Les immeubles avant-gardistes d’Uno Prii dans l’Annex

Uno Prii dans l'Annex
Le 11 rue Walmer aux balcons arrondis typiques des édifices de l'architecte Uno Prii dans l'Annex. Photos: Dominique Guillaumant
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Publié 13/08/2024 par Dominique Guillaumant

Si vous vous êtes promené dans le coin de l’Alliance française sur Spadina ou ailleurs dans le quartier de l’Annex à Toronto, vous avez sûrement remarqué des édifices d’un certain âge qui se démarquent par leurs courbes ou leur allure futuriste à côté de leurs voisins rectilignes. Ce sont les créations d’Uno Prii, un architecte torontois prolifique qui a conçu plus de 250 immeubles à appartements des années 1955 à la fin des années 1980.

À l’époque, Toronto était en plein boum démographique et économique. Plus de 2000 immeubles ont dû être construits pour répondre à l’accroissement de la population.

Le quartier de l’Annex compte plusieurs exemples d’édifices conçus par Prii, tous différents les uns des autres. C’était le sujet de la dernière visite organisée par la Société d’histoire de Toronto.

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Le 44 rue Walmer et sa fontaine.

L’ architecte et ingénieur Uno Prii

Né en février 1924, Uno Prii aurait eu 100 ans cette année. Lui-même fils d’un architecte et entrepreneur en bâtiments, le jeune Uno a souvent visité des chantiers avec son père et participé à des discussions traitant d’urbanisme et d’architecture.

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Uno Prii en 1990, dans une vidéo du Museum of Estonian Architecture.

D’origine estonienne, il a fui l’occupation allemande et s’est réfugié en Finlande en 1943 avant de commencer des études d’ingénieur à Stockholm en Suède, l’année suivante. Après la guerre, incapable de retourner dans son pays, alors sous domination soviétique, il a immigré au Canada au début des années 1950 pour étudier l’architecture à l’université de Toronto.

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Peu après la fin de ses études en 1955, il a fondé son propre cabinet d’architecture en 1957. Juste à temps pour profiter du boom de la construction alors que la demande pour des édifices à logements était en pleine expansion.

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La façade du 100 rue Spadina.

La rue Walmer

La rue Walmer compte pas moins de quatre édifices de Prii.

Au numéro 22, le Walmer Flats, avec ses lignes très simples, est un des premiers contrats réalisé par Prii. Il y applique ce qu’il a appris à l’université, alors très influencée par l’école d’architecture allemande du Bauhaus. Rétrospectivement, Prii dira ne pas être très fier du Walmer Flats.

Assez rapidement, Prii a voulu prendre ses distances vis à vis des enseignements qu’il avait reçus. Il trouvait les bâtiments rectilignes ennuyants, et il a commencé à penser ses créations, et donc ses maquettes, comme des sculptures.

On en voit un bel exemple au 11 rue Walmer avec ses briques vernissées et ses balcons en demi-cercles entourant l’édifice construit en 1963. D’ailleurs, les courbes et motifs circulaires sont parmi les éléments distinctifs qui font le style de Prii.

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Uno Prii dans l'Annex
Le Walmer Flats est une des premières réalisations du jeune architecte Uno Prii.

Un partenariat lucratif

Le 35 rue Walmer (avec entrée sur la rue Lowther), baptisé le Vincennes, est le fruit d’une collaboration qui allait durer plusieurs années entre Uno Prii et un de ses plus gros clients, le constructeur d’origine polonaise Harry Hiller, un charpentier de profession.

Construit en 1966, le Vincennes est un des plus purs exemples du style d’Uno Prii. Trouvant la maçonnerie trop contraignante, il lui préférait le béton que l’on peut mouler dans des formes originales. On remarque particulièrement les très grands balcons du cinquième étage qui permettaient de louer ces appartements plus cher que d’autres.

Uno Prii dans l'Annex
Au 35 rue Walmer, la forme en aileron des murs de séparation ont permis de larges terrasses.

L’âge de l’espace et du flower power

Un peu plus loin au 44 rue Walmer, aussi construit par Hiller en 1969, on peut constater un autre élément récurrent de son style surtout visible au niveau de la fontaine. C’est l’influence et la prédominance de «l’âge de l’espace» dans la culture populaire comme ailleurs.

Dans les années 60, on envoie des hommes sur la lune. Des films comme 2001 l’Odyssée de l’espace prennent l’affiche en 1968 et des émissions de télévision comme Star Trek font leurs débuts en 1966.

Le 44 rue Walmer aussi appelé le Flower Building en référence à la culture du «flower power», a été rénové en 2001 et n’a malheureusement pas conservé tous ses éléments architecturaux d’origine. Ainsi, les motifs circulaires probablement en béton des garde-corps des balcons ont été remplacés par de simples panneaux vitrés.

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Le guide Paul Overy devant le 44 rue Walmer tout en courbes.

Trois autres adresses dans l’Annex

Au 100 rue Spadina, l’édifice aux larges courbes décoratives à été construit en 1969, puis rénové au début des années 2000. Les garde-corps qui étaient en béton perforé ont dû être remplacés pour répondre aux nouvelles normes de sécurité. Afin de préserver l’esprit et le cachet d’origine, un design rappelant les blocs de béton a été imprimé sur les panneaux de verre recréant ainsi le même effet visuel.

Au 485 rue Huron, baptisé Brasil Tower et construit en 1966, on retrouve les balcons en demi-cercles comme au 11 rue Walmer qui datent de la même époque. Lors de la rénovation, les garde-corps ont cette fois été remplacés par des panneaux métalliques perforés.

Enfin, dernier exemple du style de Prii, le 20 avenue Prince Arthur, avec ses larges contreforts rappelant les arc-boutants des cathédrales médiévales, ou encore, plus près de nous, la base d’une fusée.

De plus, cet édifice aussi construit par Hiller bénéficie d’un grand terrain planté d’arbres, tout comme les 35 et 44 rue Walmer.

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Les promeneurs de la Société d’histoire de Toronto devant le 485 rue Huron.

Les standards des années 60

En contraste avec l’aspect futuriste et élégant de leur extérieur, l’intérieur de ces édifices à logements, réalisés bien avant les condominiums actuels, était très simple pour ne pas dire spartiate. Ainsi, on n’y trouvait pas de lave vaisselle ou de laveuse individuelle, pas non plus d’air conditionné. Pas non plus de lobby luxueux, de conciergerie ni de piscine ou de salle de conditionnement physique.

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Pourtant, à l’époque, ils étaient recherchés et considérés comme le summum de la vie urbaine.

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Le 20 avenue Prince Arthur avec ses larges contreforts qui lui donne l’air d’une fusée.

Des édifices classés

De 2004 à 2007, la ville de Toronto a classé dans l’inventaire des édifices à valeur patrimoniale seize des tours qualifiées d’«iconiques» de Prii, incluant cinq des sept observés durant la visite guidée. Une plaque devant le 35 rue Walmer mentionne son parcours et montre trois élévations originales de ses édifices.

Pourtant de son vivant Prii n’était pas très apprécié par ses collègues. Certains trouvaient même ses créations laides ou de mauvais goût. Ce n’est que récemment qu’une nouvelle génération d’architectes a manifesté un intérêt renouvelé pour son travail et le considère comme un précurseur en matière d’architecture.

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Un panneau mentionnant Uno Prii devant le 35 rue Walmer.

Quelques anecdotes

Rolande Smith et Paul Overy, les guides de cet Historitour, ont présenté une recherche de Raymonde Safran, une autre guide de la SHT qui ne pouvait pas être là en personne.

Dans sa recherche, celle-ci a rassemblé plusieurs anecdotes savoureuses. Par exemple, un client potentiel qui aurait dit à Prii que «de toute évidence il s’était trompé d’architecte».

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Une autre concernait le partenariat entre Harry Hiller et Prii, qui ont collaboré sur la construction une dizaine de tours à appartements. Les deux hommes étaient probablement devenus des amis, et Hiller lui donnait plus ou moins carte blanche… à la condition cependant de respecter le budget et surtout de ne pas le mettre en faillite. Une demande tout à fait légitime!

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