Les succès et la chute du Franco-Ontarien Robert Campeau

Robert Campeau
La célèbre chaîne de magasins Bloomingdale’s a été la propriété de Robert Campeau pendant moins de cinq ans. Photo: Ed Parsons, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 05/01/2025 par Marc Poirier

Il avait un don rare des affaires, mais il a vu trop grand. L’homme d’affaires franco-ontarien Robert Campeau a connu des succès qui l’ont mené d’Ottawa jusque dans la haute société de New York, avant de finalement tout perdre.

Robert Joseph Antoine Campeau est né le 3 août 1923 à Chelmsford, une petite localité aujourd’hui annexée au Grand Sudbury, dans le Nord de l’Ontario. Alors qu’il a 14 ans, il quitte l’école pour ne plus y revenir. Il n’a pas terminé sa 8e année.

Il travaille dans les mines de l’International Nickel Company (couramment appelée l’INCO). Le jeune Campeau se lasse rapidement de ce travail éreintant et part pour Ottawa, où il occupe différents boulots.

En 1949, il construit sa première maison, qu’il vend à profit. Il ne regardera plus jamais en arrière.

Robert Campeau
Robert Campeau heureux de l’acquisition de l’entreprise Federated Department Stores, qui comprend les magasins Bloomingdale’s, en 1988. Photo: Pierre Roussel, Images Distribution

«La maison de vos rêves»

Dès l’année suivante, il en aura construit et vendu une centaine d’autres avec le slogan «la maison de vos rêves».

Publicité

En 1953, il incorpore sa compagnie sous le nom de Campeau Construction. Dès le début des années 1960, il fonde et acquiert d’autres entreprises, encore dans le domaine de la construction, mais aussi de la finance. Le journal Le Droit, en 1965, le qualifie de «Napoléon de l’industrie de la construction».

Fort de ses succès, Robert Campeau bâtit plus grand et, surtout, plus haut.

Après de premières expériences dans la construction de tours de logements et de bureaux, à Ottawa, il flaire la belle affaire avec la forte croissance de la fonction publique fédérale. Les nouveaux fonctionnaires ont besoin d’espaces à bureau.

Au milieu des années 1960, l’homme d’affaires prend les choses en main et construit Place de Ville, un vaste complexe de trois édifices, dont le troisième demeurera le plus haut immeuble d’Ottawa jusqu’en 2019.

On fait appel à Robert Campeau pour construire – sans appel d’offres – des immeubles de bureaux pour y installer des fonctionnaires à Hull, maintenant Gatineau, sur la rive québécoise de la capitale fédérale.

Publicité

Rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension fulgurante du Franco-Ontarien. C’est alors qu’il se heurte à son premier mur.

Robert Campeau
Le premier grand projet de Robert Campeau: les trois édifices de Place de Ville, à Ottawa. Photo: Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 3,0 non transposé

L’interlude Power Corporation

À la suite d’un projet immobilier qui tourne mal, Robert Campeau doit se résigner à céder le contrôle de sa compagnie à une autre société, en l’occurrence Power Corporation, dirigée par un autre important homme d’affaires franco-ontarien, Paul Desmarais.

Campeau encaisse très mal le coup. Il sombre dans une dépression pendant plusieurs mois et ne se présente pas au bureau. Abattu, mais pas battu.

Au début des années 1980, par un coup de maître dont seul il a le secret, Robert Campeau convainc la Banco di Santo Spirito, soit la banque du Vatican, de lui verser suffisamment de fonds pour racheter la participation de Power Corporation – plus de 27 millions $. Il est de nouveau seul en selle.

Devenu l’un des principaux acteurs du secteur immobilier à Ottawa, Campeau veut étendre ses ailes à Toronto. Il réalise quelques projets dans la Ville Reine, dont un hôtel et quelques constructions domiciliaires.

