Une amusante histoire policière psychosociologique

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Publié 08/03/2011 par Paul-François Sylvestre

Le quatrième roman de Didier Leclair «jette une lumière révélatrice sur le Nord canadien, une lumière aux teintes boréales et aux reflets profondément humains». L’action se passe au nord du soixantième parallèle, à Misty River dans les Territoires du Nord-Ouest. Le roman s’intitule justement Le soixantième parallèle.

Le protagoniste et narrateur est Mark Finlay, agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Ce Noir de Scarborough fait équipe avec un mennonite de Calgary et mène une enquête impliquant des trafiquants de drogue. Il découvre la misère qui afflige les populations autochtones, la solidarité qui règne entre collègues de la GRC et le fait qu’«il y a dans chaque part de nous des ombres si opaques qu’il faut y plonger pour en découvrir l’éloquence et la profondeur».

Pour l’auteur, ce qui se situe au nord du 60e parallèle demeure «un autre Canada. Les problèmes sociaux n’ont rien de prioritaire. Par contre tout se déroule rapidement quand il s’agit d’ouvrir de nouvelles mines. […] Les politiciens sont des affairistes et personne ne trouve cela anormal. […] Pour dénoncer des vendeurs de drogue, il faut une détermination hors du commun, car il y une culture du silence. Tout le monde se tait à cause des liens de parenté, ou par peur de représailles.»

Le soixantième parallèle est un récit souvent léger, parfois rieur. Des données historiques ou sociologiques sont adroitement glissées tant dans les dialogues que dans la narration. On apprend, par exemple, qu’il y a environ sept pour cent de minorités visibles dans la GRC, que le taux de criminalité des Territoires du Nord-Ouest est six fois celui de la moyenne nationale et que l’Annexe 1 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances traite des opiacés, de l’opium, de l’héroïne, de la cocaïne et de la méthamphétamine.

Les policiers mènent des enquêtes et procèdent à des interrogatoires. Pour l’agent Mark Finlay, «un bon interrogatoire équivaut à de la tauromachie. Il faut laisser le suspect charger et tenter de pourfendre l’étoffe rouge du toréador sans être perforé par ses cornes.» Une fois l’interrogatoire terminé, l’agent peut sentir le besoin de prendre une douche, car il a la sensation de s’être sali en fouillant «dans les immondices de la pensée d’un criminel».

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Le meilleur chapitre du livre décrit d’ailleurs un interrogatoire subi par… Cocaïne. C’est original est très réussi. On y apprend qu’un kilogramme de cocaïne vaut environ 25 000$ en Floride et à New York, 45 000$ en Oregon et dans l’État de Washington, 85 000$ dans les quartiers branchés de Vancouver. Et une fois rendue à Yellowknife, même si la cocaïne n’est plus pure, il faut payer 45 000$ pour seulement deux cents grammes. Ce chapitre se termine par un savoureux jeu de mots: «Dites-lui de faire vite, on gèle ici» à Misty River!

L’agent Mark Finlay est en contact avec sa mère qui vit à Scarborough, «dans un condominium cossu aux environs d’Avenue Road et St-Clair Ouest. C’est un quartier chic où les dépanneurs et les comptoirs de beignes scintillent de propreté et où les chiens qu’on y promène portent en hiver des pulls coupés sur mesure.» Intéressante citation à ajouter dans mon Toronto s’écrit.

Il est souvent question d’agents de la GRC dans ce roman. Curieusement, Didier Leclair les appelle des «gendarmes», terme qui n’est pas en usage ici comme en France. Le romancier excelle, en revanche, dans des tournures de style éloquentes.

Ses comparaisons sont souvent finement ciselées; en voici un exemple: «Chaque printemps, on entend le craquement des glaces comme si se réveillait un monstre fourbu après une longue hibernation. Un Léviathan nordique courroucé par la fréquentation des riverains.» L’auteur sait aussi jouer sur les mots et les faire rimer: «Hier dans le gratin, aujourd’hui dans le pétrin.»

J’ai l’impression que, une fois la recherche effectuée, Didier Leclair s’est amusé à nous raconter cette histoire policière psychosociologique. Chose certaine, je me suis amusé à la lire.

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Didier Leclair, Le soixantième parallèle, roman, Ottawa, Éditions du Vermillon, 328 pages, 25 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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