Le tribunal de Red Deer a-t-il été induit en erreur ?

Procès en français

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Publié 03/05/2016 par Gérard Lévesque

Lorsqu’un représentant de la Couronne ne consent pas à une demande présentée pour obtenir la tenue d’une audience en français en vertu du Règlement albertain 158/2013, il n’a pas à expliquer les motifs de sa position. Dans l’affaire R. c. Joey Couture, entendue le 22 février dernier devant le tribunal de Red Deer, un avocat de Justice Alberta s’est toutefois aventuré à tenter de justifier son non-consentement.

Il a prétendu que, dans la cause Caron (2015 CSC 56), la Cour suprême du Canada (CSC) a décidé qu’en Alberta, il n’y a pas de droit à un procès en français. L’affirmation est si catégorique qu’on peut se demander si, dans l’esprit de son auteur, elle inclut tant le procès criminel que le procès civil en français. Le poursuivant albertain a-t-il erré? Le tribunal a-t-il été induit en erreur?

Je partage avec vous des commentaires reçus à cet égard.

«C’est complètement loufoque! La Cour suprême n’a pas pu enlever des droits que l’Alberta elle-même reconnaît dans sa loi linguistique. La langue des procès n’était même pas en litige dans l’affaire Caron.»
Sébastien Grammond, ex-doyen, Faculté de droit, Section de droit civil, Université d’Ottawa, et un des avocats de Pierre Boutet.

«Je suis du même avis que Sébastien Grammond, en ajoutant, par ailleurs, que le législateur fédéral a prévu, aux articles 530 et ss., le droit de subir un procès criminel en français, la portée de ses articles ayant été interprétée de façon large par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac (1999).»
– Maître Frédéric Bérard, constitutionnaliste et codirecteur de l’Observatoire national des droits linguistiques, Faculté de droit, Université de Montréal.

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«La Cour suprême s’est prononcée uniquement sur la question du droit constitutionnel au bilinguisme législatif. Il n’y avait rien sur l’usage des langues dans les tribunaux.»
Edmund A. Aunger, professeur émérite en sciences politiques, Campus Saint-Jean, Université de l’Alberta.

«Dans Caron, la Cour d’appel de l’Alberta a spécifiquement exclu la question du droit à un procès en français, car la question était devenue théorique puisque Gilles Caron avait reçu son procès en français. Cette question n’était donc pas devant la CSC.»
– Maître Francis Poulin, un des avocats de Caron et de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF)

«La question traitée par la CSC était relative à l’article 3 de la Loi Linguistique de l’Alberta, un fait que nous pouvons facilement confirmer par référence à la décision de la CSC.»
– Maître Allan Damer, un des avocats de Boutet.

«C’est bien triste qu’un avocat de Justice Alberta a si mal compris la décision Caron où la Cour suprême s’est prononcée uniquement sur la question du droit constitutionnel au sujet du bilinguisme législatif. La décision de la Cour indique clairement que la Constitution n’oblige pas l’Alberta à édicter, à imprimer ni à publier ses lois et règlements en français. Mais la loi en Alberta reconnaît les droits linguistiques des francophones à subir un procès en français.»
Patricia Paradis, directrice générale, Centre d’études constitutionnelles, Université de l’Alberta

«Il fallait s’y attendre. Soit parce qu’ils sont ignorants, soit parce qu’ils sont mal intentionnés, des citoyens ou des praticiens du droit vont utiliser la décision de la Cour suprême dans la cause Caron pour essayer de restreindre les droits linguistiques des francophones en Alberta et en Saskatchewan. Ces derniers vont devoir redoubler d’efforts.»
– Professeur Yves Frenette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Migrations, transferts et communautés francophones, Université de Saint-Boniface, Winnipeg (Manitoba); auteur de l’avant-propos du volume Le statut du français dans l’Ouest canadien: la cause Caron.

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«L’affirmation n’est pas fausse, mais elle est incomplète. Dans Caron, même si n’était en jeu que la langue des lois, c’est l’ensemble de la constitutionnalisation des droits linguistiques en 1870 qui a été refusée; cela comprend donc la langue des procès. Dans cette mesure, Caron a décidé qu’il n’existe pas de droit constitutionnel à un procès dans sa langue en Alberta. Par contre l’Alberta a elle-même reconnu le droit d’utiliser sa langue devant certains tribunaux (dans la loi linguistique) et au moins un arrêt en a extrapolé le droit d’être compris sans l’aide d’un interprète (Pooran). Cela semble donc renverser Société des Acadiens dans lequel un droit semblable (utiliser le français devant les tribunaux du NB) avait été interprété comme n’incluant pas le droit d’être compris sans interprète. Mais Société des Acadiens était fondé sur l’interprétation via le compromis politique, une règle d’interprétation écartée dans Beaulac, ce qui pourrait permettre de réévaluer la conclusion tirée dans Société des Acadiens.»
– Professeur Pierre Foucher, Faculté de droit, Université d’Ottawa

«À mon avis, le poursuivant provincial a erré en affirmant: ‘clearly the Supreme Court has ruled that the … French language trials are not a right in the Province of Alberta, sir.’ Le bilinguisme judiciaire n’était pas en jeu dans l’affaire Caron et la Cour suprême a scrupuleusement évité de se prononcer sur cette question. L’affaire Caron portait uniquement sur le bilinguisme législatif. La Cour suprême du Canada ne s’est pas prononcée sur la question à savoir si l’article 4 de la Loi linguistique, RSA 2000, c L-6, donne le droit aux Franco-Albertains à un procès en français. La décision de la juge Brown dans l’affaire R c Pooran demeure, à ma connaissance, la seule autorité judiciaire sur cette question.»
– Professeur François Larocque, Faculté de droit, Université d’Ottawa, et un des avocats de Boutet et de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA).

«Quelle histoire indigne! Il faut que les juges puînés du Québec à la Cour suprême sachent ce que font les fonctionnaires de Justice Alberta avec leurs décisions.»
Jean-Marc Demers, avocat à la retraite, Québec.

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Transcription de l’audience du 22 février 2016

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Règlement unilingue anglais 158/2013, pris en application du texte bilingue de la Loi linguistique, RSA 2000, c L-6

Le statut du français dans l’Ouest canadien: la cause Caron, ouvrage auquel ont notamment collaboré Yves Frenette, François Larocque, Edmund Aunger et Pierre Foucher

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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