Liberté 55: un slogan implanté dans l’imaginaire collectif

Liberté 55, retraite
La retraite peut vouloir dire des choses bien différentes de nos jours. Photo: Wikimedia Commons, Attribution Share-Alike 4.0 International
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Publié 20/04/2024 par Marc Poirier

«Aujourd’hui, c’est Pepsi.» «On trouve de tout, même un ami.» «Il est parti prendre son Bovril.» Il y a de ces slogans publicitaires qui collent à la peau collective. Mais peu ont frappé autant l’imaginaire et sont devenus une aussi grande référence culturelle que «Liberté 55».

En fait, Liberté 55 n’était pas un slogan, mais un produit de la compagnie d’assurance vie London Life lancé en 1984, il y a 40 ans cette année.

À l’époque, la majorité des gens estimaient devoir travailler jusqu’à 65 ans avant de pouvoir prendre leur retraite, puisque c’est à cet âge qu’on commence habituellement à toucher les prestations du Régime de retraite du Canada et obligatoirement celles de la «pension de vieillesse».

La campagne de publicité de la London Life faisait miroiter une retraite 10 ans plus tôt que ce à quoi le commun des mortels s’attendait.

Liberté 55, retraite
L’ancien siège social de la compagnie d’assurance London Life à London, en Ontario. Photo: Wikimedia Commons, Attribution Share-Alike 2.0 Generic

Rencontrer son futur soi

Liberté 55 était une police d’assurance vie dans laquelle il était possible d’investir afin de s’assurer d’un revenu qui – à en croire l’assureur – permettait de prendre sa retraite à 55 ans.

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À compter de 1989, différentes publicités sont diffusées afin de promouvoir le produit, chacune avec le même message.

Dans l’une d’elles, un homme court pour essayer d’attraper son autobus pour se rendre au travail quand il est soudainement projeté dans le futur. À son «futur lui», qui fait du jogging sous les palmiers et le soleil du Sud, il demande: «La retraite [à 55 ans], comment on a pu se payer ça?» «Avec Liberté 55», se fait-il répondre.

Et dire que c’était un an avant la sortie du film Retour vers le futur. Prémonitoire? Avant-gardiste? Non, simple coïncidence.

Liberté 55, retraite
Plusieurs manifestations ont eu lieu ces dernières années en France contre le report de l’âge légal de la retraite à 64 ans. La réforme a finalement été adoptée en 2023. Photo: Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Générique.

Ancré dans la psyché collective

On ignore combien de clients ont souscrit à cette police d’assurance vie et encore moins combien ont réussi à réaliser le rêve d’une retraite précoce. Mais côté marketing, Liberté 55 était dans les ligues majeures, autant dans le marché anglophone (Freedom 55) que francophone.

Les publicités ont été présentées au petit écran pendant 25 ans.

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Le succès a été tel qu’en l’an 2000, la compagnie London Life rebaptisait sa division de planification de la sécurité financière du nom de «Financière Liberté 55». Cette division a eu une longue vie elle aussi, mais n’a pas survécu longtemps à la fusion, en 2020, de la London Life avec les compagnies Great-West et Canada Vie.

Aujourd’hui, le nom est presque disparu, sauf pour quelques conseillers financiers indépendants qui l’utilisent comme marque de produit. À son tour, Liberté 55 a pris sa retraite. Elle n’a même pas attendu d’avoir 55 ans…

Liberté 55 est morte, vive Liberté 55!

Mais si la marque n’est plus, son âme vit toujours dans la culture générale. Le slogan – qui n’en était pas un – est devenu une référence pour parler de retraite anticipée. Le symbole du rêve d’atteindre plus rapidement une liberté financière pour mieux jouir de la vie, vivre ses passions, fuir le «9 à 5»…

Mais Liberté 55 a eu et a encore beaucoup de détracteurs, qui lui reprochent de n’être qu’un mythe, qu’un rêve inaccessible. Alors même que la Financière Liberté 55 existait toujours, la société naviguait en sens inverse.

En 2007, l’âge de référence de la retraite s’établissait toujours à 65 ans, même que le taux d’activité des Canadiens de 65 ans et plus était de 9%, alors qu’il était de 7% en 1994.

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Eugène Delacroix
La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix. Une autre image de la liberté. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Insécurité financière

Certaines études indiquent qu’en 2020, environ 42% des Canadiens planifiaient prendre leur retraite à 65 ans. Un an plus tard, leur proportion était descendue sous les 38%.

Avec l’espérance de vie qui rallonge, l’insécurité financière qui règne et la pénurie de main-d’œuvre qui ne cesse de s’aggraver, de plus en plus de travailleurs affirment qu’ils resteraient en poste au-delà de l’âge symbolique de la retraite – 65 ans – s’ils pouvaient réduire le nombre d’heures au travail ainsi que le stress ou encore les exigences physiques de leurs tâches.

Le concept de retraite a aussi changé. L’idée de vivre au soleil ou à la campagne à ne rien faire ne tient plus. Prendre sa retraite signifie de plus en plus entreprendre une nouvelle carrière plus satisfaisante et avec un horaire plus souple.

Une liberté qui mène à la mort?

Dans un récent article du journal Le Devoir, le grand homme de cinéma québécois et des médias Fernand Dansereau, âgé de 96 et encore plein de projets en tête, disait avoir une piètre opinion du fameux slogan des années 1980.

«Liberté 55? C’est des affaires de compagnie d’assurances. Ça conduit tout droit au cimetière. Tu vas en voyage dans un tout-inclus. Tu reviens chez vous, qu’est-ce que tu fais? T’attends que quelque chose arrive. T’attends la mort, finalement», lançait-il au journaliste.

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La liberté, une certaine liberté, pourrait donc mener à la mort? Curieuse conséquence pour un produit d’assurance vie.

«Give me liberty, or give me death!» [Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort!] avait dit en 1775 le patriote américain Patrick Henry, en concluant son célèbre discours devant la deuxième Convention de Virginie, afin de convaincre ses collègues de constituer une milice pour combattre les Britanniques.

Patrick Henry
En 1775, le patriote américain Patrick Henry a lancé cette phrase devenue célèbre. Photo: Currier & Ives, Domaine public – Wikimedia Commons

Le président n’a pas reçu le mémo

Aucun rapport, évidemment avec notre propos, sauf peut-être l’occasion de mettre en évidence que bien des dirigeants de ce monde sont bien loin d’avoir choisi la liberté à 55 ans.

Le président américain Joe Biden a 81 ans et, s’il est réélu, il pourrait gouverner jusqu’à l’âge de 86 ans. Donald Trump, à 77 ans, est à peine plus jeune. Le pape François a 87 ans. La reine Élisabeth II est morte en fonction à 96 ans.

Au Canada, les juges de la Cour suprême et les sénateurs peuvent occuper leurs fonctions jusqu’à l’âge de 75 ans. Peut-être n’ont-ils et elles pas reçu le mémo.

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Liberté 55, retraite
Au Canada, les juges de la Cour suprême doivent prendre leur retraite au plus tard à l’âge de 75 ans. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse

Bref, la retraite ne correspond plus à un âge magique. Elle peut être une fin ou un nouveau départ, un rêve ou un mythe. Et même un cauchemar pour ceux qui n’ont pas les moyens d’en profiter.

Alors que de plus en plus de gens atteignent l’âge de 100 ans, la retraite à 55 ans laisse encore presque la moitié d’une vie à occuper.

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