Les finances des organismes francophones toujours dans le rouge

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La fragilité du réseau des organismes francophones au pays inquiète les membres de la FCFA. Photo: Martin Lopatka (CC BY-SA 2.0)
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Publié 17/06/2024 par Camille Langlade

Partout au pays, les organismes francophones en situation minoritaire demandent une répartition équitable des fonds fédéraux. Selon eux, les enveloppes actuelles ne suffisent pas à assurer leur bon fonctionnement et à répondre aux besoins de leur communauté. De son côté, l’Ontario affirme être particulièrement sous-financé.

Au cours de l’assemblée générale annuelle de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, le 8 juin, les membres ont exprimé «leur vive inquiétude concernant la fragilité du réseau des organismes francophones au pays», rapporte l’organisme dans un communiqué.

Malgré le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 présenté l’an dernier, les sommes investies dans le financement de base de ces organismes ne suffisent pas à assurer leur viabilité à moyen terme ni à répondre aux besoins criants sur le terrain, alerte la FCFA.

Un examen indépendant

«Quinze mois après l’annonce du Plan, plusieurs de nos organismes sont encore en situation de précarité. Moins de 5% des nouvelles sommes dans le Plan sont allés à la stabilisation des organismes ou au financement de base», déplore la présidente de la FCFA, Liane Roy, en entrevue avec Francopresse.

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Liane Roy, présidente de la FCFA. Photo: Chantallya Louis, Francopresse

La somme annoncée dans le Plan – 62,5 millions $ sur cinq ans – reste loin des 300 millions $ demandés par la FCFA dans une étude publiée à l’automne 2022.

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Mais plus que le financement, la FCFA pointe du doigt sa distribution. «On n’est pas en train de dire qu’il n’y a pas assez d’argent. On est en train de dire qu’il faut mieux examiner la manière que les fonds se rendent dans nos communautés», nuance Liane Roy.

C’est pourquoi la FCFA et ses membres exhortent le gouvernement à entreprendre un examen indépendant de l’allocation des fonds fédéraux pour les langues officielles, afin de mieux répondre aux défis structurels des communautés.

«Il y a des retards de paiement», observe Liane Roy. «Et il y a toute cette idée-là que plusieurs organismes survivent presque par projet et non pas par financement de base.»

Un examen indépendant permettrait de déterminer «où [sont] les obstacles et les blocages et comment on pourrait ajuster et assouplir les programmes», et d’avoir un regard neuf, «un regard holistique sur l’ensemble de l’appareil», détaille-t-elle.

«Il y a plusieurs ministères qui donnent des fonds au niveau des langues officielles. On voudrait s’assurer qu’on va chercher l’ensemble des fonds qui nous sont destinés et que ça sera à la bonne place.»

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Randy Boissonnault,
Le ministre Randy Boissonnault. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

«À bout de souffle»

«Notre gouvernement est à l’écoute des organismes en langues officielles. C’est pourquoi nous sommes en train de déployer un Plan d’action de plus de 4,1 milliards $ pour les appuyer et pour mettre de l’avant le bilinguisme d’un océan à l’autre», affirme de son côté le ministère des Langues officielles dans un courriel envoyé à Francopresse.

Le cabinet rappelle qu’en mars dernier, le ministre Randy Boissonnault a annoncé une bonification de 12,5% du financement de base de plus de 300 organismes, avec la possibilité de recevoir jusqu’à 25% d’augmentation.

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Nicole Arseneau Sluyter. Photo: courtoisie

Or, cette augmentation reste insuffisante, insiste la présidente de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, Nicole Arseneau Sluyter.

«On est tous à bout de souffle», lâche-t-elle.

«La machine du gouvernement, c’est trop lent, c’est trop complexe, trop difficile. On a besoin de quelque chose de plus simple, qui va répondre à nos besoins et qui va injecter l’argent qu’on a besoin pour faire notre travail.»

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«Ce qui est encore plus inquiétant, c’est les changements de gouvernement qui s’en viennent», ajoute-t-elle.

«L’ensemble du réseau sent vraiment qu’on est à un point tournant», confirme Liane Roy.

Déséquilibre financier

Dans un rapport d’analyse mis à jour à la fin mai, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) demande explicitement au gouvernement fédéral d’augmenter l’appui financier pour les organismes francophones de sa province.

«L’organisme franco-ontarien moyen reçoit présentement environ 57% de son besoin financier réel de la part de Patrimoine canadien. Ce chiffre baisse à 47% chez les ACFO [Associations canadiennes-françaises de l’Ontario], à 40% au niveau des centres culturels et à 35% au niveau des organismes racialisés», souligne le rapport.

