Toronto est-elle assez intelligente pour se transformer en «ville intelligente»?

Les piétons seront au cœur de projet avec la réalisation de grandes allées qui leurs sont complètement dédiées. Photo: Sidewalk Labs
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Publié 07/11/2019 par Hosni Zaouali

Toronto est une des villes les plus dynamiques d’Amérique du Nord. Mais elle ne l’a pas toujours été. Comment est-elle passée d’une ville quelconque à une plaque tournante de la Tech en Amérique du Nord?

Le potentiel économique de Toronto a longtemps été basé sur l’industrie des mines. Sont ensuite venues les banques dans les années quarante, ce qui fait aujourd’hui de cette ville la deuxième bourse d’Amérique du Nord (mais loin derrière celle de New York).

À ses débuts, la bourse de Toronto n’avait pas bonne réputation. La spéculation de «penny stocks» y était pratique commune et attirait autant de criminels que d’hommes d’affaires en quête de fortune.

Cette industrie s’est ensuite nettoyée de l’intérieur, si bien qu’en 2007-2008, le TSX (Toronto Stock Exchange) achète la bourse de Montréal à plus de 1,3 milliard $. Sur les fondations de ce robuste système bancaire s’est ensuite construite l’industrie des assurances.

Sa démographie croît rapidement et, comprenant que ni le système bancaire ni les assurances ne pourraient employer plus de monde, Toronto a dû diversifier.

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Suivant l’exemple de New York et de la Silicon Valley, les principaux décideurs financiers et politiques ont décidé de faire de la ville un des noyaux technologiques du Canada.

Toronto a bien fait ses devoirs. La ville s’est positionnée comme un acteur incontournable de la Tech en Amérique du Nord, si bien qu’elle est devenue attrayante pour des centaines de compagnies étrangères.

Le quartier Quayside aujourd’hui. Photo: Sidewalk Labs

Après Amazon, voici Google

Après Amazon, c’est au tour de Google de flirter avec la ville, ses talents Tech venus du monde entier, ses avantages concurrentiels, sa qualité de vie, sa capacité à ouvrir les marchés africains et européens (surtout après le Brexit).

Voilà pourquoi, il y a quelques mois, Sidewalk Labs, filiale de Google, a dévoilé des plans tant attendus pour transformer le secteur riverain de Toronto en une ville intelligente axée sur les données de l’avenir.

Dans le vaste plan publié, les décideurs de Sidewalk Labs ont décrit qu’ils espéraient placer les outils de mesure technologique les plus élaborés, comme les caméras et les capteurs, au cœur de ses propositions visant à moderniser radicalement les régions de Quayside et de Villiers-Ouest à Toronto.

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Le projet est très innovant et aidera à rendre la vie quotidienne plus efficace (feux de circulation intelligents qui pourraient mesurer la vitesse à laquelle les piétons traversaient la route, «bordures dynamiques» qui pourraient s’élargir ou rétrécir en fonction de l’heure de la journée et de l’achalandage, meilleure gestion de la pollution sonore…).

Afin de réduire le trafic et d’améliorer la qualité de l’air, l’entreprise a aussi proposé de créer un «hub logistique» souterrain et un réseau de livraisons souterraines.

Sidewalk Labs a également déclaré qu’il visait à s’assurer que tous les bâtiments étaient accessibles par des pistes cyclables ou des «rues cyclables», tandis que la chaussée chauffée rendrait plus confortable le fait d’être à l’extérieur dans l’hiver glacial de Toronto.

«Ce que le plan peut réaliser est historique», a déclaré le PDG de Sidewalk Labs, Daniel Louis Doctoroff. Il pourrait avoir «un impact extraordinaire sur la vie urbaine» et être «un hub pour l’industrie de l’innovation urbaine».

M. Doctoroff a aussi déclaré que l’entreprise s’attendait à jouer «un rôle de premier plan» en investissant 900 millions $ avec des partenaires pour participer à la régénération de Quayside et Villiers West, estimée à 3,9 milliards $.

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Ce projet pourrait créer jusqu’à 1 700 logements abordables et de milieu de marché, et environ 44 000 emplois. Sidewalk Labs a également l’intention d’être l’investisseur principal dans un nouveau fonds de capital de risque de 10 millions $ pour les jeunes entreprises canadiennes axées sur l’innovation urbaine.

D’ici son achèvement vers 2040, le projet pourrait créer 93 000 emplois au total et générer 14,2 milliards $ de produit intérieur brut annuel, a déclaré Sidewalk Labs.

