Pas de censure, pas de violence

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Publié 06/02/2017 par François Bergeron

On est habitué aux amalgames. Chaque fois qu’un terroriste islamiste mitraille un journal ou une salle de concert, fonce dans une foule avec un camion, égorge un prêtre dans son église ou abat un soldat en faction devant le Parlement, c’est toute la communauté musulmane qui est montrée du doigt et de qui on exige une autoflagellation sur la place publique.

Pour une fois que le terroriste est un Québécois pure laine islamophobe amateur d’armes à feu – un étudiant renfermé et déboussolé d’après le peu qu’on en sait – on n’allait pas rater cette occasion de briller en identifiant les «vrais» coupables: le nationalisme, la laïcité, la liberté d’expression à la radio et bien sûr Donald Trump.

Ce sont là d’autres raccourcis intellectuels stériles, même pas nouveaux pour qui lit et écoute depuis longtemps les médias canadiens-anglais, que certains des nôtres ont surpassés cette fois-ci.

Commençons par la bizarre réaction de stupéfaction de certains politiciens et commentateurs le soir de la tuerie à la Grande Mosquée de Québec: «Pas chez nous?» «Pas ici à Québec?» «Pas un Québécois qui a fait ça?»

Ben oui, le Québec n’est pas sur une autre planète. C’est une société multiculturelle, majoritairement francophone mais à part ça pas si différente de celle de l’Ontario ou de l’Ohio, branchée sur le hockey mais aussi sur l’actualité mondiale, intéressée à ses vedettes mais aussi aux grands enjeux modernes.

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Personne ne pensait que ce qui s’est passé à Orlando, Nice ou Berlin en 2016 ne pouvait pas se produire à Québec en 2017. Ces dernières années, des attentats motivées par des considérations politiques ou religieuses ont été empêchés à Toronto et ailleurs au pays. Montréal a connu des événements semblables en octobre 1970, à Polytechnique en 1989, le soir de l’élection de Pauline Marois en 2012…

Ce n’est jamais «normal», mais ce n’est jamais «impossible» non plus.

Nationalisme

La nationalisme a le dos large: il fouetterait à la fois ceux qui attaquent les minorités et ceux qui s’en prennent à la majorité. Il répond pourtant à des besoins fondamentaux d’identification à une grande famille et de simplification de la vie en société.

Les six victimes de Québec sont nées au Maroc, en Algérie, en Tunisie et en Guinée: des pays indépendants, l’objectif légitime des souverainistes québécois (le fédéralisme canadien, un pays bilingue d’un océan à l’autre, est un objectif tout aussi légitime). Ces immigrants ont fondé une mosquée à Québec et portent des vêtements distincts: c’est aussi du communautarisme, proche du nationalisme, comme nos écoles françaises à Toronto.

On comprend que les diasporas se méfient des nationalismes, surtout les juifs, victimes du plus virulent qu’on ait connu, en Allemagne nazie. Leur pays Israël est pourtant aujourd’hui le plus «nationaliste» au monde. Comme quoi le nationalisme n’est pas intrinsèquement bon ou mauvais, c’est ce qu’on en fait qui compte.

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Les vrais «citoyens du monde», ces gens qui voyagent beaucoup, parlent plusieurs langues et s’adaptent facilement à la vie dans un nouveau pays, sont encore trop rares. Le métissage est en progression exponentielle, résultat des voyages et des migrations. Un jour, le «multiculturalisme» sera peut-être la norme partout, même si, paradoxalement, il y aura probablement un plus grand nombre de «pays»: le triomphe du «penser global, agir local».

Laïcité

Le crime de Québec a relancé le débat sur la promotion de la laïcité qui aurait pu stimuler, chez le criminel, la haine des musulmans.

Ce sont eux, bien sûr, qui sont visés par les projets de loi (comme celui du gouvernement libéral de Philippe Couillard) visant à s’assurer que nos services publics soient «offerts et reçus à visage découvert» – un objectif parfaitement légitime et un compromis acceptable, selon moi, entre le multiculturalisme à tout crin de Justin Trudeau et l’interdiction des signes religieux ostentatoires du PQ ou de la France.

On a blâmé une «obsession» des Québécois pour les questions identitaires, qui empoisonnerait le discours public depuis trop longtemps: les accommodements déraisonnables, la Charte des valeurs, le serment de citoyenneté derrière le niqab…

Le problème ne vient-il pas plutôt du fait que ces questions – qui titillent d’ailleurs aussi un grand nombre de Canadiens-Anglais – n’ont pas été réglées rapidement? On voudrait bien passer à autre chose; ce sont nos politiciens, par calcul ou par couardise, qui ont procrastiné.

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Liberté d’expression

Toute phobie, par définition, est pathologique, irrationnelle, et l’acte terroriste de Québec, ce dimanche 29 janvier, est certainement un crime «islamophobe».

Mais ce ne sont pas toutes les critiques adressées aux pratiquants de l’islam qui sont irrationnelles et donc islamophobes. Cette distinction est présentement absente du débat public… sur le débat public.

Car l’autre victime du massacre de Québec, c’est la liberté d’expression, que s’est empressé de dénigrer un nombre affligeant de commentateurs professionnels – souvent les mêmes qui s’affichaient «Je suis Charlie» il y a deux ans – accusant spécifiquement certains chroniqueurs de radio de la Vieille Capitale d’entretenir la haine des musulmans et d’avoir «du sang sur les mains».

Cette bien-pensance n’a cependant rien de concret à proposer, puisque nos lois contre la diffamation, l’incitation à la haine et les menaces de mort balisent déjà correctement la liberté d’expression protégée par nos chartes. OK pour les appels à la modération, non à la censure.

Plusieurs chroniqueurs des «radios poubelles» de Québec (les médias montréalais seraient plutôt sous le joug de la «clique du Plateau») remettent régulièrement en question nos seuils toujours plus élevés d’immigrants et de réfugiés, le port du voile chez les femmes musulmanes et leurs demandes d’accommodements dans les piscines ou les écoles, l’endettement des gouvernements et les égarements de la bureaucratie, les excès des syndicalistes, des environnementalistes ou des féministes…

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Parfois la discussion est intelligente, parfois ça dérape.

Et alors? Il y a des sujets dont on ne devrait plus discuter dans les médias parce que ça pourrait inciter des chrétiens à tuer des musulmans ou vice-versa? On ne devrait plus parler d’inégalités économiques: ça pourrait exciter des militants anti-capitalistes? Pas d’environnement ou de climat non plus: certains passionnés de la planète pourraient en venir à poser des gestes désespérés? Pas d’égalité des sexes ou de sexe tout court: qui sait ce que les gens refoulent?

Désolé, le génie s’est échappé de la bouteille. Et c’est bien pire sur les réseaux sociaux, où la police québécoise s’est mise à intervenir depuis une semaine, avec des résultats plutôt comiques jusqu’à maintenant.

Une liberté d’expression maximale est toujours salutaire, même si elle comporte des risques. C’est en discutant des sujets qui nous divisent – ici l’inclusion et l’intégration des minorités dans nos sociétés – qu’on peut finir par favoriser le «vivre ensemble», pas en imposant le silence par la censure: une violence certaine d’en entraîner d’autres.

Trump

La faute à Donald Trump? Pas le temps de décortiquer toutes les «analyses poubelles» lues et entendues là-dessus.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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