Fabien Hébert, AFO
Fabien Hébert.

Selon le président de l’AFO, Fabien Hébert, un organisme aurait besoin de 128 000 $ pour être capable d’embaucher une direction générale ainsi que de payer un loyer et des frais de bureau.

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«On sait présentement que le financement en Ontario c’est 72 000 $ par organisation en moyenne, et il y a des organisations qui reçoivent 35 000 $», déplore-t-il.

Disparités entre l’Ontario et les autres provinces?

L’AFO avance que la francophonie provinciale reçoit 18 % de l’enveloppe de financement, mais qu’elle compte 50% de la population francophone hors Québec.

Elle demande donc que l’Ontario reçoive 30% du financement, sans rien enlever à celui de la francophonie des autres provinces.

Selon le rapport de l’AFO, le financement moyen par organisme en 2023-2024 en Ontario est d’environ 72 000 $, contre un peu plus de 120 000 $ en Nouvelle-Écosse et près de 200 000 $ au Manitoba.

«Il faut quand même que le gouvernement analyse les besoins de chacun. S’il y a un rattrapage à faire en Ontario, qu’on le fasse, mais pas au détriment des autres», convient Nicole Arseneau Sluyter.

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Un financement adapté

Dans l’Ouest du Canada, l’Association canadienne-française de l’Alberta partage les mêmes inquiétudes que l’AFO. «Nous ne croyons pas que nous sommes financés au niveau qui sera adéquat pour nous», indique Nathalie Lachance, sa présidente.

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Nathalie Lachance. Photo: courtoisie

Elle souligne le fait que la population franco-albertaine est en pleine croissance. Et qui dit croissance, dit besoin croissant de ressources.

«Je pense qu’il faut à un moment donné avoir une belle conversation, à savoir qu’est-ce qui est un montant de base qui peut fonctionner et, à partir de là, comment on se sert des données démographiques pour s’assurer que les formules de financement s’ajustent avec le temps.»

Autrement dit, Nathalie Lachance avance qu’il faudrait se demander quelle formule de financement pourrait être équitable.

Selon elle, il faut aussi prendre en compte les tailles des communautés et s’assurer «que les provinces qui sont en croissance rapide puissent accéder à plus de fonds, sinon on se ramasse avec une francophonie qui s’essouffle ou qui doit se fier sur les fonds provinciaux pour pouvoir survivre».

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Manque de volonté politique?

«D’un côté, on a le gouvernement fédéral qui nous dit “on veut augmenter l’immigration francophone, on met de nouvelles cibles, on veut rétablir le poids démographique de la francophonie au Canada au niveau de 1976”. Mais de l’autre côté, on ne veut pas financer des organisations qui vont permettre l’intégration de ces francophones-là», dénonce Fabien Hébert particulièrement inquiet de la situation difficile des organismes de sa province.

Contacté par Francopresse, Mathis Denis, l’attaché de presse du ministre des Langues officielles, assure par courriel que des discussions sont actuellement en cours, «dont avec les organismes ontariens, afin d’adapter l’octroi des fonds de la deuxième tranche de bonification aux besoins régionaux».

Néanmoins, Fabien Hébert invite les fonctionnaires de Patrimoine canadien à se rendre sur le terrain pour prendre conscience de la réalité. «Allez voir comment les organisations que vous financez survivent. On ne peut pas évaluer cette réalité-là du terrain lorsqu’on est assis dans notre bureau dans une des tours à Ottawa.»

«Ça prend une volonté politique de reconnaitre la situation très claire dans laquelle la communauté ontarienne est», lance-t-il.

L’union fait la force

«Patrimoine canadien n’est pas le seul à passer par ces défis», tempère Nicole Arseneau Sluyter. «Il va falloir peut-être une nouvelle vision sur le développement de nos communautés, avoir de l’imagination pour réinventer et essayer d’améliorer.»

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Pour pallier le manque de financement, les organismes cherchent des solutions, comme la mise en commun de ressources.

«On est en train de revoir les modèles de livraison de services pour les communautés francophones justement pour voir si on est capables de créer des synergies puis des économies d’échelle», observe Fabien Hébert.

«Thinking outside the box [sortir des sentiers battus], c’est là qu’on est rendus. Il faut vraiment aller à l’extérieur et penser, réfléchir et essayer de s’entraider les uns les autres», appuie Nicole Arseneau Sluyter.

– Avec des informations de Julien Cayouette et de Marianne Dépelteau

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