Qui décide de l’identité francophone?

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L’identité francophone est en pleine redéfinition au Canada. Photos: Cristiano Pereira, Médias ténois; Martin Roy, archives Le Droit; Julie Arsenault, archives Francopresse
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Publié 18/06/2025 par Francopresse

Statistique Canada a sa définition. Mais sur le terrain, l’identité francophone est un océan de nuances. Entre langue maternelle, langue apprise, participation communautaire et immigration, quelles caractéristiques donnent le droit de s’identifier comme francophone lorsque l’on vit en milieu minoritaire?

Est-ce qu’être francophone ou parler français, c’est suffisant pour déterminer une identité? «Pour certains oui, pour certains non», nuance le comédien Pascal Justin Boyer, animateur du documentaire Le dernier Canadien français.

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Pascal Justin Boyer. Photo: Kevin Fouillet

L’animateur, né au Québec et ayant grandi en Ontario, se considère aujourd’hui comme «Montréalais», puisqu’il réside à Montréal. «Mais si demain je redéménage en Ontario, c’est sûr et certain que je vais remettre mes belles pantoufles franco-ontariennes», assure-t-il.

Mais alors, qui peut donner ou s’approprier l’une des identités francophones du pays quand on vit en situation minoritaire? «C’est tellement compliqué de répondre à cette question-là», avoue-t-il.

Au-delà du code postal

Pascal Justin Boyer donne deux définitions. La première: «Si ton code postal est en Ontario et que tu parles français, tu es Franco-Ontarien».

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L’autre est plus une affaire «de cœur»: «Est-ce que tu as fréquenté une école, est-ce que tu connais ton histoire, est-ce que tu participes aux évènements, est-ce que tu milites?»

Fut un temps, la frontière de l’identité canadienne-française était assez précise: francophone, catholique «et probablement inscrit dans une paroisse, une communauté francophone», explique l’Acadien d’origine Joseph Yvon Thériault, professeur de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Journée québécoise de la francophonie canadienne
Joseph Yvon Thériault. Photo: Émilie Tournevache

Aujourd’hui, la définition généalogique ou celle de personne de «langue francophone qui habite le Canada […] pose énormément de problèmes», poursuit-il. La définition d’origine ne s’applique pas à tout le monde. De nombreuses personnes francophones du Canada sont issues de l’immigration ou ont appris le français plus tard dans leur vie.

«Moi j’identifierais le francophone aujourd’hui comme celui qui a un lien avec la communauté francophone. Soit il est allé à l’école en français, soit il a des parents francophones, soit il travaille en français, soit il participe à la communauté franco-ontarienne ou acadienne.»

La position de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) est claire: les personnes qui s’identifient comme francophones le sont. Nul besoin de militer.

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Simon Thériault. Photo: FJCF

«On a évolué dans notre définition de la francophonie, explique son président, Simon Thériault. Si on veut s’assurer de l’avenir de notre francophonie, on veut s’assurer qu’on continue à être fiers de parler français. Je pense qu’on se doit d’être inclusifs.»

«Francophones de la périphérie»

Selon Pascal Justin Boyer, plusieurs organismes élargissent la définition des personnes incluses dans la francophonie, «question qu’on ne soit pas découragés par les chiffres». «On ne se cachera pas que si on veut que ça dure, ce beau voyage-là de la francophonie au Canada, on compte beaucoup sur l’immigration», relève-t-il.

En réalité, dans certaines communautés, «les francophones et les nouveaux arrivants vont vivre en “juxtaposition”, observe Pascal Justin Boyer. On accepte qu’ils soient là, mais ils ne sont pas vraiment là à part entière, ce qui est un petit peu problématique.»

identité francophone
Leyla Sall. Photo: courtoisie

Les immigrants ont souvent l’impression d’être vus comme «des francophones de la périphérie», rapporte le professeur de sociologie à l’Université de Moncton, Leyla Sall. Il a rencontré des personnes qui se considéraient comme «des clients, comme une variable d’ajustement».

Le sociologue fait la différence entre les définitions de la population générale et les définitions officielles, qui sont, à son avis, «beaucoup plus inclusives».

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«Il y a une sorte de schizophrénie, un double discours. Dans la pratique, il y a le nationalisme ethnique qui est très présent. Mais dans les définitions officielles, symboliques, là, c’est très inclusif.»

Guillaume Deschênes-Thériault
Guillaume Deschênes-Thériault. Photo: WikiAcadie123, Wikimedia Commons

«Les identités ne sont pas fixes dans le temps», affirme pour sa part le député fédéral acadien Guillaume Deschênes-Thériault. La langue française est un point commun, mais il y a aussi la culture et l’histoire.

Pour les nouveaux arrivants, «la communauté d’accueil a un rôle à jouer pour partager notre culture, la rendre accessible aux nouveaux venus».

«Ça dépend avec qui on parle»

Pour la professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Calgary Sylvie Roy, être ou ne pas être francophone, «ça dépend avec qui on parle».

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Sylvie Roy. Photo: courtoisie

«Si on prend la définition de la francophonie mondiale ou de la francophonie en général avec le grand “F”, tous ceux qui sont nés francophones ou qui parlent français ou qui l’ont appris comme langue seconde ou langue additionnelle peuvent faire partie de cette grande francophonie internationale», observe celle qui est née au Québec, a étudié en Ontario et vit en Alberta depuis 24 ans.

