L’homme derrière Snopes: bientôt 25 ans de vérification des faits

Snopes, l’ancêtre de tous les sites de vérification des faits, n'imaginait pas que ça pouvait devenir payant.
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Publié 22/06/2017 par Pascal Lapointe

«D’ordinaire, les gens n’argumentent pas sur des choses sur lesquelles la science n’a pas encore tranché. Ils vont plutôt argumenter sur des choses qui sont déjà décidées depuis longtemps.»

Paradoxal? Reste que David Mikkelson a une expérience unique en son genre pour poser ce jugement: il est le fondateur et le rédacteur en chef de Snopes, l’ancêtre de tous les sites de vérification des faits. Fondé en 1994, Snopes a près de 7000 textes à son actif… et reçoit 1500 courriels par jour.

«Une bonne partie des courriels sont répétitifs, ou demandent des choses qu’on a déjà couvertes.» Mais une bonne partie tourne autour de ce qui est tendance sur Twitter ou Google. «Nous ne portons pas de jugement, nous ne rejetons pas un sujet parce que c’est trop idiot, trop évident.»

Malheureusement, cela conduit à traiter souvent de choses stupides, comme une image complètement fausse et néanmoins partagée un million de fois, tandis qu’à côté, «quelque chose qui a un véritable impact sur la vie des gens», comme l’attaque au gaz en Syrie, n’attirera l’attention que d’une fraction de ces mêmes personnes.

L’Agence Science-Presse s’est entretenue avec David Mikkelson en marge du 8e congrès international sur le Web et les médias sociaux, qui avait lieu à Montréal en mai.

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Bigfoot

Snopes est né en même temps que le Web s’ouvrait au grand public, en 1994. Il s’est longtemps spécialisé dans la lutte aux légendes urbaines — de Bigfoot jusqu’aux codes censés alerter la police si vous les entrez à la place de votre NIP — avant de se mettre à pourchasser les déclarations douteuses des politiciens et les rumeurs virales du Net.

Pendant un bout de temps, c’est demeuré un hobby pour Mikkelson, dont le gagne-pain était en informatique. Il raconte avoir été le premier surpris lorsqu’il a commencé à recevoir des chèques pour la publicité sur le site. Et l’achalandage a grimpé en flèche après les attentats du 11 septembre 2001, et les multiples théories du complot qui sont venues avec.

Aujourd’hui, Snopes emploie une douzaine de personnes éparpillées à travers les États-Unis et publie plus d’une dizaine de textes par jour.

Comment le vétéran de la chasse aux fausses nouvelles vit-il l’alliance entre Facebook et quelques médias annoncée en décembre, puisque Snopes est un de ces médias? Pour Snopes, ça n’a pas du tout altéré leur façon de faire.

Réactif

Quant à savoir si ça ralentira la quantité de fausses nouvelles, il en doute. «Une partie de ce que nous faisons est en réaction. Nous réagissons seulement quand une nouvelle est déjà là. C’est d’ailleurs là le problème.»

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Comment éviter d’être uniquement «en réaction»? Il faut évidemment apprendre aux gens à développer des réflexes dont ils avaient moins besoin à l’époque où un «média» était uniquement un journal ou un bulletin de nouvelles à la télé.

Les gens doivent par exemple apprendre la différence entre une nouvelle et une nouvelle commanditée. Ils doivent se demander si le site qu’ils ont devant eux est un groupe de pression ou une firme de relations publiques — et la question va se poser, tôt ou tard avec des sites qui se prétendront eux aussi «vérificateurs de faits» sans être pour autant indépendants de leurs sources d’information.

Fausses nouvelles payantes

Comment rester optimiste après bientôt 25 ans de ce travail? «La technologie change, mais la nature humaine ne change pas.» Ce n’est pas comme si nous expérimentions quelque chose qui n’avait jamais existé auparavant, c’est juste le format qui est différent: «les gens ont toujours publié des mauvaises infos».

Certes, ça se répand avec une ampleur différente. Mais la grosse différence, révélée par cette dernière élection, c’est plutôt qu’il est maintenant possible de faire de l’argent avec ça. «Il y a 20 ans, vous n’auriez pas fait beaucoup d’argent avec un journal de fausses nouvelles.»

En conséquence, «une bonne partie de l’effort pour combattre les fausses nouvelles ira à éliminer cette motivation» financière, en ciblant les annonceurs… mais encore faut-il que les annonceurs se soucient du fait que leur pub soit sur un site catalogué «fausses nouvelles».

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Faits vs opinions

Ce qui nous amène à la question fondamentale: qu’est-ce qu’une fausse nouvelle? Chez Snopes, jusqu’à récemment, ça désignait des «trucs idiots» ou invraisemblables. Mais avec la dernière élection américaine, le terme en est venu à être utilisé à toutes les sauces, des opinions avec lesquelles on est en désaccord jusqu’à du mauvais journalisme.

Et la vérification des faits en science, elle, est-elle différente de la politique?

«C’est beaucoup plus facile, parce qu’en science, beaucoup de choses sont plus faciles à démontrer vraies ou fausses.» Il y a des études, ou des chiffres ou des expériences, au contraire des opinions politiques.

Le problème, poursuit-il, survient quand c’est un sujet politiquement controversé, comme les OGM ou la vaccination, et que les gens n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre.

Mais en général, poursuit-il, les sujets que nous abordons sont rarement de cette nature, parce que les gens nous interrogent rarement là-dessus. Un peu comme s’ils avaient tracé une ligne: si on demande à Snopes de vérifier les faits, c’est parce qu’on veut un verdict clair et net.

Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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