Les jeunes anglos et francos n’apprennent pas la même histoire

Histoire
Les élèves francophones et anglophones de l'Ontario, de l'Acadie et de l'Ouest n'apprennent pas les mêmes versions de l’histoire du Canada. Photo: iStock.com/Rawpixel
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Publié 21/06/2025 par Marianne Dépelteau

Une «note en bas de page» est le sort réservé à l’histoire francophone en milieu minoritaire dans le curriculum anglophone de certaines provinces. Même s’ils vivent dans les mêmes quartiers, les jeunes francophones et anglophones n’apprennent pas toujours la même version de l’histoire canadienne.

«La question de la francophonie est reléguée à une ou deux notes en bas de page dans le curriculum anglophone», illustre la professeure de science politique au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard.

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Stéphanie Chouinard. Photo: courtoisie

Celle-ci effectue présentement, avec la professeure adjointe d’études politiques de l’Université d’Ottawa Jennifer Wallner, une comparaison des curriculums francophone et anglophone d’histoire de l’Ontario.

«Par exemple, le Règlement 17, c’est une évidence pour les Franco-Ontariens que c’est un moment fort de l’identité franco-ontarienne, dit Stéphanie Chouinard. Chez les jeunes anglophones en Ontario, le Règlement 17 est une note en bas de page. On n’en parle presque pas.»

Les résultats de l’analyse sont pour le moment préliminaires, mais Stéphanie Chouinard remarque déjà qu’«au sortir des écoles ontariennes, les Franco-Ontariens et les Anglo-Ontariens ont une vision diamétralement différente de ce que ça veut dire d’être Ontarien».

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Selon elle, cette différence pose des «questions sérieuses» sur la perception qu’ont ces groupes linguistiques les uns des autres, ainsi que sur la compréhension qu’ont les anglophones lorsque leurs voisins francophones descendent dans la rue pour manifester.

Aucune obligation

Marie-Hélène Brunet, professeure de didactique des sciences humaines et sociales à l’Université d’Ottawa, et Raphaël Gani, professeur adjoint à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université Laval, ont comparé les curriculums francophone et anglophone en histoire pour les élèves de la 10e année de l’Ontario.

Résultat: la francophonie est absente des attentes dans le curriculum anglophone. La francophonie, en particulier ontarienne, est pourtant bien présente dans les attentes du curriculum en français.

Comme l’expliquent les chercheurs, les attentes sont «obligatoires» et «évaluées chez l’élève». La francophonie a beau se trouver ailleurs dans le programme en anglais, rien n’oblige le personnel enseignant à aborder le sujet.

Environ 80% des deux curriculums est du contenu partagé, estiment les chercheurs. Les 20% restant figurent surtout dans les attentes.

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Si les attentes contenues dans le programme anglophone restent muettes sur la perspective francophone, il existe une exception: «quand on parle des Québécois».

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Du côté anglophone, les attentes liées à l’identité et à la citoyenneté sont «très multiculturelles», explique Marie-Hélène Brunet. Les francophones «sont vus dans une idée de multiculturalisme». Photo: Christine Cusack

La francophonie réduite au Québec

Aux yeux des anglophones, la francophonie se résume souvent à la Belle Province et à son histoire, explique le duo de chercheurs. «Le Québec va généralement aussi être présenté comme homogène et comme présentant une seule pensée: les séparatistes», ajoute Marie-Hélène Brunet.

Raphaël Gani a étudié le phénomène en Alberta, où le curriculum est le même en anglais et en français. Des francophones et des Autochtones ont participé à sa conception. «Ça a fait son œuvre», dit-il.

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Raphael Gani. Photo: Université Laval

Car, lorsqu’une réforme entamée en 2019 par le gouvernement albertain de Jason Kenney menaçait de retirer des perspectives francophones, il y a eu des contestations, se rappelle Raphaël Gani.

Mais rien n’est parfait. Enseignées en anglais, les perspectives francophones sont souvent réduites au Québec, remarque le chercheur. «On parle de la Constitution? Ben, c’est la nuit des longs couteaux, c’est René Lévesque», donne-t-il en exemple. «Peu sur la francophonie hors Québec.»

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«Les enseignants font des choix»

«Ce qu’il y a dans le programme, ce n’est pas forcément ce qui est enseigné en classe», reconnaît Raphaël Gani. Les enseignantes ont, pour tout dire, une certaine marge de manœuvre.

ONTARIO

«Ça ne veut pas dire que personne n’en parle», nuance Stéphanie Chouinard. Malgré le manque d’attentes liées à la francophonie dans le curriculum anglophone de l’Ontario, l’histoire franco-ontarienne se fraie parfois quand même un chemin dans l’enseignement.