Projection pour la ville de Toronto et son secteur riverain d’ici 2050, selon Sidewalk Labs et son projet de «croissance inclusive». Photo: Sidewalk Labs

Vie publique vs vie privée

L’accent que Google met sur la collecte des données a également suscité des questions sur la protection de la vie privée et sur la façon dont les renseignements sur les personnes vivant et travaillant dans la région seraient recueillis, stockés et utilisés.

Nous parlons ici d’une compagnie américaine récoltant des données sur les citoyens canadiens. Malgré que ce ne soit pas une première (Facebook, LinkedIn, Fitbit le font déjà), cela suscite beaucoup d’inquiétude de la part des citoyens.

Afin d’apaiser les inquiétudes, Sidewalk Labs a proposé l’an dernier la création d’une fiducie indépendante de données urbaines pour superviser le projet. M. Doctoroff a déclaré qu’il s’attendait à ce que le projet ait «le régime de gouvernance le plus solide pour les données urbaines au monde».

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Sidewalk Labs a également réitéré qu’elle ne vendrait pas de renseignements personnels, n’utiliserait pas de renseignements personnels à des fins publicitaires, ne divulguerait pas de renseignements personnels à des tiers sans consentement explicite.

Cependant, des incertitudes subsistent, surtout lorsque Google vient d’être condamné à une amende de 170 millions $ (montant historique) pour avoir ciblé des enfants utilisant YouTube (appartenant à Google) pour des publicités purement mercantiles.

Voilà pourquoi, malgré ces tentatives de rassurer la population sur l’utilisation des données, les soupçons subsistent. Aujourd’hui Sidewalk Labs est en négociation avec la ville, les décideurs publics et la société civile de Toronto. Le projet pourrait encore tomber à l’eau si un accord n’est pas trouvé entre les différentes parties.

Le quartier Quayside compterait une dizaine d’immeubles multi-usages. Photo: Sidewalk Labs

Et les francophones dans tout cela? 

Une fois de plus, il semble que les francophones vont subir les conséquences de décisions prises en leur absence.

Une fois le projet lancé, nous pourrons évidemment nous plaindre, nous montrer indignés que cette nouvelle «Smart City» n’ait aucune composante francophone, crier au scandale que nous n’ayons pas été consultés.

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Mais peut-être serait-il pertinent de nous intéresser maintenant à ce que deviendra sûrement le fleuron canadien de la ville intelligente?

Ayant moi-même rencontré les agents de la ville responsable du développement économique et culturel, je peux témoigner de leur ouverture à la francophonie torontoise et du travail extraordinaire qu’ils font. La balle est à nouveau dans le camp francophone.

Pour les francophones, comme d’ailleurs pour les anglophones, il sera très difficile de changer les règles du jeu une fois le projet approuvé.

Une myriade de données informatiques seront collectées par une compagnie américaine sur quiconque travaille, parle, mange, fait du sport, vie, ou même passe dans le périmètre de cette nouvelle ville intelligente.

Si les francophones arrivent à se joindre à la société civile afin qu’ensemble (francophones et anglophones) nous puissions décider des règles du jeu, nous avons une chance de réellement faire partie du futur de Toronto.

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La création d’un campus innovant est programmée. Photo: Sidewalk Labs

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

«Accepter ou refuser le Google Smart City?» Si nous voulons réfléchir à cette question cruciale,  je recommanderais donc d’évaluer les facteurs clés de cette situation et d’identifier les compromis.

Dans son cours Critical Analytical Thinking à l’université Stanford (Californie), le professeur Haim Mendelson nous propose une façon systématique d’approcher ce genre de dilemme:

1. Identifier les alternatives – Accepter vs refuser le projet de Google.

2. Spécifier les objectifs – Qu’essayons-nous de faire? Revitaliser la ville? Améliorer la qualité de vie? Créer de l’emploi? Préserver votre anonymat?

3. Anticiper le résultat de chaque alternative.

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4. Évaluer chaque résultat par rapport à l’objectif de départ.

5. Choisir la meilleure alternative.

Afin de vulgariser cette réflexion, j’invite donc les lecteurs à s’exprimer sur cette question clé: sommes-nous prêts à accepter une «hyper-surveillance» afin de dynamiser la ville et le pays dans le futur?

Auteur

  • Hosni Zaouali

    Chroniqueur sur l'entrepreunariat et l'innovation. Facilitateur de cours à l'université Stanford en Californie. Fondateur du VC-BootCamp et de Tech Adaptika. Consultant pour le Fonds international pour le développement de l'agriculture.

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