Témoignage aussi déchirant que nécessaire

Jonas Gardell
Jonas Gardell, N’essuie jamais de larmes sans gants, roman traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach, Montréal, Éditions Alto, 2018, 832 pages, 22,95 $.
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Publié 23/09/2018 par Paul-François Sylvestre

Au début des années 1980, le sida est considéré comme la maladie des homos, la nouvelle peste, voire la punition de Dieu. Il n’y a pas encore de remède, juste de l’hystérie et de la terreur.

Pour décrire le milieu gai et les ravages du VIH en Suède, Jonas Gardell a écrit la trilogie N’essuie jamais de larmes sans gants. La version française a paru en 2016 et une édition québécoise format poche (832 pages) en 2018. La version anglaise se fait toujours attendre.

Interdits

La quatrième de couverture nous dit que deux jeunes hommes vont tomber amoureux malgré tous les interdits de leur milieu respectif.

Fils unique d’une modeste famille rurale, Rasmus Stahl est traité de «sale pédé» avant même qu’il sache qui il est vraiment. Benjamin Nilsson est un témoin de Jéhovah «en route pour une vie diamétralement opposée à tout ce qu’il a vécu». Ils se rencontrent à Stockholm en 1982.

Comme c’est un roman, l’auteur multiplie les intrigues ou rebondissements pour mieux décrire comment la vie peut basculer à la faveur d’une rencontre déterminante… ou prendre une direction inattendue en raison d’une épidémie. Plusieurs des personnages, certains assez colorés, font partie du collectif gai La Corneille.

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Quartier gai

Rue Church à Toronto, rue Reeperbahn à Hambourg, rue Castro à San Francisco, rue Istedgade à Copenhague, chaque grande ville à son coin gai. En 1980, à Stockholm, la rue Klara norra kyrkogata est communément appelée la Klara pornorra, comme dans porno. Plusieurs personnages du roman y rôdent, y trinquent, y draguent.

La Suède est considérée comme un pays très libéral, très ouvert, mais en 1980 le plus grand quotidien de Stockholm refusait de publier des faire-part de décès où le défunt était un homme pleuré par un autre homme.

Avec l’épidémie du sida qui gagne le pays, la une d’un quotidien clame, en 1987, qu’«il faut tatouer les séropositifs à l’aisselle, dixit un médecin suédois».

Bouc émissaire

Jonas Gardell retrace brièvement l’histoire des épidémies pour illustrer que, de tous les temps, «maladie, péché et impureté étaient étroitement liés». Le syndrome du bouc émissaire est aussi une constante qui conduit à «l’exclusion, l’isolement et la ségrégation».

Pendant au moins deux décennies, le bouc émissaire du VIH sera le pédé, l’homo, le gai.

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L’auteur rappelle les événements de Stonewall (New York, 1969) et de Harvey Milk (San Francisco, 1978) pour monter comment la libération sexuelle était si nouvelle et si fragile pour les homosexuels. Chancelants, hésitants et mal assurés, les premiers pas demeurent néanmoins déterminants.

Montagne russe d’émotions

Rasmus sort du placard lors de son 20e anniversaire chez ses parents. Par-delà le tabou, Benjamin en vient à se dire «Je… veux dans ma vie… pouvoir aimer quelqu’un… qui m’aime.» Ce quelqu’un est Rasmus.

Les parents de l’un et l’autre vivent une montagne russe de bouleversements et de questionnements. L’homosexualité et encore moins le sida ne font pas partie de leur univers ou vocabulaire.

N’essuie jamais de larmes sans gants fait état de la libération homosexuelle en Suède à l’époque de ce qu’on appelait alors le cancer gai.

Un personnage note que ceux qui sont toujours demeurés dans le placard, «ceux qui n’ont jamais laissé personne découvrir qui ils sont réellement, ceux-là, ils ne peuvent non plus révéler à personne le nom de la maladie dont ils souffrent exactement. Pour eux, c’est encore pire.»

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Hymne à la vie et à la tolérance

La quatrième de couverture indique qu’un membre du couple protagoniste tombera sous la lame de la faucheuse sida. Le livre est un magistral hymne à la vie et à la tolérance. Il s’est vendu à plus d’un demi-million d’exemplaires et a été adapté pour une série télé suédoise.

Voilà «un témoignage aussi déchirant que nécessaire, pour ne pas oublier le chemin parcouru et pour continuer d’avancer, ensemble».

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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