La censure n’attend pas le nombre des années

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Publié 01/12/2008 par François Bergeron

Les universités, qui devraient être les derniers refuges de la liberté d’expression, en sont parfois les premiers fossoyeurs.

L’université Queen’s à Kingston fait les manchettes depuis l’annonce, le 10 novembre, de l’embauche de six étudiants « facilitateurs » chargés d’intervenir dans les conversations de couloirs pour y dénoncer toute forme de racisme ou de sexisme. Chacun de ces étudiants à temps partiel habitera gratuitement dans l’une des six résidences du campus. Ils recevront une formation en « identité sociale », « justice sociale », « communication interculturelle », etc.

L’université Queen’s, où certains étudiants jouissent d’une réputation de fêtards bruyants et grossiers, a déjà été le théâtre de quelques incidents qu’on croyait appartenir à un autre âge mais qui ne justifient pas un tel programme d’espionnage et de censure digne du KGB ou des Talibans.

Pendant ce temps, le conseil étudiant de l’Université Carleton à Ottawa est revenu en catastrophe la semaine dernière sur sa récente décision – ridiculisée dans tous les médias – de ne plus appuyer un événement au profit de la lutte contre la fibrose kystique parce que cette terrible maladie ne serait pas assez « inclusive », ne frappant que les hommes blancs… ce qui est faux. Mais même si c’était vrai, devrait-on bouder les campagne contre le cancer du sein qui affecte surtout les femmes, ou contre le cancer de la prostate? Que penser du diabète ou des maladies mentales? L’ostéoporose est-elle suffisamment « inclusive »?

Le vote à Carleton n’est pas une affaire de liberté d’expression comme l’initiative de Queen’s, mais il procède du même réflexe de censure de l’action d’individus censés compter parmi les plus intelligents et industrieux. Si une catégorie de jeunes adultes devait jouir d’une plus grande latitude que les autres, ne serait-ce pas celle des universitaires?

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Il n’y a cependant pas que des mauvaises nouvelles à rapporter du front du combat (permanent) pour les libertés: l’infâme Section 13 de la Loi canadienne des droits de la personne, qui permet au gouvernement de censurer la circulation des idées sur Internet, pourrait bientôt être abolie. C’est ce que recommande le professeur de droit Richard Moon, à qui la Commission canadienne des droits de la personne avait demandé de réfléchir sur les meilleurs moyens de réagir face à ce que d’aucuns peuvent considérer comme de la « propagande haineuse ».

La Section 13 criminalise le fait, pour une personne ou un groupe de personnes, d’utiliser les médias pour aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un « groupe identifiable ». Ça peut être les Juifs ou les Musulmans, les Autochtones ou les Noirs, les homosexuels ou les francophones… Parmi les médias, c’est surtout l’Internet qui est visée ici parce qu’on y trouve littéralement de tout, le meilleur comme le pire, et qu’il est plus difficile à réglementer.

Déjà, au printemps dernier, la Commission ontarienne des droits de la personne avait reconnu, dans l’affaire du Congrès islamique du Canada vs le magazine Maclean’s, que son propre article 13 semblable (une coïncidence) ne s’appliquait pas à des écrits qui causaient pourtant selon elle de « graves préjudices ». Cette victoire n’a pas empêché le gouvernement provincial de nommer à la Commission, cet été, 11 nouveaux membres dont l’engagement à respecter la liberté d’expression reste nébuleux.

« Le gouvernement ne devrait recourir à la censure que pour une étroite catégorie de propos extrêmes — ceux qui contiennent des menaces, ou qui préconisent ou justifient la violence contre les membres d’un groupe identifiable », indique le professeur Moon, qui recommande « d’abroger l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de sorte que la Commission et le Tribunal canadien des droits de la personne n’aient plus à traiter de propagande haineuse, notamment celle sur Internet. »

« Il faut trouver d’autres moyens que la censure », poursuit-il, « pour contrer les propos stéréotypés ou diffamatoires à l’égard de membres d’un groupe identifiable, et pour obliger les institutions, comme les médias, à rendre des comptes lorsqu’elles diffusent de telles formes de propos discriminatoires. » Or, outre la participation aux débats dans les grands médias (majoritairement acquis au respect de toutes les sensibilités), ces moyens existent déjà. Le Code criminel interdit la diffamation et les appels à la violence, notamment sur Internet: les juges ont le pouvoir d’ordonner à un fournisseur d’accès à Internet de retirer la «propagande haineuse» de son ordinateur.

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Le Code criminel est l’affaire des tribunaux « normaux » où le fardeau d’une preuve solide incombe à la poursuite, tandis que les tribunaux parallèles des droits de la personne sont opérés par des chasseurs de sorcières qui n’ont que faire de la Charte canadienne des droits et libertés parce que celle-ci protège davantage les individus que les collectivités.

Le rapport Moon, auquel ni la Commission ni le gouvernement fédéral n’ont encore réagi, est malheureusement plus nuancé que le souhaiteraient les libertariens. « Chaque province devrait mettre sur pied une équipe anti-haine composée de policiers et de procureurs généraux expérimentés pour s’occuper des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes haineux, y compris la propagande haineuse, en appliquant le Code criminel », propose le chercheur. La liberté d’expression pourrait s’en trouver encore plus menacée! Au lieu d’être poursuivis mollement devant des tribunaux bidons par des pseudo-juristes, les mal-pensants pourraient désormais être traqués plus efficacement par des vrais policiers et des vrais tribunaux. Dans un cas comme dans l’autre, la notion même qu’un citoyen puisse être étiqueté « mal-pensant » par l’État continue d’être répugnante.

Écrivant dans le Globe and Mail, un avocat du Congrès juif du Canada, dont l’activisme a contribué à la création de nos commissions et tribunaux des droits de la personne, s’est opposé à la principale recommandation du rapport Moon en soutenant que « la propagande haineuse n’est pas confinée à la promotion de la violence contre des minorités identifiables. La menace vient aussi de ce qui est implicite et insinué »… Autrement dit, les partisans de la Section 13 et d’une justice parallèle des droits collectifs veulent pouvoir continuer de criminaliser les opinions ou les intentions de leurs ennemis réels ou imaginaires.

Une société libre digne de ce nom devrait abandonner cette voie, abolir les Sections 13, voire tout le système de tribunaux parallèles des « droits de la personne », et même relaxer les lois sur la diffamation. Il est plus honorable – et plus facile – d’identifier et de contrer les idées nocives et les médias irresponsables au grand jour qu’à l’ombre de la censure.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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