Vérification des faits : comment ne pas prêcher qu’aux convertis?

Le partenariat avec Facebook n'est pas clair pour l'usager
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Publié 03/07/2018 par Pascal Lapointe

Quel est l’impact des initiatives de vérification des faits qui se sont multipliées ces dernières années? Comment éviter que ces efforts ne prêchent qu’aux convertis? Le cinquième congrès mondial des médias vérificateurs de faits, Global Fact 5, qui avait lieu du 20 au 22 juin à Rome, avait quelques bonnes nouvelles… et une mauvaise, gracieuseté de Facebook.

Facebook: distraction

En décembre 2016, Facebook annonçait un partenariat avec cinq médias spécialisés dans le «fact-checking», dont Snopes et PolitiFact: chaque fois que l’un d’eux publierait un texte vérifiant une nouvelle préalablement marquée comme douteuse par des lecteurs, Facebook publierait ce texte conjointement au texte original, avec la mention «dispute» (contesté) ou «fact checked» (vérifié).

Or, 18 mois plus tard, selon une enquête réalisée pour Facebook par la psychologue Grace Jackson, la majorité des usagers… n’ont aucune idée de ce que cette mention signifie. Ils passent distraitement par-dessus, la confondant avec une publicité ou avec ces «articles apparentés» que le réseau social nous offre d’habitude.

Ayant testé quelques configurations différentes, Grace Jackson est arrivée au congrès avec deux modifications que Facebook devrait implanter sous peu: la mention «Fact Check» sera davantage visible (surlignée sur fond vert) et deux lignes de texte résumeront plus clairement le verdict.

Si cette étude avait de quoi dépiter les participants du congrès, en contrepartie, quelques témoignages présentés dans d’autres séances ont donné plus d’espoir à ceux qui rêvent de pouvoir mesurer l’impact de leur travail.

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Exception argentine

À une extrémité du spectre, il y a Trump pour qui tous les médias sont des «fake news». À l’autre extrémité, il y a le président argentin Mauricio Macri, dont le cabinet a envoyé au jeune média ChequeAdo le texte du discours sur l’état de l’Union qu’il s’apprêtait à prononcer, avec la liste des sources, paragraphe par paragraphe.

Lancé discrètement il y a quelques années par trois universitaires, doté d’un nouvel élan avec l’entrée de journalistes, ChequeAdo a rapidement acquis une solide réputation et son contenu est désormais repris par certains des plus grands médias argentins.

Truquage de vidéos

Depuis deux ans qu’on annonce le truquage de vidéos comme la prochaine ligne de front de la lutte aux fausses nouvelles, Denis Teyssou de l’Agence France-Presse et Aliaume Leroy de la BBC, avaient de bonnes nouvelles: leur impact reste à démontrer.

C’est que la technologie se révèle pour l’instant fort capable de détecter ces fausses vidéos — celles qui, par exemple, font dire à un politicien des choses qu’il n’a jamais dites.

Pour une raison très simple: le montage vidéo laisse des traces qui ne peuvent pas échapper à l’intelligence artificielle, comme un collage saccadé d’images, un mouvement des lèvres incohérent ou une désynchronisation entre les mots et les lèvres (comme dans un doublage). Les traces peuvent même se trouver dans le contenu: quantité anormale de phrases ultra-courtes, d’interjections…

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Pour Christian Ress, de l’Université Erlangen-Nuremberg, en Allemagne, le phénomène des fausses vidéos (aussi appelé «deep fake») ne doit pas être analysé comme «un nouveau paradigme» où on aurait inventé quelque chose qui n’existait pas auparavant, mais comme «une extension de Photoshop». Ça va bien sûr s’améliorer et la vigilance est de mise. Mais pour l’instant, dit-il, ces vidéos sont essentiellement faites par des amateurs.

L’AFP fait partie d’un consortium européen qui a développé InVid, une application qui «détecte, authentifie et vérifie la fiabilité de fichiers vidéo et de contenu vidéo diffusé par les réseaux sociaux». Ce qui ne devrait toutefois pas empêcher, souligne Teyssou, de rappeler à notre public les trucs de base: comme de vérifier, avant de partager une vidéo qui nous choque, quelle est la source…

Perceptions fautives du public

Pour accroître leur facteur d’impact, les journalistes «fact-checkers» devraient lutter contre les perceptions fautives du public, plutôt que les déclarations des politiciens. C’est du moins la proposition que leur a faite le spécialiste britannique des enquêtes d’opinions Bobby Duffy.

Dans son dernier livre The Perils of Perception — sous-titré «Pourquoi nous avons tort sur presque tout» — il insiste sur le fait que nos idées reçues et autres préjugés sont bien plus profondément ancrés dans notre cerveau que la dernière fausseté d’un politicien. Par exemple, plus de la moitié des Américains croient que le nombre de meurtres a augmenté, alors qu’il diminue depuis deux décennies; et même ceux qui savent qu’il a diminué sous-estiment la diminution.

Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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