Pas de 911: une réalité dans le Nord de l’Ontario

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Photo: iStock.com/MattGush
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Publié 25/06/2025 par Émilie Gougeon-Pelletier

Quand Helena Shepherd-Snider a composé le 911 pour signaler la crise cardiaque de son mari, elle a été envahie par un sentiment de panique, et pour cause… le numéro n’était pas en service. Presque 10 ans plus tard, le problème persiste dans plusieurs régions du Nord de l’Ontario.

Dans les communautés où ce numéro à trois chiffres n’est pas disponible, les gens doivent connaître quel numéro commençant par 1-800, 1-888 ou 705 appeler pour obtenir des services d’urgence.

Non seulement le numéro change d’une municipalité à l’autre, mais il est différent pour joindre les ambulanciers paramédicaux, les pompiers ou les policiers.

Helena Shepherd-Snider l‘a appris au pire moment, alors qu’elle a tenté d’appeler les services d’urgence pour son mari, Stan Snider, qui subissait une insuffisance cardiaque, en 2016.

«Et moi aussi, j’ai des problèmes de cœur, donc c’était un moment très difficile, et tellement stressant», souligne l’octogénaire, qui se souvient avoir appelé sa fille, à Sudbury, afin qu’elle puisse appeler le 911 pour elle.

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Le couple habitait à Windy Lake, au Nord-Est du Grand Sudbury, soit à l’extérieur des limites de la ville.

Alors que son mari était en convalescence, la dame s’est rendu compte que sa voisine d’à côté avait accès au service 911.

Histoires déplorables

Surnommé «le maire de Gogama», en raison de son engagement auprès de sa petite communauté où «tout le monde se connaît», Gerry Talbot raconte en avoir entendu, des histoires déplorables liées au non-accès au 911.

«Mon ami me disait justement qu’il avait essayé d’appeler, et que ça ne fonctionnait pas. Il est allé au restaurant du village, et ça ne fonctionnait toujours pas. Il a fini par sauter dans son char et il est allé voir lui-même les ambulanciers», raconte le Franco-Ontarien qui réside dans ce petit village situé entre Sudbury et Timmins.

«C’est mal commode en tabarnouche», lance-t-il.

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«D’abord, il faut savoir que le 911 ne fonctionne pas et qu’il y a des numéros à 10 chiffres. Après, ton numéro à 10 chiffres, il faut que tu l’aies proche du téléphone, parce que tu ne t’en souviens pas. Et prendre l’auto quand on est dans une situation d’urgence, ce n’est pas sécuritaire, c’est stressant. En plus, Gogama, c’est une communauté de retraités, avec beaucoup d’aînés», explique Gerry Talbot.

D’ailleurs, Helena Shepherd-Snider et Stan Snider, qui habitent maintenant dans le Grand Sudbury, ont vendu leur propriété de Windy Lake il y a trois ans, citant l’absence du 911 comme raison de ce départ.

«C’était notre résidence principale à l’époque, et à notre âge, c’était difficile de l’entretenir et d’être si loin des médecins et des hôpitaux, surtout quand on ne pouvait pas appeler le 911. Ce n’était plus possible.»

Un combat de longue haleine

C’est en entendant l’histoire de ce couple que la députée provinciale de Nickel Belt, France Gélinas, a voulu changer la donne.

France Gélinas.
France Gélinas.

«Chaque année, un répartiteur reçoit l’appel d’un enfant qui signale que sa mère a besoin d’aide, parce qu’elle lui a enseigné le numéro», raisonne la néo-démocrate du Nord de l’Ontario.

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À quatre reprises au cours des six dernières années, la députée Gélinas a déposé un projet de loi qui vise à se débarrasser de tous les numéros à 10 chiffres en cas d’urgence pour adopter le 911 et à donner à l’Ombudsman la responsabilité de faire enquête en cas de plaintes contre le système 911.

La Loi sur le 911 partout en Ontario n’a jamais été adoptée.