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D’autres vont dire que le francophone, «c’est celui qui est né avec la langue maternelle», avec des parents eux-mêmes francophones. «Sauf que ça a changé, soutient-elle. Mes enfants sont nés à Toronto, mais ils diront qu’ils sont francophones, même si leur papa parlait anglais.»

«Certains anglophones qui apprennent le français ici, en Alberta, ne diront jamais qu’ils sont francophones», remarque-t-elle.

Tous ceux qu’elle a rencontrés, dans le cadre de ses recherches sur l’immersion en français, disent que les francophones, «c’est les autres, c’est ceux qui ont la langue [française] comme langue maternelle».

L’ambiguïté acadienne

«On est beaucoup dans l’auto-identification. Les nouveaux arrivants, les anglophones qui apprennent le français sont les bienvenus de se dire Acadiens s’ils veulent contribuer à l’Acadie», estime de son côté le président de la Société nationale de l’Acadie (SNA), Martin Théberge.

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Martin Théberge. Photo: courtoisie

À ses yeux, la définition du gouvernement fédéral selon laquelle les Acadiens et Acadiennes sont des francophones habitant au Canada atlantique n’est «pas la bonne».

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«Ça exclut plein de monde. La langue n’est pas le seul déterminant, observe-t-il. On est certes un peuple francophone, mais tous les individus ne le sont pas nécessairement.» Il prend l’exemple d’anglophones ayant perdu le français, mais s’identifiant comme Acadiens en raison de leurs origines familiales.

Le recteur de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, Kenneth Deveau, adhère à cette vision «ouverte et inclusive»: «La personne doit d’abord s’auto-identifier, mais après il y a une double reconnaissance, la communauté doit aussi la reconnaître.»

Kenneth Deveau
Kenneth Deveau. Photo: Université Sainte-Anne

«Ce n’est pas facile, car l’identité acadienne a des racines historiques et traumatiques profondes» qui remontent au Grand Dérangement et à la Déportation et qui se transmettent à travers les générations, explique-t-il.

À la SNA, Martin Théberge veut porter un message d’ouverture: les personnes immigrantes et les apprenants du français «peuvent devenir Acadiens s’ils en ont envie. Ce traumatisme n’est peut-être pas le leur, mais il a permis de créer les valeurs d’aujourd’hui auxquelles ils adhèrent».

«Les Acadiens, il y a une grande ambiguïté. On peut se définir par le territoire: les Acadiens sont ceux qui parlent français et qui sont intégrés dans le réseau de la francophonie dans les Maritimes. Ou alors on peut définir l’Acadie à partir de la mémoire de la Déportation. Elle est en Louisiane, chez les Acadiens des États-Unis, chez les Acadiens du Québec», analyse Joseph Yvon Thériault.

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Pour l’anecdote

Joseph Yvon Thériault se souvient de l’époque où Bernard Lord, enfant d’un père anglophone et d’une mère francophone, était premier ministre du Nouveau-Brunswick. «Jamais un Acadien aurait dit que Bernard Lord n’était pas un Acadien francophone», assure-t-il.

À la même époque, l’Ontario avait comme premier ministre un certain Dalton McGuinty, frère de l’actuel ministre fédéral de la Défense nationale, David McGuinty. Les deux ont un père anglophone et une mère franco-ontarienne. «[Dalton McGuinty] ne s’identifiait pas comme francophone, mais on aurait pu se l’approprier […]. Je me demandais pourquoi les Franco-Ontariens ne se l’appropriaient pas.»

Pour les politiciens, Joseph Yvon Thériault estime qu’il est préférable d’attendre qu’ils se définissent eux-mêmes comme ayant un lien d’appartenance à une communauté francophone. «Mais ça ne veut pas dire que la communauté ne peut pas faire des avances pour qu’ils le fassent.»

Choisir le français

Rachel Barber, doctorante en géographie à l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario, effectue actuellement un stage de recherche en France.

Dans une école francophone de North Bay et à l’Université Laurentienne, elle a étudié en français de la 1re année jusqu’au baccalauréat. Celle qui s’identifie pleinement comme Franco-Ontarienne a lancé un album de chansons en français. Pourtant, elle a l’anglais comme langue maternelle et est la seule personne de sa famille qui parle français.

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Rachel Barber. Photo: courtoisie

Son parcours scolaire lui a permis «de vraiment comprendre c’est quoi l’identité et l’héritage franco-ontarien», raconte-t-elle. Elle se souvient avoir choisi sa propre identité lors d’un évènement de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO): «C’était vraiment à ce moment-là que j’ai compris la partie un peu plus revendicatrice de la francophonie.»

Elle accepte que d’autres puissent avoir des critères différents. Aussi que l’on peut s’identifier comme francophone, mais pas nécessairement comme Franco-Ontarien ou Acadien. L’identité, selon elle, «c’est vraiment une question personnelle».

– Avec les informations de Julien Cayouette, Marianne Dépelteau, Marine Ernoult, Camille Langlade et Inès Lombardo.

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