Quand les Canadiens japonais ont été emprisonnés

Japonais, camps d'internement
Slocan City abritait un camp d’internement pour les Canadiens d’origine japonaise et servait de lieu de transit vers d’autres camps. C’est aussi de là que plusieurs ont été déportés au Japon. Photo: Vers 1946, Bibliothèque et Archives Canada /Japanese Canadians collection/a103565
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Publié 25/11/2023 par Marc Poirier

Il y a moins de cent ans, des milliers de personnes d’origine japonaise ont été internées de force pendant des années au Canada. Le gouvernement estimait que leur appartenance à leur pays d’origine, en guerre contre le Canada et les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, posait un risque à la sécurité nationale.

Il est difficile d’imaginer que, dans un pays comme le nôtre, où les droits de la personne constituent l’un des fondements de la société, on ait mis à l’écart presque toute une communauté ethnique dans les années 1940.

90% des Japonais au Canada

Et quand on dit «presque toute», c’est exactement ça. À l’hiver de 1942, environ 90% de la population canadienne d’origine japonaise est rassemblée et relocalisée. Pourtant, les trois quarts des membres de cette communauté sont citoyens du Canada.

L’évènement déclencheur est l’attaque japonaise qui survient le 7 décembre 1941 contre la base navale de Pearl Harbor, sur l’île d’Ohau, à Hawaii (le territoire deviendra le 50e état américain en 1959).

Le même jour, le Canada devient le premier pays à déclarer la guerre au Japon, devançant donc d’un jour les États-Unis, qui s’engagent ainsi dans le conflit mondial.

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«Ennemi intérieur»

Tout se déroule alors très vite. Dans les jours suivants, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) arrête une quarantaine de Canadiens japonais qu’elle soupçonne de liens avec l’Empire nippon.

Ensuite, les autorités saisissent tous les bateaux de pêche appartenant aux personnes d’origine japonaise, confisquent leurs caméras et radios à ondes courtes, et ferment leurs journaux ainsi que leurs écoles. Un couvre-feu leur est imposé. On craint l’ennemi de l’intérieur…

Mais ce n’est qu’un début. La situation s’envenime lorsque, le 25 décembre, les troupes japonaises capturent la garnison militaire de Hong Kong, où deux bataillons déployés par le Canada venaient d’arriver.

Les soldats canadiens et alliés qui survivent à l’attaque resteront prisonniers de guerre jusqu’en août 1945.

Japonais, camps d'internement
Dans les jours suivant l’attaque de Pearl Harbor, des centaines de bateaux de pêcheurs d’origine japonaise ont été saisies en Colombie-Britannique, dont à Stevenson (photo) Photo: Bibliothèque et Archives Canada/Fonds du ministère de la Défense nationale/a037467

Expulsion, éparpillement, dénuement

Au cours de l’hiver 1942, c’est le début du cauchemar pour les Canadiens japonais.

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Le 24 février, le cabinet fédéral adopte un décret qui permettra de déplacer, en théorie, n’importe qui… Mais qui visera spécifiquement la communauté japonaise habitant dans un territoire, appelé «zone protégée», longeant la côte de la Colombie-Britannique et s’étendant 160 kilomètres vers l’intérieur.

Environ 22 000 personnes d’origine japonaise seront évacuées de cette «zone protégée» au cours de l’année.

L’opération débute vers la mi-mars. Un premier groupe d’environ 8 000 personnes sont envoyées au parc Hastings, à Vancouver, qui servira de centre de transit. Les détenus sont logés dans de petits bâtiments utilisés habituellement pour le bétail.

De là, ils sont transportés dans des camps d’internement isolés à l’intérieur des terres en Colombie-Britannique.

Japonais, camps d'internement
Camp d’internement de Lemon Creek, en Colombie-Britannique. Photo: Jack Long, 1945, Bibliothèque et Archives Canada/ Fonds de l’Office national du film/a142853

Conditions de vie difficiles

La vie dans les camps est dure. Plusieurs familles sont installées dans des tentes ou de petites cabanes mal bâties. Bien souvent, les camps sont surpeuplés, privés d’eau courante et d’électricité. La nourriture laisse à désirer.

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Beaucoup d’hommes sont envoyés hors des camps pour construire des autoroutes dans la province, en Alberta ou en Ontario.

Quelques familles réussissent à ne pas être séparées en acceptant de travailler dans des fermes de betteraves à sucre en manque de main-d’œuvre en Alberta et au Manitoba.

Environ 700 hommes qui résistent à l’internement passeront des années dans des camps de prisonniers de guerre en Ontario, notamment à Petawawa et au camp 101, à Angler, sur la rive nord du lac Supérieur.

Confiscation et vente des biens

Au moment de l’expulsion, les autorités ont pris possession des objets personnels que les prisonniers ne pouvaient prendre avec eux et ont saisi leurs propriétés dans la «zone protégée».

Le gouvernement a créé un bureau spécial pour administrer ces biens. Le fédéral assurait alors qu’il ne s’agissait pas de les confisquer, mais de les gérer dans l’intérêt des propriétaires.

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Mais en 1943, l’«intérêt» passe des prisonniers au gouvernement. Ce dernier se donne alors le pouvoir de liquider ces biens afin de financer… l’internement des Canadiens japonais. Ironie, quand tu nous tiens…

En 1944, certaines personnes, particulièrement dans les milieux politiques de la Colombie-Britannique, commencent à demander l’expulsion définitive des Canadiens japonais.

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L’environnementaliste bien connu David Suzuki, qu’on voit ici enfant, et deux de ses sœurs ont été internés dans des camps. Photo: Bibliothèque et Archives Canada /Fonds Margaret Foster/a187835

Retourner au Japon?

Après la guerre, on offre alors aux prisonniers le choix de s’établir à l’est des Rocheuses ou d’être envoyés au Japon. Près de 10 000 d’entre eux optent pour la mère patrie.

Mais lorsque la paix survient en 1945, plusieurs changent d’idée et ne veulent plus se rendre dans un Japon dévasté par la guerre.

À priori, le gouvernement refuse ces demandes, mais en 1947, il permet aux Canadiens japonais qui sont toujours au pays de rester.

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Entre-temps, environ 4 000 des détenus ont été déportés au Japon. La moitié d’entre eux environ était née au Canada et n’avait jamais mis les pieds en terre nippone.

Le droit de vote en 1949

Plusieurs retourneront vers la côte ouest, mais ils devront recommencer leur vie à zéro.

Une commission créée en 1947 sur la confiscation et la vente des biens saisis leur donnera droit à une restitution de la valeur monétaire de leurs biens, mais elle sera minime.

D’autres choisiront de rester dans les environs des lieux où ils ont été internés ou bien ils iront s’établir dans d’autres villes, notamment à Toronto.

En 1949, ils obtiendront le droit de vote, en même temps que les Canadiens d’origine chinoise.

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Épilogue

Ce n’est que près de 40 ans plus tard que le gouvernement fédéral reconnaît ses torts.

Le 22 septembre 1988, à la Chambre des Communes, le premier ministre Brian Mulroney présente des excuses officielles à la communauté japonaise canadienne.

Une entente est conclue pour notamment verser 21 000 $ à chaque personne directement touchée par l’internement. Le gouvernement accepte aussi d’accorder la citoyenneté canadienne aux déportés et à leurs descendants.

Enfin, il met sur pied un fonds de 24 millions $ pour la création de ce qui est aujourd’hui la Fondation canadienne des relations raciales.

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