Les fiducies foncières communautaires: une solution de logements abordables

Les problèmes de logement que connaît Toronto depuis des décennies ont été largement documentés et décriés. Au fil des ans, la situation ne fait que se détériorer avec un accroissement de l’itinérance et du sans-abrisme.

Tous les paliers de gouvernement ont été interpellés pour contribuer à trouver des solutions. Pourtant, il y a plusieurs initiatives, comme les fiducies foncières communautaires, dont on entend peu ou pas parler.

Basées sur la mobilisation citoyenne, ces fiducies oeuvrent en partenariat avec les administrations publiques.

Des organismes gérés par et pour la communauté

Essentiellement établies dans des quartiers dits populaires avec une forte population immigrante souvent racisée, comme Parkdale, Kensington, Chinatown ou Little Jamaïca près d’Eglinton, les fiducies communautaires sont des organismes sans but lucratif gérés par et pour la communauté qu’elles desservent.

Leur mission est d’acquérir et de gérer des terrains et immeubles pour le mieux-être de la collectivité. Elles jouent un rôle important pour l’acquisition et la préservation d’habitations à loyer abordable, de maisons de chambres ou encore d’organismes communautaires.

La Fiducie foncière communautaire de Parkdale

Incorporée en 2014, la fiducie foncière de Parkdale (Parkdale Neighbourhood Land Trust: PNLT) est la première fiducie communautaire fondée à Toronto.

Cet organisme sans but lucratif a une filiale incorporée comme organisme de charité qui possède et gère plusieurs propriétés qui sont louées à d’autres organismes sans but lucratif offrant du logement social et des services à la communauté.

Comme l’expliquait le directeur général de la PNLT, Joshua Barndt, lors d’une récente présentation, «le problème principal auquel la communauté faisait face était l’embourgeoisement du quartier dû à la spéculation immobilière causant le déplacement des résidents».

«Principalement, le déplacement des résidents vulnérables ou à revenus modestes, mais aussi le déplacement d’organismes sans but lucratif offrant des services à la communauté comme la clinique juridique communautaire ou des maisons de chambres, etc.»

Sur une période d’environ dix ans, Parkdale a perdu 28 maisons de chambres. PNLT surveille une bonne cinquantaine d’édifices potentiellement à risque de disparaître. Dans le même temps, plusieurs chantiers pour des tours à condominiums sont apparus dans le quartier.

PNLT gère, depuis 2022, 85 édifices représentant 205 espaces de location abordables. Parmi ceux-ci, 81 maisons unifamiliales et petits immeubles d’habitation, situés dans l’Ouest de la ville, lui ont été transférées en 2022 par la Toronto Community Housing Corporation.

Ce transfert était accompagné d’une subvention pour la rénovation des unités de logement et PNLT a développé un plan de cinq ans pour procéder aux travaux de remise à niveau. Alors que PNLT s’occupe du financement et des rénovations, le YWCA gère les immeubles et les services aux résidents.

Des débuts modestes

Un long chemin parcouru après des débuts difficiles et plusieurs tentatives d’acquisition infructueuses en 2017-18, dues à un manque de capitaux.

La première acquisition fut d’ailleurs un jardin communautaire, utilisé par la communauté tibétaine de Parkdale qui a été impliquée dans le développement du site, selon le modèle de gouvernance de la fiducie. Ce jardin, qui permet à une communauté de cultiver des légumes qu’elle ne retrouve peut-être pas à l’épicerie, joue aussi un rôle important au niveau de la sécurité alimentaire.

Enfin en 2019, il acquérait un immeuble de 15 unités de logement sur la rue Maynard après deux années de négociations, évitant ainsi l’éviction de locataires à faibles revenus. Celui-ci allait lui servir de projet pilote ainsi que pour la ville de Toronto.

L’initiative de Kensington Market

Fondée en 2017, la Fiducie foncière de Kensington Market (Kensington Market Community Land Trust: KMCLT) pilote plusieurs projets afin de préserver ou même d’améliorer le parc locatif de Kensington Market en favorisant l’investissement communautaire.

Ainsi, KMCLT a travaillé avec d’autres organismes communautaires et la ville de Toronto pour récupérer, à des fins d’habitation, un espace situé au 35 rue Bellevue et actuellement utilisé comme terrain de stationnement.

Après plusieurs années de négociations, le financement d’un édifice de quatre étages et comprenant au moins 78 unités d’habitation à loyer modique a été annoncé par la ville de Toronto. Le projet sera géré par KMCLT en partenariat avec St. Clare’s, un organisme de charité avec plus de 20 ans d’expérience dans la gestion d’immeubles à logements.

Dominique Russell, coprésidente de la fiducie foncière communautaire de Kensington Market confirme que «le projet doit démarrer assez rapidement avec une première rencontre avec la communauté dès le début de septembre et une mise en chantier dans les prochains mois. Idéalement, les locataires devraient pouvoir emménager à l’automne 2025».

