Quand le verbe savoir prend le pouvoir… en Belgique

Visiter la Grand Place de Bruxelles en hiver
La Grand Place de Bruxelles est un des lieux incontournables de la ville. Photo: Alex Vasey, Unsplash
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Publié 17/05/2016 par Martin Francoeur

Chaque fois que je mets les pieds en Belgique, je porte attention au français qu’on y parle. De tous les belgicismes, le plus savoureux est sans contredit le remplacement du verbe pouvoir par le verbe savoir dans plusieurs phrases.

Je vous ai déjà fait part de mon amour pour la Belgique. J’y vais souvent. J’y ai plein d’amis et une belle-famille extraordinaire.

Le verbe savoir chez les Belges

Le phénomène «savoir = pouvoir» se produit surtout à l’oral. À l’écrit, on le dit plus rare. Certains croient qu’il s’agit d’un archaïsme, mais ce n’est pas tout à fait exact. En fait, ce sont les Belges francophones qui, en utilisant le verbe savoir pour remplacer pouvoir, assurent la survie d’un sens qui est tout à fait correct.

Des exemples? Autour de la table, un ami me demande «Martin, tu sais me passer le sel?». Bien sûr que je «sais» comment on fait pour soulever la salière et déplacer mon bras vers la gauche pour la lui tendre. Mais je dois évidemment comprendre qu’il me demande si je «peux» lui passer le sel.

Plus tard lors de ce même souper bien arrosé, une invitée fait une déclaration très lucide: «Dis, tu vas pouvoir me ramener parce qu’avec le vin, je saurai pas conduire.» Elle veut dire qu’il lui sera impossible de conduire. Ou qu’elle ne «pourra» pas conduire son véhicule.

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Belgique
La carte et le drapeau de la Belgique, situé au nord de la France et au sud des Pays-Bas.

Le verbe savoir est un belgicisme

Le Dictionnaire des belgicismes de Michel Francard mentionne que le verbe savoir est un belgicisme au sens d’«avoir la capacité de» ou «être en état de». Parmi les exemples cités, on note: «Je ne sais plus lire sans mes lunettes», «Elle ne sait pas dormir avec la fenêtre ouverte» ou «Il ne sait plus supporter d’être cloué au lit».

On l’emploie aussi avec des sujets inanimés: «Mon ordinateur ne sait plus démarrer» ou «La fenêtre ne sait plus se fermer», par exemple.

Il arrive même qu’on observe une étrange situation qui consiste à employer deux fois le verbe savoir dans une même phrase. En Belgique, il pourrait être tout à fait normal d’entendre: «On ne sait pas savoir le temps qu’il va faire».

Francard, dans son ouvrage, mentionne même que le remplacement du verbe pouvoir par le verbe savoir est un belgicisme «emblématique».

Il s’agit en fait d’un emploi attesté dès l’ancien français et qui est encore répandu en Wallonie et dans le nord de la France. L’emploi de «savoir» avec un inanimé comme sujet est, quant à lui, plus rare et plus régional.

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Grâce au flamand

Il faut fouiller un peu plus pour comprendre les raisons de la longévité toute belge de cet emploi du le verbe savoir.

Certaines sources disent que la cohabitation du flamand et du français en Belgique pourrait y être pour quelque chose.

En néerlandais (flamand), le verbe «kunnen» est utilisé aussi bien dans le sens de «savoir» que de «pouvoir». On dira donc, par exemple: «ik kan zwemmen» pour dire «je sais nager», mais aussi «ik kan vanavond komen» pour «je peux venir ce soir».

Mais avant que cela devienne un belgicisme, l’emploi de «savoir» dans le sens d’«avoir la capacité de» ou de «pouvoir» était courant en français classique. Molière, par exemple, avait fait dire à son Tartuffe la célèbre réplique: «Couvrez ce sein que je ne saurais voir».

le verbe savoir, Belgique
Décoration murale de la gare de Stockel (métro de Bruxelles): l’auteur de Tintin, Hergé, était Belge. Mais savoir ne prend jamais le sens de pouvoir dans Tintin

Nuance de culpabilité

De même, certaines expressions encore employées de nos jours contiennent le verbe savoir au sens de pouvoir, comme «tout vient à point à qui sait attendre». Quoique dans cette expression, les deux interprétations sont possibles.

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Ce qui peut surprendre, dans l’emploi de «savoir» pour dire «pouvoir», c’est la nuance de culpabilité que cet emploi peut générer et causer une certaine confusion.

Si quelqu’un dit: «Je n’ai pas su emballer le cadeau» alors que c’est parce que cette personne a manqué de temps ou n’avait pas le matériel pour le faire, on peut comprendre qu’elle n’avait pas les habiletés pour procéder à l’emballage.

Quoi qu’il en soit, et bien qu’il y ait toujours des façons plus précises d’exprimer sa pensée, l’emploi du verbe savoir au sens de pouvoir est bien vivant dans le français parlé en Belgique. Et si vous voulez mon avis, c’est tout à fait charmant.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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