Un seul débat

L’initiative de cette députée franco-ontarienne a fait l’objet d’un seul débat en chambre, en mai 2019.

À l’époque, le député progressiste-conservateur Will Bouma avait noté que «la population de notre province ne peut que bénéficier de l’attention que nous portons à la chambre sur des questions aussi importantes».

«Honnêtement, les projets de loi d’initiative parlementaire ne devraient pas être nécessaires pour régler des problèmes comme celui-ci en Ontario, et pourtant, nous en sommes là», avait-il déploré.

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Mais encore aujourd’hui, plus d’une trentaine de communautés de la province ne peuvent toujours pas se contenter de composer le 911 pour obtenir de l’aide.

Chez Gerry Talbot, par exemple, il faut composer le 1-888-310-1122 si on a besoin des policiers. Il faut composer le 1-877-351-2345 pour une ambulance, et le 1-888-571-3473 pour les pompiers.

Les villages de Gogama et de Foleyet, séparés par moins de 200 kilomètres, partagent le même numéro de téléphone pour la police et l’ambulance, mais il faut composer un numéro différent, soit le 1-800-247-6603, si vous êtes à Foleyet et que vous avez besoin des services d’incendie.

Des étiquettes sur ses téléphones

Gerry Talbot a développé des tactiques pour s’assurer de pouvoir composer le bon numéro, en cas d’urgence.

«Moi, je me suis fait des étiquettes avec les trois numéros d’urgence et je les ai collées sur tous mes téléphones. Je me suis fait une petite carte, et je l’ai toujours dans mon portefeuille. On fait ce qu’il faut», dit le Franco-Ontarien de Gogama.

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Michael Kerzner.

France Gélinas souligne avoir récemment eu une discussion avec le solliciteur général de l’Ontario, Michael Kerzner, à ce sujet.

«Il m’a dit: “Je comprends, ce n’est pas facile. Je vais travailler là-dessus”. C’est le premier qui me dit qu’il va travailler là-dessus», note-t-elle.

«Je ne comprends pas que quelque chose d’aussi important que ça n’ait jamais été une priorité pour un gouvernement», déplore la députée.

Prochaine génération

Nous sommes en 2025, remarque Gerry Talbot. «On n’est plus au 19e siècle. Il est temps qu’on avance.»

Lorsque questionné à ce sujet, le gouvernement ontarien affirme avoir investi 208 millions $ «pour aider les municipalités et les centres d’intervention d’urgence à migrer vers le “911 de prochaine génération”, un nouveau système de communication d’urgence qui permet une intervention plus sûre, plus rapide et mieux informée».

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Lorsque déployé, ce système d’initiative fédérale permettra aux gens d’envoyer des textos aux services d’urgence et aux répartiteurs «d’accéder à une technologie de pointe pour garantir que l’aide est envoyée là où elle est le plus nécessaire», a indiqué au Droit un porte-parole du Solliciteur général de l’Ontario, Ryan Whealy.

N’empêche, ces nouveautés «représentent une amélioration et non une expansion du réseau actuel», indiquait la ministre de la Santé, Sylvia Jones, en octobre 2024.

Ping-pong fédéral-provincial

Par ailleurs, le secteur des télécommunications, y compris les services cellulaires, relève de la responsabilité du gouvernement fédéral, selon la province.

Les municipalités et les régies locales de services publics «doivent consulter Bell Canada pour établir l’accès au réseau 911», expliquait la ministre Jones.

«Dans certaines petites collectivités ou régions non érigées en municipalité de l’Ontario, il se peut que l’adressage municipal ne réponde pas aux normes de sécurité publique, […] qu’il n’y ait pas de service d’incendie ou qu’il y ait d’autres obstacles qui doivent être résolus à l’échelon local avant de faire appel à Bell», selon la ministre de la Santé.

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Les Snider déplorent que les instances décisionnelles qui pourraient régler le problème se renvoient ainsi la balle.

«Quand il s’agit des personnes âgées, les gouvernements nous oublient», estime Helena Shepherd-Snider.

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