Les gardiens du temps

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Une horloge atomique en 1955. Déjà, elle fonctionnait avec un taux d’erreur d’une seconde aux 30 ans. Photo: Wikimedia Commons, domaine public
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Publié 23/03/2024 par Marc Poirier

On ne les connaît pas. On ne sait pas leur nom. Ils sont répartis un peu partout sur la planète, à brasser des atomes dans des cuvettes, en quête d’exactitude. Pourtant, on se fie à eux pour rythmer nos vies, à la seconde près, afin que toute la planète soit sur la même longueur d’onde. Ce sont d’obscurs chevaliers de l’exactitude. Ce sont les gardiens du temps.

C’est presque une secte. Et comme toute bonne secte, il faut un leader. Il a un nom: le Bureau international des poids et mesures (BIPM), à Paris.

Cette noble institution, créée en 1875 pour codifier le système métrique, fixe le temps universel, sur lequel la grande partie des habitants de notre monde se fie pour régler «leur» temps.

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L’Observatoire royal de Greenwich a une histoire fascinante. Photo: Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

C’est au XIXe siècle qu’on a fixé pour la première fois un temps «commun». Une conférence internationale tenue en 1884 aux États-Unis a convenu que le méridien de Greenwich serait la base des fuseaux horaires du monde et que l’heure du méridien de Greenwich, en Angleterre, serait la référence du temps pour la planète.

À cette époque, l’heure variait d’une ville à l’autre, même si très peu de distance les séparait. L’heure de Greenwich, devenue le «temps moyen de Greenwich» («Greenwich Mean Time», abrégé GMT), a d’abord servi à uniformiser l’heure au Royaume-Uni.

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Puis d’autres pays l’ont adoptée comme référence (avec les décalages horaires). L’Observatoire royal de Greenwich envoyait par exemple aux États-Unis un signal à l’Université Harvard, au Massachusetts, par câble sous-marin.

Des horloges et des heures

Bien que la référence «géographique» du temps était Greenwich, une autre conférence internationale en 1912 a confié à l’Observatoire de Paris le soin de «mesurer» le temps. C’est à ce moment qu’est né le Bureau international de l’heure.

Plusieurs pays ont commencé à se doter d’horloges perfectionnées pour maintenir le plus possible la régularité du temps. Alors que la technologie évoluait, les méthodes comme le câble sous-marin ne suffisaient plus.

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La Terre prend environ 23 heures, 56 minutes et 4,1 secondes à faire une rotation. Ce petit décalage sur nos 24 heures doit être corrigé de temps à autre afin que le Temps universel coordonné (UTC) s’harmonise au temps astronomique. Photo: NASA (équipage d’Appolo 17), Wikimedia Commons, domaine public

Aux États-Unis, les «gardiens du temps» dépêchaient à Paris deux fois par année en avion un scientifique qui apportait dans ses bagages de cabine deux horloges très complexes pesant 25 kilos chacune.

Le temps était littéralement compté pour cette mission, car les piles des horloges ne tenaient que 24 heures. Une fois à Paris, les horloges américaines étaient synchronisées avec celles du Bureau international de l’heure.

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Cette pratique s’est perpétuée jusqu’à l’arrivée des premiers satellites GPS, en 1978, qui ont rendu ces visites inutiles.

Quant à l’heure moyenne de Greenwich, elle sera la référence mondiale jusqu’en 1972, année où elle sera remplacée par le «temps universel coordonné» (UTC). Que s’est-il passé? Rien sauf… une révolution dans la mesure du temps: l’horloge atomique.

Des atomes pour calculer le temps

En 1945, un physicien de l’Université Columbia, à New York, découvre qu’il serait possible de mesurer le temps grâce aux vibrations atomiques. Quatre ans plus tard, la première horloge atomique est fabriquée, utilisant des molécules d’ammoniac.

Quelques années plus tard, on substitue l’ammoniac par un élément plus fiable et plus facile à manier: le césium.

Un grand nombre de pays, le Canada y compris, se doteront d’horloges atomiques au césium à la fin des années 1950 et au cours de la décennie suivante pour former un réseau international de la mesure du temps. Il existe actuellement plus de 450 horloges atomiques réparties dans 70 centres de recherche dans le monde.

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Les pays munis de ces horloges font une moyenne du temps qu’ils calculent et envoient leurs données au BIPM (qui entre-temps a absorbé l’ancien Bureau international de l’heure).

Le BIPM fait alors une moyenne de toutes ces «heures» des pays participants pour déterminer l’heure commune, connue comme le «Temps universel coordonné» ou UTC.

En 1972, l’UTC a officiellement remplacé le GMT comme référence internationale du temps.

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Version améliorée (2005) d’une horloge atomique «à fontaine d’atomes de césium» servant à calculer le temps. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

La question qui tue: qu’est-ce qu’une seconde?

Depuis un siècle, on calculait la seconde en se basant sur la rotation de la Terre. Il suffisait de diviser le temps de rotation par 86 400 – le nombre de secondes dans une journée – pour en connaître la durée. Simple, non? Oui, mais l’affaire n’était pas ketchup.

La Terre ne tourne pas exactement toujours à la même vitesse, en raison de toutes sortes de facteurs, comme les vents, les marées, etc. Les «24 heures» ne sont pas toutes de la même durée, donc les heures et les secondes non plus.

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Comme l’œuvre de Dali, le temps n’est pas toujours au beau fixe, malgré les calculs atomiques de la seconde. Photo: Wikimedia Commons, don universel au domaine public

La nouvelle mesure rendue possible par les horloges atomiques a permis de déterminer une durée plus stable de la seconde, et donc du temps.

La nouvelle définition de cette unité fondamentale du temps, adoptée en 1967, est de «9 192 631 770 oscillations (9,2 milliards pour simplifier) d’un atome de césium entre ses différents niveaux d’énergie». Coïncidence, il faut environ 9,2 secondes pour dire à haute voix cette définition!

Tout est donc réglé et on peut dormir tranquille en sachant que le temps est (presque) immuable. Faux! C’est que… le temps «atomique» a un peu le même problème que l’ancien GMT, c’est-à-dire qu’il n’est pas parfaitement au diapason de la rotation de la Terre.

Les scientifiques ont donc convenu qu’une seconde dite «intercalaire» serait ajoutée à l’UTC chaque fois que l’écart dépasserait 0,9 seconde. Depuis 1972, cet ajustement d’une seconde a été effectué 37 fois. Avec les nouvelles technologies, ces modifications du temps universel créent des problèmes technologiques de plus en plus sérieux.

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Tempus fugit, le temps fuit ou le temps file. Vitrail dans l’église Saint-Pierre, Upper Sandusky, Ohio). Photo: Wikimedia Commons, Share Alike, 4.0 International

Les GAFAM s’en mêlent

La situation est telle que, l’an dernier, les géants du numérique, surnommés les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), font pression sur les gardiens du temps pour qu’ils cessent cette pratique. Et les gardiens ont dit oui… mais d’ici 2035.

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Or, comme par coïncidence – encore une –, il s’avère que la rotation de Terre a plutôt tendance maintenant à s’accélérer. Il est donc possible qu’il ne soit pas nécessaire de réduire le temps universel pour un moment.

Et comme on n’arrête pas le progrès, de nouvelles horloges atomiques, plus performantes que celles au césium, ont fait leur apparition. Il s’agit d’horloges optiques utilisant un nouvel élément, l’ytterbium, un métal de terres rares. Ces horloges pourraient offrir une précision de 10 à 100 fois supérieure.

Le temps fuit à vive allure. C’est probablement pour ça qu’il est si facile de le perdre. Tempus fugit.

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