L’épouse de Maher Arar raconte son cauchemar avec brio

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Publié 28/07/2009 par Paul-François Sylvestre

L’emprisonnement de Maher Arar pendant un an, sa torture en Syrie et les multiples efforts en vue de sa libération ont défrayé les manchettes pendant presque deux ans. Ce qui est moins connu demeure le combat livré par son épouse, Monia Mazigh. Elle nous le raconte, à la fois avec sobriété et ferveur, dans Les Larmes emprisonnées.

Épouse, mère de deux enfants, Monia Mazigh a vécu un cauchemar entre le 26 septembre 2002 et le 5 octobre 2003. Pourquoi alors vouloir déterrer les cendres d’un incendie émotif? Pour comprendre les changements qui se sont passés, «y réfléchir, les analyser et finalement savoir comment les accepter».

Monia Mazigh est née en Tunisie, vit au Canada depuis 1991 et détient un doctorat en finances de l’Université McGill. Résidant à Ottawa, elle a toujours rêvé d’enseigner dans un département de gestion. Mais la situation change et son défi frôle désormais l’impossible. «Avec un mari soupçonné de terrorisme, jeté dans une prison syrienne à des milliers de kilomètres, deux enfants sur les bras, un climat politique et social de peur et de paranoïa, pouvais-je réussir?»

Diplôme en main, capable d’enseigner dans les deux langues, elle ne peut même pas dénicher un poste à l’Université d’Ottawa. L’épisode «Maher Arar» n’est pas sans soulever des questions sur notre système de justice «bâti sur le respect des lois et non sur l’arbitrage». Maher Arar représente-t-il un cas isolé ou le sacro-saint principe de la présomption d’innocence est-il en train de s’effriter?, se demande l’épouse éplorée.

«Je n’arrive toujours pas à croire comment un citoyen canadien, qui a quitté son pays natal à l’âge de dix-sept ans (…), peut être déporté dans un pays où il n’a plus remis les pieds depuis quinze ans, être jeté en prison, interrogé en long et en large, et se voir refuser tout accès à un procès juste et équitable.»

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L’auteure signe, ici, un premier ouvrage. On dirait que la détresse et les tiraillements intérieurs lui ont permis de mieux extérioriser sa pensée. Elle décrit avec brio «la disparition, l’angoisse, l’emprisonnement, la déportation, le silence effrayant du gouvernement, le bouleversement et l’incertitude que vivait quotidiennement [sa] famille.»

L’auteure a rencontré des députés de tous les partis, a donné des entrevues en français et en anglais, a remué mer et monde pour faire entendre raison aux Américains qui faisaient la sourde oreille, aux Syriens qui campaient sur leur position et au gouvernement canadien qui se tournait les pouces.

Ce faisant, elle a dû surmonter la profonde méfiance, voire la paranoïa, qui s’était créée à l’égard des musulmans après les événements du 11 septembre. Un des passages les plus troublants est celui qui décrit le retour de Maher Arar au Canada, sa rencontre avec sa femme et sa mère. «Il m’a semblé craintif, écrit l’auteure. Il nous a embrassées toutes les deux de façon étonnamment froide et mécanique. Il avait le visage terne et me regardait comme un petit chien malheureux. (..) Il m’a soufflé: «J’ai très peur. Es-tu sûre que tout est fini, qu’on ne me remettra pas en prison ?» Calmement, je l’ai rassuré.»

Les Larmes emprisonnées est un récit finement ciselé qui démontre comment une femme s’est lancée à corps perdu dans une lutte inégale pour que sa famille soit réunie, pour sauver tout ce qu’elle pouvait des rêves de bonheur qui l’avaient conduite au Canada.

Monia Mazigh demeure une Canadienne de fraîche date, musulmane pratiquante, qui a défendu notre État de droit et notre démocratie comme seuls quelques-uns l’ont fait au cours de notre histoire.

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Monia Mazigh, Les Larmes emprisonnées, récit, Montréal, Éditions du Boréal, 2008, 328 p., 29,95 $

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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