Parodie québécoise sur fond franco-manitobain

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 12/10/2010 par Paul-François Sylvestre

Lorsque je suis allé au Salon du livre du Grand Sudbury, un libraire de l’Ouest canadien m’a recommandé La Maudite Québécoise, un roman de Janis Locas. L’éditeur annonce une prose bigarrée qui mêle faits historiques, réflexions cinglantes, dialogues de sourds, descriptions poétiques et régionalismes inédits. Ce sacré cocktail a de quoi empoisonner l’arrogance de la Belle Province!

La Maudite Québécoise met en scène Geneviève Morin, Lavaloise diplômée en communications, qui ne trouve pas d’emploi au Québec et qui accepte le poste de journaliste à l’hebdomadaire Le Franc, dans la région M. Comme les bureaux du journal sont situés sur le boulevard Provencher, j’ai vite deviné que M veut dire Manitoba et que l’action se déroule à Saint-Boniface. Mais cela n’est jamais précisé.

L’auteure joue avec les lettres et les mots. Le royaume Q est le Québec, le Parti Lys est le Parti Québécois et l’Association des Francos-M (AFM) est une allusion à la SFM (Société franco-manitobaine). Le Franco est, en réalité, l’hebdomadaire d’Edmonton, celui de Saint-Boniface étant La Liberté.

Il est aussi question du Festival du canot (en référence au Festival du Voyageur), de la route Trans-Pays (transcanadienne) et de Télé-Pays (sous-entendre Radio-Canada).

À mon avis, ce ne sont pas tous les lecteurs qui comprendront ces subtiles allusions.

Publicité

Seuls les lecteurs franco-manitobains remarqueront le clin d’œil que l’auteure lance à une personnalité de leur communauté. Comme la protagoniste s’appelle Morin, lorsqu’on la présente au directeur de l’AFM il lui demande si elle est «la fille du juge». Elle répond qu’elle vient du Québec.

«Ah! c’est dommage. Vous savez, monsieur Morin est un grand homme.» Il fait évidemment allusion au juge Alfred Monin.

Dès que Geneviève soumet son premier article à la directrice du Franco, elle se fait dire que le milieu minoritaire accepte mal la critique venant de son journal: «On fait tous du publireportage.

Tu es payée pour magnifier les activités communautaires.» Elle apprend aussi que «c’est bien mal vu de brasser de l’argent quand on est franco».

Le roman renferme de savoureux dialogues. Lorsque c’est une personne du Manitoba qui parle, ses répliques sont souvent émaillées d’anglicismes ou de tournures anglaises: nous croyons toujours dedans cet organisme…, arrête donc de me donner de l’attitude…, nous avons été demandés de mieux écouter à la communauté…, il est sur le board du Festival…, ça répond plus du tout un besoin…, c’est un problème qu’il faut regarder à…, il adresse le problème…

Publicité

Un des personnages occupe le poste de directrice des communications à l’AFM. Cela n’est pas surprenant lorsqu’on sait que Janis Locas a jadis rempli cette tâche à la Société franco-manitobaine. Et comme elle a aussi été agente de promotion au service d’immigration du Québec à Paris, on n’est pas surpris de lire un chapitre où des Franco-Manitobains se rendent en France pour inviter des immigrants francophones à venir s’établir dans leur province.

Un chapitre du roman traite brièvement des États généraux du Canada français, tenus à Montréal en 1967. À ces assises, les francophones du Québec s’affirment désormais comme Québécois et non plus comme Canadiens français.

Les Acadiens forment un bloc et les autres doivent se trouver un nom: Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, Fransaskois, etc. D’autres faits historiques se glissent ici et là dans la narration ou dans les dialogues, notamment au sujet de Louis Riel et de Gabrielle Roy.

Un personnage franco-manitobain porte d’ailleurs un jugement assez critique sur l’œuvre de Gabrielle Roy, née à Saint-Boniface. Selon lui, la célèbre romancière a écrit sur le Manitoba «en Français, avec une belle grammaire hexagonale. […]

Le paysage de ses livres est le nôtre, pas les mots. Une langue n’est pas vraie si elle n’est pas brutalisée comme dans la vie.» L’histoire racontée dans La Maudite Québécoise emprunte un parcours assez original (unique à mon avis). Le récit progresse sur une année complète, à partir du 24 juin, puis recule jusqu’au début. Cela surprend, mais ce n’est pas déroutant. Les pas en arrière projettent un nouvel éclairage sur ce qui a déjà été raconté.

Publicité

À l’heure où l’on exige des immigrants qu’ils s’intègrent à notre société et adoptent notre culture, comment le Québécois se comporte-t-il lui-même quand il émigre dans son propre pays?

Janis Locas répond éloquemment à cette question tout en invitant ses lecteurs à réfléchir aux relations compliquées qu’entretiennent entre eux les francophones du Canada.

Derrière la parodie se lit un amour profond pour le fait français, sous toutes ses formes.

Janis Locas, La Maudite Québécoise, roman, Montréal, Éditions Triptyque, 2010, 220 pages, 22 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur