Procès dans la langue de son choix: l’histoire se répète

Cour suprême, procès
Frank Yvan Tayo Tompouba n’ayant pas été informé de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix à temps, la Cour suprême lui a donné droit un nouveau procès, le 3 mai 2024. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse
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Publié 16/05/2024 par Marianne Dépelteau

Le 3 mai, la Cour suprême du Canada a réitéré le droit d’obtenir un procès dans la langue officielle de son choix dans l’affaire d’un Britanno-Colombien accusé d’agression sexuelle. Une décision qui fait écho à l’arrêt Beaulac de 1999. Si ce dernier a droit à un nouveau procès en français, on ignore encore ce qu’il adviendra de la victime.

Le premier procès de Frank Yvan Tayo Tompouba a eu lieu en anglais en 2019, devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Bien que le Britanno-Colombien parle anglais, il n’aurait pas été informé dès le départ de son droit d’obtenir un procès dans la langue officielle de son choix.

François Larocque
François Larocque. Photo: Valérie Charbonneau

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté sa contestation sur la base de la langue. Il s’est donc rendu en Cour suprême, qui a évoqué l’article 530 du Code criminel pour lui donner raison: il aurait dû être informé de son droit.

«C’est un droit absolu, c’est comme ça que la Cour suprême le qualifie, que de pouvoir subir son procès criminel dans la langue de son choix», explique François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa.

«Tout ce qui est fédéral, en vertu de la Constitution du pays, doit se faire dans les deux langues officielles», ajoute-t-il. «C’est la Constitution qui l’exige. La Charte canadienne des droits et libertés en l’occurrence.»

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L’histoire se répète

En 1988, le Parlement adopte des changements à la Loi sur les langues officielles qui stipulent que le français et l’anglais sont les deux langues officielles des tribunaux fédéraux.

Rapidement, les articles 530 et 530.1 du Code criminel entrent en vigueur dans toutes les provinces. L’article 530 garantit à l’accusé le droit à un procès dans la langue officielle de son choix.

Avec l’affaire Frank Yvan Tayo Tompouba, l’histoire se répète. En 1999, l’article 530 avait mené à l’arrêt Beaulac. Jean Victor Beaulac, accusé de meurtre, s’était vu refuser un procès en français. La Cour suprême avait alors évoqué l’article pour la première fois et M. Beaulac avait eu droit à un nouveau procès.

En 2008, l’article 530 est modifié afin de clarifier qu’il appartient à la Cour d’aviser l’accusé de son droit d’obtenir un procès dans la langue officielle de son choix.

Offre active

«Pour qu’un accusé soit systématiquement avisé de son droit et pour éviter qu’une autre cause comme M. Tompouba se répète, si tous les juges ont dans leur guide de procédure une note comme quoi il faut aviser chaque accusé de son droit et s’assurer qu’il a compris ce droit-là, ça règle la question», dit François Larocque.

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«Ça prend une certaine formation des juges, de la magistrature», poursuit-il. «Ça prend aussi un certain bilinguisme institutionnel pour que la Cour puisse se tourner de bord et offrir un procès dans la langue officielle du choix de l’accusé.»

Selon le professeur de droit, c’est une question d’offre active. «Il faut que le gouvernement ou l’institution ou le tribunal ou dans le cas même de l’Université d’Ottawa fasse l’offre active des droits linguistiques. Le juge doit activement offrir à l’accusé le choix.»

Un désaccord entre les cours

Dans le cas de Frank Yvan Tayo Tompouba, «il y a eu un désaccord par rapport à la caractérisation de l’erreur qui a été commise», commente François Larocque.

L’accusé a premièrement tenté de faire valoir son droit d’être informé et d’avoir un procès dans la langue de son choix devant la Cour d’appel de Colombie-Britannique.

Selon celle-ci, le fait que l’accusé n’ait pas été informé de son droit linguistique plus tôt était une erreur procédurale, plutôt mineure.

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Dans le cas de ce type d’erreur, explique François Larocque, il «faut mettre le fardeau sur les épaules de l’accusé de démontrer qu’il a subi un préjudice et qu’il y a eu une injustice qui a été commise du fait qu’il n’a pas été avisé».

Erreur de fond

Frank Yvan Tayo Tompouba a perdu cet appel, puis l’a porté en Cour suprême. Cette dernière, en désaccord avec la Cour d’appel, considérait que l’erreur commise était une erreur de fond, une erreur de droit en lien avec le Loi sur les langues officielles.

Étant donné la nature grave de l’erreur et qu’il soit question d’un droit absolu, c’était donc à l’État (à la Couronne) de démontrer qu’une injustice n’avait pas été commise à l’endroit de l’accusé. La démonstration n’ayant pas été faite de façon concluante, la Cour suprême a accordé le droit à un nouveau procès.

«Un peu comme l’arrêt Beaulac, on reconnaît que c’est un droit linguistique fondamental qui doit être pris au sérieux et, lorsqu’il ne l’est pas, les conséquences sont sérieuses», démontre François Larocque.

«Revictimisation»

«Nous reconnaissons l’importance de cette décision pour l’accès équitable à la justice pour les francophones en situation minoritaire. Cependant, la décision d’opter pour un nouveau procès à titre réparateur surprend», laisse tomber Marie Dussault, porte-parole de l’organisme Inform’Elles, par courriel.

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«Les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes agressées sexuellement qui entreprennent des actions légales sont bien documentées et on ne peut pas en ignorer les effets dissuasifs», souligne la représentante de l’organisme britanno-colombien.

Le jugement ne précise pas si la victime devra se représenter en cour lors d’un éventuel nouveau procès, mais si c’est le cas, Marie Dussault dit qu’il est «difficile de ne pas parler de revictimisation».

Accueil immigrants
Soukaina Boutiyeb. Photo: AFFC

De son côté, la directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), Soukaina Boutiyeb, se demande de quel soutien bénéficie la victime et dans quelle langue, dans le cas où la victime parlerait français.

«Y avoir accès en français, c’est très difficile», rapporte-t-elle. «[Par exemple], il n’y a pas de maison d’hébergement par et pour les femmes francophones en Colombie-Britannique.»

Soukaina Boutiyeb souligne d’ailleurs que la ligne de soutien d’Inform’Elles, disponible pour les femmes et filles francophones de Colombie-Britannique «peine à vivre. [Elle] est toujours sur le point de fermer les portes par manque de financement, avec un essoufflement des bénévoles».

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