Les mots sont vivants et se transforment

Hubert Mansion, Les trésors cachés du français d’Amérique, essai, Montréal, Éditions de l’Homme, 2017, 176 pages, 22,95 $.
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Publié 24/04/2017 par Paul-François Sylvestre

Saviez-vous que le verbe «barguigner» n’est pas un anglicisme issu de «to bargain», mais plutôt un mot français du XIIe siècle? Que «caucus» n’est pas latin mais algonquin? Que les mots «canceller» et «mappe» ne sont pas des anglicismes, mais parfaitement français? Voilà ce que nous apprend Hubert Mansion dans Les trésors cachés du français d’Amérique.

Les articles et les livres fustigeant la langue parlée d’ici et dénonçant les «québécismes familiers» ou les violations du «français international» sont monnaie courante. Or les mots bannis sont souvent «porteurs d’une histoire particulière et différente», selon Mansion.

J’ai souvent corrigé des gens qui disaient «canceller» au lieu d’«annuler». Or, ce verbe français remonte à la Renaissance et le Littré le définit comme un vieux terme de jurisprudence signifiant «annuler une écriture». Et le mot «bacon» a désigné le lard en France dès le XIe siècle.

Faux anglicismes

Hubert Mansion note qu’«une énumération complète des faux anglicismes que dénoncent, pour le bien de la langue, ceux qui n’en aiment que les règles, prendrait des heures, puisque les deux tiers du vocabulaire anglais proviennent du français».

Hubert Mansion
Hubert Mansion

Le verbe «chicaner» est attesté dès 1461 chez François Villon. Il signifie alors, dans le langage des bandes de malfaiteurs, «poursuivre en justice». Le mot évolue par la suite vers le sens de «chercher querelle pour des vétilles». Au XVIIe siècle, il passe en anglais (to chicane, chicanery), en allemand (schikane) et en suédois (chikan).

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Vous avez peut-être déjà entendu dire «va donc cri ton manteau». Venant du verbe quérir, ce «cri» est très français car jusqu’au XVIIe siècle, on recommandait de ne pas prononcer le «e» et le «r» final, donc qu’ri. Il n’y a qu’un pas ou un silence vers «aller cri».

Au XVe siècle, «s’enfarger» signifiait «se charger d’entraves». Montaigne a écrit «estre desenfargée». Les cultivateurs canadiens-français utilisait le mot «enferges» pour désigner les chaînes posées aux pieds antérieurs des chevaux, du latin ferrea, les fers. Ce n’est qu’en 2006 que le Larousse a accueilli l’expression «s’enfarger dans les fleurs du tapis» (se heurter à des faux obstacles).

Contrairement à ce qu’on peut facilement croire, «tabagie» n’est pas un dérivé de tabac; il provient du mot algonquin tabaji, signifiant «festin». Tabac vient de du mot haïtien tabaco; «on amalgame tabaco et tabaji pour former «tabagie» en 1657: lieu public où l’on se réunit pour fumer». Le sens dérive par la suite vers magasin de cigarettes.

Le lac à l’Épaule

Vous avez peut-être déjà entendu dire qu’un parti politique a tenu «un lac-à-l’épaule», soit une réunion stratégique dans un endroit retiré.

Or, «en 1943, Roosevelt et Churchill, venus à Québec pour préparer le Débarquement de Normandie, vont se reposer dans cet endroit de villégiature» dans le Parc de la Jacques-Cartier, au nord de Québec. En 1962, Jean Lesage y organise une réunion secrète en vue de nationaliser l’électricité.

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Hubert Mansion a consulté au moins 170 ouvrages pour rédiger son livre d’à peine 175 pages. On y trouve de petites perles glissées parfois dans un texte plus général. Ainsi, on apprend qu’à force d’évoluer, certains mots ont fini par désigner exactement l’inverse.

Exemples: «mièvre» avait au départ le sens de «vif» ou «espiègle» et s’appliquait surtout aux enfants; il a dérivé vers «puéril», puis a désigné «fade». Originalement, «truculent» voulait dire «brutal» ou «féroce»; aujourd’hui, ce mot désigne «ce qui se caractérise par une mine florissante et joviale».

L’auteur conclut en notant que les mots sont vivants et peuvent donc se transformer. «Laissons vivre notre langue pour qu’elle recueille les sédiments de nos vies et laisse un peu de notre histoire dans le futur.»

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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