Propos machiavéliques de fonctionnaires anglo-suprémacistes

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Publié 29/05/2017 par Gérard Lévesque

Parmi la haute direction du ministère de la Justice de l’Alberta, il y a toujours eu un groupe influent de hauts fonctionnaires pour qui la langue française a un statut similaire à une langue étrangère.

Sans qu’ils en soient pleinement conscients, leur bible est le rapport de Lord Durham (1792-1840). Nommé commissaire au Canada pour étudier la situation créée par la rébellion de 1837, il parcourt le Bas-Canada comme le Haut-Canada afin de se faire une opinion sur l’état des relations entre les Britanniques et les «Canadiens» et d’en tirer des conclusions. L’émissaire britannique découvre au Bas-Canada «deux nations en guerre au sein d’un même État». Son rapport de 1839 est le fondement de l’Acte d’Union de 1840.

«Ce n’est nulle part une vertu du peuple anglais de tolérer des coutumes et des fois qui lui sont étrangères. Habituellement conscient de sa propre supériorité, il ne prend pas la peine de cacher aux autres son mépris pour leurs usages… La langue, les lois et le caractère du continent nord-américain sont anglais. Toute autre race que la race anglaise (j’applique cela à tous ceux qui parlent anglais) y apparaît dans un état d’infériorité. C’est pour les tirer de cette infériorité que je veux donner aux Canadiens notre caractère anglais.»

Ces fonctionnaires anglo-suprémacistes sont fort habiles dans l’art de manœuvrer. Ils se conduisent comme s’ils sont exemptés de respecter la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada en matière d’interprétation des droits linguistiques. Ils s’assurent que leurs subalternes suivent des directives en harmonie avec leur étroite vision.

Ils estiment que leur objectif de brimer les droits d’une minorité de langue officielle les autorise à dire ou à écrire n’importe quoi. Lorsqu’il devient trop évident qu’ils sont dans l’erreur, il n’est pas question d’admettre leur faute, encore moins de s’excuser, car cela pourrait conduire vers la voie d’une réconciliation ou d’une réparation. Ils trouvent alors un autre moyen de parvenir à leurs fins. Si cela leur semble nécessaire, ils n’hésitent pas à fournir directement ou indirectement une information incomplète ou erronée à un citoyen, à un ministre ou à un juge.

Ces quelques lignes pourraient paraître une exagération si elles n’étaient pas appuyées par des exemples concrets. L’espace qui m’est alloué me permet aujourd’hui de vous en présenter quelques-uns.

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Quelle interprétation faut-il donner du droit de chacun d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux de l’Alberta? En vue de l’audition, le 18 décembre 2008, à Calgary, d’une requête d’un juriste franco-albertain pour être autorisé par la Cour à utiliser le français dans une cause impliquant un enfant, les directives fournies à l’avocat du directeur du bien-être des enfants sont de s’opposer à l’utilisation de cette langue, de plaider qu’il n’y a aucune différence entre le français et une langue étrangère, et de prétendre que cette position du gouvernement est appuyée par un constitutionnaliste renommé (voir les pages 10 à 18 de la transcription).

La Cour suprême du Canada s’est-elle prononcée sur le droit d’utiliser le français devant les tribunaux de l’Alberta? Lors d’une audience à Red Deer, le 22 février 2016, dans le dossier de Joey Couture, le poursuivant provincial refuse la requête pour la tenue d’une audience en français et induit la Cour en erreur. Il affirme faussement que, dans le dossier Caron, la Cour suprême du Canada a décidé le 20 novembre 2015, qu’en Alberta il n’y a pas de droit à un procès en français.

Le poursuivant provincial ne profite pas d’une audience subséquente, le 24 mai 2016, pour corriger la fausse information fournie à la Cour. Le justiciable signifie donc un avis d’appel au Bureau des avocats de la Couronne, le 22 juin 2016. Ce n’est que quatre mois plus tard, alors que le mémoire de l’appelant est presque terminé, que la Couronne annonce qu’elle concède l’appel sans préjudice. La Cour du Banc de la Reine n’aura donc pas la possibilité de corriger la fausse information. Heureusement qu’il y a des gens qui n’hésitent pas à commenter cette mésinformation.

J’espère avoir prochainement le temps et l’espace de vous signaler d’autres exemples. Entre-temps, je vous invite à prendre connaissance de la vidéo du 7 décembre 2015 du professeur Harvey Mansfield, de l’Université Harvard, qui voit en Machiavel la pierre d’angle de la modernité et discute son apport original à l’histoire de la philosophie, jusque dans ses ramifications contemporaines.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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