Marguerite Andersen marie réalité et fiction

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Publié 21/11/2006 par Paul-François Sylvestre

En 1929, Louis Mathias Auger est un Franco-Ontarien de 26 ans. Député du comté fédéral de Prescott, il est accusé d’avoir violé Laurence Martel, une jeune femme de 17 ans venue demander son aide pour obtenir un emploi dans la fonction publique.

Après pas moins de cinq procès, Auger est innocenté du viol, mais condamné pour séduction et incarcéré pendant deux ans au pénitencier de Kingston. Voilà des faits historiques que Marguerite Andersen s’approprie pour inventer une intrigue qui mène ces deux personnages jusqu’au tournant des années 1950. Dans son roman Doucement le bonheur, elle marie allègrement réalité et fiction.

Qu’advient-il de Louis Auger et de Laurence Martel après le drame de février 1929? La romancière ne s’en soucie pas et crée de toute pièce une vie fictive pour ses deux protagonistes, de 1930 à 1950. Les archives nous indiquent, pourtant, que Auger a tenté de se faire réélire député de Prescott en 1935, sans succès, et qu’il s’est fait élire maire de Hawkesbury en 1936, pour un mandat d’un an.

La romancière choisit, elle, de peindre plutôt un portrait psychologique où revivent les ambiances de l’époque. Ce portrait nous conduit tour à tour à Hawkesbury, Ottawa, Kingston, Toronto, Montréal, Paris, Londres, Berlin, et Biddeford Pool, en Nouvelle-Angleterre.

De la page 17 à la page 60, la romancière relate le triste incident de février 1929 et les nombreux procès auxquels il a donné lieu. Elle écrit: «Un député fédéral condamné à neuf ans de prison pour avoir violé une jeune fille de la classe ouvrière, jamais encore le Canada n’avait vécu un tel événement! Était-ce parce que le crime avait eu lieu dans l’enceinte du Parlement? Était-ce parce qu’un jury entièrement anglophone – chose qui n’aurait pas été possible au Québec ou au Manitoba – avait trouvé le jeune francophone bien trop arrogant?» La romancière note que le quotidien d’Ottawa, Le Droit, voit dans l’exclusion de jurés francophones «l’un des faits les plus remarquables de ce procès».

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L’auteure se demande pourquoi la justice s’est acharnée à poursuivre «un homme établi au profit de la réputation d’une femme prolétaire». Marguerite Andersen reconnaît que l’époque n’est pas connue pour sa justice vis-à-vis des femmes, puis elle pose la question suivante: «Si le séducteur avait été de langue anglaise, l’aurait-on poursuivi par un procès après l’autre, jusqu’à ce qu’on obtienne une condamnation?» Ce filon n’est malheureusement pas davantage exploité.

Laurence Martel a été violée, mais Louis Auger est trouvé coupable de séduction. Laurence est la victime, mais elle se sent coupable. Elle se demande si elle n’a pas posé un geste visant à obtenir la faveur d’un homme. Est-elle une fille légère, une délurée, une dévergondée? Même après avoir changé de prénom et s’être exilée à Toronto, elle se considère «la brebis noire». L’exil l’a coupée de sa famille à Hawkesbury. Elle n’est pas mariée, elle travaille en anglais, elle pratique le sport, elle ne ressemble en rien aux Canadiennes françaises de son époque.

À noter que le portrait de la Ville-Reine dans les années 1930 revêt, ici, un riche coloris.

Le roman de Marguerite Andersen nous conduit dans plusieurs localités ontariennes, puis en Nouvelle-Angleterre, en France et en Allemagne. L’auteure a de toute évidence effectué une recherche minutieuse et a rassemblé une foule de données en feuilletant les journaux d’époque.

Avec le résultat que le récit romanesque sent parfois un peu trop les fouilles archivistiques. A-t-on besoin de savoir qu’une paire de bas de soie se vend 75 sous, que des chaussures coûtent aussi peu qu’un dollar, qu’on peut trouver un imperméable pour 2,50 $, que le porc coûte vingt cents la livre, alors que le steak, à vingt-neuf cents, est réservé pour les grandes occasions?

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Doucement le bonheur est un roman qui suit deux êtres profondément marqués par une tragédie, deux êtres qui refont leur vie selon l’imaginaire d’une romancière, des êtres qui finissent par vivre heureusement «la plupart du temps, dans leur vie individuelle. Autant qu’il est possible de l’être dans un monde si souvent troublé.»

Marguerite Andersen est partie d’un fait divers, c’est-à-dire d’un événement peu connu de ses lecteurs et lectrices, et s’en est éloignée pour concevoir les conditions d’un bonheur doucement échafaudé, comme la vie quotidienne le permet souvent.

Marguerite Andersen, Doucement le bonheur, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 200 pages, 20 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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