller dans la réserve ou dans les Forces armées canadiennes. J’ai vu une évolution.»

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Néanmoins, selon elle, l’armée reste davantage un «monde d’hommes». «On associe encore beaucoup plus l’armée aux hommes qu’aux femmes, malgré qu’il y a des femmes qui sont rendues dans des hauts niveaux.»

Le portrait de la plus haute sphère des FAC a changé, remarque Rebecca Patterson. «[La plupart] des militaires sont des hommes, c’est normal qu’ils soient en position de leadership. Mais ils ont fait de la place pour les femmes, afin qu’elles puissent occuper des rôles plus séniors […], où on a une voix et où on est réellement vues et entendues.»

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