Publicité

En 1980, il tente un coup d’éclat en déposant une offre d’achat pour la plus grande société financière au pays, la Royal Trust, qui a un actif de sept milliards $. Mais la métropole ontarienne résiste.

L’establishment financier anglophone de Toronto fera tout pour l’empêcher de mettre la main sur ce joyau de la finance canadienne.

Malgré cet échec, le Canadien français persiste à vouloir s’implanter dans la capitale ontarienne. Pour s’y faire accepter, il y déménage même son siège social et emménage dans une vaste demeure comptant 10 chambres, 13 salles de bain, une piscine olympique et une salle de bal pouvant accueillir 300 personnes.

Mais l’homme d’affaires en veut toujours plus.

Avec ses visées de grandeur, la prochaine étape était pour lui tout naturellement les États-Unis.

Publicité
Robert Campeau
Robert Campeau a laissé aussi sa marque à Toronto, notamment avec la Scotia Plaza. Photo: Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 3,0 non transposé

Cap sur le pays de l’Oncle Sam

Dans un premier temps, Campeau y achète des centres commerciaux. Mais au lieu de tenter de convaincre de grandes marques de s’installer dans ses locaux pour attirer les foules et d’autres plus petits magasins, il décide de les acquérir.

Et il vise haut : rien de moins que Macy’s, la célèbre chaîne dont le magasin phare a pignon sur Manhattan depuis le début du XXe siècle.

Macy’s dit non. Mais peu de temps après, Campeau réussit à mettre la main, en 1986, sur le groupe Allied Stores et ses 750 magasins de différentes enseignes. La facture est de 4,4 milliards $ US.

Encore une fois, Campeau n’est pas satisfait. Sa prochaine convoitise est la Federated Department Stores, le deuxième plus grand groupe de magasins aux États-Unis après Sears, et dont la marque emblématique est Bloomingdale’s. Coût d’acquisition: près de 7 milliards $ US.

Grâce à cette transaction, Robert Campeau trône sur un empire de près de 12 milliards $ US. Il mène un train de vie extravagant à New York et organise, par l’entremise de sa chaîne Bloomingdale’s, des évènements spectaculaires avec des vedettes du cinéma et de la télévision.

Publicité

Si Toronto a boudé le Franco-Ontarien, New York accepte et célèbre celui, parti de rien, qui a réussi. Le rêve américain incarné.

Le début de la fin

Mais l’inexpérience de Campeau dans l’industrie de la vente au détail se fait ressentir. Bientôt, les finances tournent au mal… puis au désastre. Il se départit de certaines enseignes pour augmenter ses liquidités. Ce n’est pas suffisant. Ses cotes de crédit plongent. Une spirale vers le bas s’enclenche. À la fin des années 1980, rien de va plus.

En janvier 1990, ses deux joyaux, Federated Department Stores et Allied Stores, déclarent faillite. À hauteur de près de 8,8 milliards $ US, il s’agit de la deuxième faillite en importance aux États-Unis à l’époque.

Démoli, Campeau cherche à se faire oublier. Un journaliste de Radio-Canada, Alain Gravel, le retrouvera plusieurs années plus tard en Autriche où, malgré sa déchéance financière, il habite une demeure palatiale valant 12 millions $. Il a près de 75 ans et a toujours des projets, comme un complexe résidentiel en banlieue de Berlin.

Mais il n’y aura pas de renouveau. Le divorce d’avec sa seconde épouse, Ilse Luebbert, au nom de qui il avait placé environ 18 millions $ pour visiblement se protéger de ses créanciers, met le point final sur sa débâcle.

Publicité

En 2001, il revient au Canada, s’installe incognito à Ottawa où il vit grâce à une pension de 70 000 $ par année que lui verse son ex-femme. Des miettes pour celui qui nageait dans les milliards à peine dix ans auparavant.

Il meurt en 2017 dans la capitale fédérale, dans un quasi-anonymat, à l’âge de 93 ans.

Auteurs

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur