Les chefs politiques et leur image

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Publié 21/02/2006 par Gabriel Racle

Dans une campagne électorale, comme celle que nous connaissons présentement, deux éléments clés interviennent, que l’on peut résumer en deux mots: le fond et la forme. Le fond, c’est évidemment les idées, les programmes, la vision du Canada que proposent, théoriquement, les chefs de parti et leurs candidats. La forme, c’est l’apparence que ces mêmes personnages se donnent ou veulent donner.

Une récente étude publiée en octobre 2005 par le professeur Daniel Hamermesh de l’Université du Texas montre que si la beauté peut n’être que superficielle, elle peut suffire à remporter un scrutin. Il a étudié l’élection des responsables d’un groupe professionnel, l’American Economic Association, entre 1996 et 2004. Il en ressort que les candidats à une élection ont 56% de chance de gagner s’ils sont beaux, contre 44% pour leurs rivaux moins séduisants.

«Être beau aide de manière très claire, et encore plus les hommes que les femmes», indique ce spécialiste de l’étude des effets de la beauté dans différents domaines.

On comprend donc que les candidats aux élections, et surtout les chefs de parti, s’entourent de conseillers, non seulement pour la rédaction de leurs textes ou pour répondre aux questions, mais également pour soigner leur image, surtout lors des apparitions à la télévision: costume, cravate, coiffure, maquillage, etc., ainsi que les gestes à faire ou à ne pas faire.

Mais que reste-t-il de tout cela au fil du temps, même si l’élection est remportée, si le chef d’un parti devient premier ministre? Le fond l’emporte-t-il sur la forme? Rien n’est moins sûr.

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«L’image qui nous reste de nos chefs politiques n’a souvent que très peu de rapport avec leur possible contribution, et notre impression peut varier considérablement avec le temps, la nostalgie et nos préférences», explique Victor Rabinovitch, président de la Société du Musée canadien des civilisations, à l’occasion d’une exposition originale organisée par ce Musée: Honnis ou adulés: Les Canadiens et leurs hommes politiques.

«L’image personnelle compte pour beaucoup, ajoute Victor Rabinovitch, lorsqu’il s’agit de faire accepter ses idées. Il est plus facile de dire:  »J’aime Trudea » que d’examiner ses idées sur le bilinguisme. Il est plus simple de dire:  »Je suis d’accord avec Mulroney », que d’analyser sa politique de libre-échange.»

Et l’exposition illustre précisément que l’image que laissent les personnalités politiques n’est pas toujours celle qu’ils auraient voulu laisser. La célèbre épinglette satirique de Brian Mulroney en est un exemple. Les caricaturistes ont monté en épingle le prognathisme de sa mâchoire lors de l’affaire du thon avarié, le «scandale du Tunagate».

Les personnages politiques deviennent des célébrités, certes, mais ils en paient le prix. De fait, la caricature est aussi ancienne que le pouvoir politique. On la trouve déjà dans la peinture animalière égyptienne, certains papyrus représentant des hommes politiques sous forme d’animaux, comme des loups ou des lions.

Dans son célèbre ouvrage Le Rire – Essai sur la signification du comique, le philosophe français Henri Bergson nous dit que «L’art du caricaturiste est de saisir [dans une physionomie] un mouvement parfois imperceptible et de le rendre visible à tous en l’agrandissant», c’est-à-dire une «grimace possible», une «déformation».

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Les images que présente l’exposition montrent une réalisation concrète des propos de Bergson: il suffit de regarder la tête de Pierre E. Trudeau, à propos de sa «société juste» lors de la campagne de 1968; celle plus ancienne de Sir Wilfrid Laurier faisant des bulles ou transformé en escargot, pour s’être opposé à la conscription lors de la Première Guerre mondiale. On peut aussi se payer la tête de John Diefenbaker, dont l’autorité a été constamment contestée.

Certains hommes politiques semblent échapper à la critique caricaturale, comme Lester B. Pearson, qui arbore un visage sympathique sur la tasse à son effigie, ou l’ancien maire de Montréal, Jean Drapeau, dont on ne sait que penser de sa position doctorale.

Mais, de par leur situation, les personnalités politiques marquantes prêtent le flanc à des caricatures critiques. «Dans le cas de la caricature politique, qui est le plus souvent radicalement violente, voire partisane, et rabaisse les grands à une place que, peut-être, selon la sagesse populaire, ils n’auraient jamais dû quitter, elle s’érige en juge de leurs actions et de leurs décisions, en exprimant le refoulé d’une société qui n’a pas toujours  »les mots pour le dire » mais dont, parfois, elle révèle les aspirations», d’expliquer Annie Duprat dans les Cahiers d’Histoire (no 75).

«La caricature politique a toujours tenu un rôle dans notre univers démocratique… Dans l’arène politique, le rôle que jouent ces fous du roi [les caricaturistes] est prépondérant. Les femmes et les hommes politiques ne s’y trompent pas et prennent très au sérieux les rictus et les grimaces des caricaturistes: ceux-ci constituent un excellent thermomètre de l’opinion publique», nous dit Mira Falardeau dans Les parlementaires à travers le miroir de la caricature.

L’exposition du Musée incite à la réflexion, tant celle des électeurs que celle des candidats à des postes prestigieux. Que restera-t-il de leurs gesticulations et de leur apparence dans ce miroir du monde politique que semble bien être la caricature?

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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