En juin 2021, la fiducie a acquis le 54-56 avenue Kensington, qui est un édifice à usage mixe comprenant cinq petits commerces et une douzaine de logements à loyer modique.

Pour parvenir à faire cette première acquisition, elle a reçu l’aide d’un conseiller municipal ainsi qu’une subvention d’immobilisation sous la forme d’un prêt-subvention de la Ville de Toronto. Il comprend un volet rénovation afin de financer les travaux nécessaires pour une mise à niveau de la bâtisse et des logements.

Comme l’explique Dominique Russell, «les choses peuvent bouger rapidement dans l’immobilier. Rien que pour faire partie des discussions, il fallait déposer 300 000 $. Il a donc fallu s’organiser très vite.»

C’est dans ce but que la fiducie a initié une campagne de financement et propose des investissements à terme afin d’avoir le capital de base nécessaire pour une prochaine acquisition. Le public peut investir dans des obligations communautaires de 500 $ pour un terme de trois ans, de 5 000 $ pour cinq ans ou de 25 000 $ pour sept ans. Pour en savoir plus consulter kmclt.ca.

Selon Dominique Russell, «cette approche de financement a été choisie, car elle rejoint les valeurs philosophiques de solidarité et d’entraide de la fiducie et renforce l’esprit communautaire. On voulait que ce soit la communauté qui bénéficie des dividendes.»

«La population a répondu à notre appel», ajoute-t-elle. «Nous avons rejoint beaucoup de petits investisseurs.»

Des partenariats multisectoriels

Des projets d’une telle envergure demandent le développement de partenariats avec plusieurs types d’intervenants. Comme le reconnaît Joshua Barndt, «à la fiducie foncière, nous pensons que nous ne pouvons pas faire ça seuls. D’ailleurs, notre travail peut être bonifié et notre impact beaucoup plus grand quand nous collaborons avec nos partenaires communautaires, privés ou du secteur public.»

Pendant longtemps, en l’absence de programmes gouvernementaux, les fiducies foncières communautaires ont dû se tourner vers d’autres sources de financement afin de rassembler le capital nécessaire aux acquisitions.

C’est ainsi qu’en 2020, PNLT a approché la banque d’investissement communautaire Vancity – subsidiaire de la Vancouver City Saving Credit Union – pour mettre sur pied le programme Preserve and Protect qui lui permet d’avoir accès à 4 millions $ en capital remboursable en 36 mois.

L’argent est garanti par cinq fondations privées qui croient en la mission. Ce sont ces fonds qui ont permis l’achat d’un autre immeuble de 36 logements sur la rue Maynard en attendant de pouvoir trouver d’autres sources de financement auprès des gouvernements.

La contribution de la Ville de Toronto

Dans le cas de Parkdale comme de Kensington Market, les conseillers municipaux Gord Perks (Parkdale-High Park) et Michael Layton (University-Rosedale) ont joué un rôle important de soutien et de facilitation auprès de la Ville et du Conseil municipal. La Ville de Toronto a été un partenaire essentiel à la réussite de ces projets.

Concernant la Ville, le directeur de PNLT admet que «notre plus large et important partenaire, c’est la Ville. Au début la Ville avait des doutes quant à notre capacité d’acquérir des terrains et de réaliser ces projets. Mais nous avons bâti une relation de confiance et au cours des années chacun de nos projets a reçu le support, en fait de nombreuses aides de la ville de Toronto.»

Ainsi pour l’édifice de la rue Maynard, la Ville a contribué 1,5 million $. Cette acquisition allait servir de projet pilote tant pour la fiducie que pour la ville de Toronto. Une subvention provinciale substantielle pour la rénovation a aussi permis de rénover les chambres, de changer le système de chauffage et d’améliorer les aires communes et la sécurité.

Deux ans plus tard, en 2020 la ville mettait en place le programme Multi-Unit Residential Acquisition (MURA), qui vise à favoriser l’acquisition par des organismes communautaires de maisons de chambres ou d’édifices à logements abordables considérés à risque de disparaître. Jusqu’à présent une dizaine d’organismes impliqués dans le logement social ont reçu du financement de MURA.

Pour la ville, la préservation des logements abordables existants est un élément essentiel du Plan d’action municipal 2020-30 sur le logement.

Dans ce contexte, les fiducies foncières et leur modèle d’affaires, qui permettent à la communauté de se mobiliser et d’agir rapidement, représentent un des moyens les plus directs et efficaces de répondre aux problèmes d’accessibilité et d’abordabilité en logement.

Ces programmes et initiatives municipales s’arriment avec la Stratégie nationale sur le logement lancée par le gouvernement fédéral en 2017 et qui s’échelonnera sur dix ans. La Stratégie est gérée par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) et comprend une entente bilatérale avec le gouvernement de l’Ontario.