«Entre le document de quelques pages que le gouvernement produit et ce que les enseignants et les enseignantes décident de présenter aux élèves en salle de classe, il peut y avoir des ajouts. Ce qu’on sait, c’est que ce n’est pas mandaté par la province de présenter ça aux élèves.»

COLOMBIE-BRITANNIQUE

Dans le projet La pensée historique: Portraits de la pratique professionnelle mené par Penser historiquement pour l’avenir du Canada, on peut lire Vincent Rivard, qui enseigne les sciences humaines dans une école francophone de la Colombie-Britannique et qui témoigne de sa liberté dans ce qu’il enseigne.

«Mes élèves viennent souvent d’un peu partout, ils n’ont pas nécessairement la conscience de pourquoi est-ce qu’il y a des écoles francophones dans l’Ouest», dit-il. «J’essaie d’amener aussi des éléments de pourquoi est-ce qu’il y a des écoles, sur l’histoire des droits des francophones à l’accès aux écoles dans le reste du Canada.»

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MANITOBA

Au Manitoba, où les programmes sont «quasi identiques» dans les deux langues, le personnel enseignant peut décider d’insister sur certains points, explique le professionnel-enseignant de la Faculté d’éducation de l’Université Saint-Boniface, Joël Ruest. «Les enseignants font des choix. […] Si on enseigne dans une école de la région de Saint-Norbert où Louis Riel a grandi [et agi], l’approche pourrait être différente.»

Le contenu et les objectifs d’apprentissage sont les mêmes en anglais et en français au Manitoba, assure Joël Ruest. Des ressources particulières sont attribuées aux écoles de langue française et d’immersion pour nourrir la construction identitaire.

«Il faut qu’on amène les élèves à trouver leur place dans la francophonie», explique-t-il. «Qu’ils reconnaissent les luttes qui ont lieu dans le passé, leurs rôles, le rôle de leurs parents, de leurs grands-parents, leurs ancêtres dans la construction de la communauté francophone au Manitoba.»

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Le programme anglais manitobain pour la 11e année inclut un enseignement de «l’importance d’organismes francophones, dans le développement de la francophonie canadienne» et de la dualité linguistique, dit Joël Ruest. Photo: Université de Saint-Boniface

NOUVEAU-BRUNSWICK

Lorsqu’un programme est différent selon la langue, c’est en grande partie attribuable au double mandat des écoles francophones.

Au Nouveau-Brunswick, où il existe deux secteurs d’éducation distincts pour les deux langues officielles de la province, «toute la partie de construction identitaire francophone en milieu minoritaire fait partie de ce sur quoi on s’attarde dans nos programmes d’études», explique Sylvie Lebel.

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Agente pédagogique provinciale et responsable des sciences humaines à la direction de l’éducation inclusive au primaire au ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance du Nouveau-Brunswick, Sylvie Lebel n’est même pas au courant de ce qui est enseigné aux jeunes anglophones, tant les secteurs sont distincts.

Ce double mandat n’est cependant pas toujours facile à remplir. Dans le projet La pensée historique: Portraits de la pratique professionnelle, l’enseignante d’histoire de l’École Sainte-Anne au Nouveau-Brunswick Jacqueline Robichaud témoigne de la difficulté à se procurer des ressources francophones en histoire.

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L’agente pédagogique Sylvie Lebel. Photo: LinkedIn

D’autres différences entre les programmes anglophones et francophones ontariens se trouvent dans la terminologie. C’est ce que révèle une analyse des programmes de 7e et de 8e année effectuée en 2021 par une étudiante, Monica Szymczuk.

Marie-Hélène Brunet, bien au courant des résultats de ce travail, donne comme exemple la Conquête, qui désigne le moment où la Nouvelle-France tombe sous l’emprise britannique. «En anglais, ce n’est pas “the conquest”, c’est “the shift of power”.»

«Il y a quelque chose derrière cette terminologie-là qui est fondamentalement différente au niveau du récit», commente la chercheuse.

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Il y aussi des différences dans la manière dont sont présentés l’histoire de Louis Riel ou le rapport de Lord Durham. Ce rapport avait notamment conclu que la population canadienne-française formait un peuple sans culture et, pour cette raison notamment, il recommandait de l’assimiler et d’instaurer une domination anglaise.

Marie-Hélène Brunet donne un autre exemple: «Est-ce que c’est le gouvernement qui a mis en place le drapeau franco-ontarien et les conseils scolaires francophones? Ou est-ce que ce sont les luttes des Franco-Ontariens?»

Selon Stéphanie Chouinard, «ce n’est pas tant le matériel qu’on enseigne que la trame nationale qu’on présente aux étudiants et l’impact que ça peut avoir sur leur compréhension de leur propre identité».

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