Prêter ou ne pas prêter serment au roi, telle est la question

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La couronne britannique. Photo: AlinavdMeulen, Wikimedia Commons
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Publié 21/10/2022 par Marc Poirier

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Parti québécois brasse la cage de l’Assemblée nationale du Québec ces jours-ci. En refusant de prêter allégeance au roi Charles III, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, et les deux seuls autres candidats péquistes élus le 3 octobre dernier, ont réussi à remettre la question du serment d’allégeance à l’avant-plan de l’actualité.

Les 11 candidats élus de Québec solidaire ont eux aussi décidé de se joindre au mouvement d’opposition au serment, ce qui va augmenter la pression sur le gouvernement de François Legault.

Pour ajouter du piquant à cette affaire, précisons que, même si les députés péquistes Joël Arseneau et Pascal Bérubé se sont rangés derrière leur chef, ils ont déjà prêté allégeance à la Couronne britannique dans le passé parce qu’ils siègent à l’Assemblée nationale depuis respectivement 2018 et 2007.

Rappelons aussi que la Coalition Avenir Québec, qui forme le gouvernement, n’a pas ce serment en odeur de… royauté.

Non seulement il «ne fait l’affaire de personne», a déclaré dans la foulée de ce débat le ministre de la CAQ Simon Jolin-Barrette, mais ce gouvernement a présenté un projet de réforme parlementaire qui l’aurait rendu facultatif. La réforme n’a pas encore abouti.

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L’abolition du serment d’allégeance est-elle possible?

Mais le Québec peut-il unilatéralement abolir le serment d’allégeance au souverain? Voilà le nœud de la question.

Libellé du serment d’allégeance à l’Assemblée nationale du Québec: «Je, [nom], déclare solennellement que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté le roi Charles III.»

Le roi Charles III
Le roi Charles III. Photo: le site officiel www.royal.uk/the-king

L’obligation de prêter serment est inscrite dans la Constitution canadienne, depuis l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord, en 1867.

L’article 128 est clair: les membres du Sénat, de la Chambre des communes et des assemblées législatives (y compris de l’Assemblée nationale du Québec) doivent, «avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions», prêter le serment d’allégeance.

Le Québec peut-il se soustraire unilatéralement de cette obligation constitutionnelle? Certains le croient, mais la plupart des experts semblent penser le contraire.

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L’exigence de prêter ce serment d’allégeance découle bien sûr du fait que le souverain britannique est le chef d’État du Canada, un héritage de notre passé colonial.

L’origine du serment

Le principe d’un serment d’allégeance remonte à la nuit des temps ; dans le cas de celui à la Couronne britannique, la nuit des temps était en juin 1215, soit lors de la signature par le roi Jean — surnommé Jean sans Terre — de la célèbre Magna Carta, ou Grande charte.

Le document constituait une entente solennelle entre le souverain et les puissants barons rebelles pour mettre fin à la guerre civile.

La Charte instaurait aussi une nouveauté : l’habeas corpus. Cette disposition empêchait ce qu’on appellerait aujourd’hui, l’emprisonnement arbitraire.

En échange des concessions formulées par le roi Jean dans la Magna Carta, les barons ont renouvelé leur serment d’allégeance au monarque. La plupart des rois subséquents exigeront de la noblesse des serments de fidélité.

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C’est Elizabeth Ire qui imposera le serment pour la première fois aux députés anglais. En fait, il s’agissait d’étendre à ceux-ci l’obligation de prêter le «serment de suprématie» instauré par son père Henri VIII. Par ce serment, les députés reconnaissaient que le souverain anglais détenait le pouvoir suprême dans le royaume, autant pour les questions temporelles que religieuses.

Le serment de suprématie visait surtout à empêcher les sujets catholiques d’occuper une charge publique, à la suite de la scission de l’Église d’Angleterre avec celle de Rome.

Au tournant du 18e siècle, les autorités anglaises divisent ce serment en deux : un pour prêter allégeance au souverain et l’autre pour dénoncer le christianisme et l’autorité du pape.

Ce dernier serment, appelé aussi serment du Test, sera également en usage dans les colonies nord-américaines ; les catholiques du Canada conquis en 1759 en seront cependant exemptés par l’Acte de Québec de 1774.

Fin du serment de suprématie

C’est un Irlandais qui fera tomber le serment de suprématie. En 1828, Daniel O’Connell, nationaliste surnommé le «Libérateur», est élu à la Chambre des communes britannique. Il refuse de prêter le serment du Test, ce qui fait qu’il ne peut pas siéger.

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Le gouvernement britannique craint cependant que l’affaire ne déclenche une nouvelle rébellion irlandaise et décide d’abolir ce serment en adoptant l’Acte d’émancipation en 1829.

Dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord, ce changement de cap permettra enfin aux catholiques de siéger aux assemblées législatives, comme on l’avait déjà permis à ceux du Québec.

Mais le serment d’allégeance au souverain, lui, demeure.

Une allégeance jamais proclamée

Au Canada, cette pratique n’a pas été sérieusement contestée dans le passé. En 1875, le député George Turner Orton est élu lors d’une partielle en Ontario. L’élection est annulée en raison d’irrégularités. Il est réélu après la tenue d’un nouveau scrutin.

Au cours de la session parlementaire, on se rend compte qu’Orton n’a pas prêté le serment d’allégeance. En fait, il l’avait prêté après sa première élection et il croyait qu’il n’avait pas à le refaire.

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Un comité de la Chambre est saisi de la question. Celui-ci conclut que la Constitution ne prévoit aucune pénalité en cas d’omission de prêter le serment. Il recommande que les votes exprimés par le député avant qu’il ne prête à nouveau serment soient annulés.

En 2015, René Arseneault, un Acadien du Nouveau-Brunswick, est élu député de Madawaska-Restigouche. La question du serment refait alors surface, car 25 ans auparavant, après ses études de droit, il avait refusé de prêter le serment à la reine exigé pour être admis au Barreau du Nouveau-Brunswick.

Bien que le Barreau n’exige pas ce serment, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick refuse d’admettre René Arseneault au barreau, statuant que la pratique du serment est une convention à respecter.

Le Barreau réagit à cette affaire en faisant adopter, quelques mois plus tard, une modification à sa Loi sur le Barreau du Nouveau-Brunswick, qui spécifie que le serment au souverain est facultatif.

Ce sera la seule bataille du député. Comme la Constitution exige le serment au Parlement, René Arseneault s’y conformera, mais sans «gaité de cœur», avouera-t-il.

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Et que réserve l’avenir?

L’opposition à l’obligation de prêter serment gagne cependant en popularité. En juin dernier, un sondage Léger pour le compte de l’Association d’études canadiennes indiquait que 56% des répondants ne croyaient pas à la nécessité de prêter serment au souverain britannique.

Un autre sondage Léger, mené ce mois-ci pour le compte de l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales et de l’organisme Droits collectifs Québec, rapporte que les deux tiers des répondants québécois (71% chez les francophones) croient que les députés qui refusent de prêter le serment d’allégeance au souverain britannique devraient pouvoir siéger à l’Assemblée nationale.

Les députés rébarbatifs du Québec seront-ils les nouveaux Daniel O’Donnell? Une saga passionnante à suivre.

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