Le racisme est une affaire très personnelle

Léonie Tchatat, Haroun Bouazzi, Agnès Berthelot-Raffard, Jagmeet Singh.
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Publié 28/10/2016 par François Bergeron

Le racisme a beau être «systémique» (plutôt qu’officiel ou exprimé ouvertement dans notre société), il n’en demeure pas moins une expérience très «personnelle» d’exclusion, qui force ses victimes à adopter toutes sortes de stratégies d’adaptation ou de résistance.

C’est ce qu’on a entendu au cours d’une des trois activités en français de la conférence nationale de deux jours de la Fondation canadienne des relations raciales, au Centre culturel japonais canadien à Toronto les 26 et 27 octobre.

La panel, constitué par l’agent de projet de la FCRR pour les communautés francophones, le Torontois Thomas Gallezot, comprenait: Haroun Bouazzi, de l’Association des Musulmans et des Arabes pour la Laïcité, qui réclame une commission d’enquête sur le racisme systémique au Québec; la prof d’études féministes Agnès Berthelot-Raffard de l’Université d’Ottawa; Léonie Tchatat, la fondatrice et directrice de La Passerelle, qui travaille à l’intégration des immigrants francophones à Toronto; et le député provincial néo-démocrate de Bramalea-Gore-Malton, Jagmeet Singh.

Inégalités persistantes

Même si on était en terrain conquis dans ce congrès, on a pris la peine d’expliquer qu’il y a «racisme systémique» quand des inégalités persistent (par exemple, quand il est plus difficile pour des noirs ou des musulmans de décrocher un emploi ou un logement, voire seulement une entrevue) malgré des politiques et des déclarations officielles contre la discrimination et pour la diversité.

Plus simplement, pour certains panélistes, la réalité du racisme systémique est confirmée par la «perception» qu’en ont les personnes «racialisées», c’est-à-dire leur sentiment d’être maltraitées par les autorités en place, notamment la police, et d’une façon générale par la majorité «privilégiée».

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Le Québec présente une situation particulière, a dit Haroun Bouazzi, en ce qu’il a une majorité (francophone) qui est une minorité sur le continent (anglophone). «On risque donc d’être accusé de ‘Québec bashing’ dès qu’on soulève des problèmes comme le racisme au Québec, surtout si on a le malheur de le faire dans les médias anglophones.»

Le Québec plus raciste?

Le Québec est-il «plus raciste» que les autres provinces ou «en retard» en matière d’anti-racisme? Certains participants à la trop brève activité semblaient le croire. On a notamment décrié qu’on y comprendrait encore mal le concept d’«appropriation culturelle», Radio-Canada, par exemple, ayant voulu baptiser Pow wow une émission de variétés musicales avant de changer d’idée, l’an dernier, face aux critiques de représentants de Premières Nations.

On a aussi attribué à une intervention de la députée péquiste du coin, à l’Assemblée nationale, le récent saccage d’une mosquée à Sept-Îles (où il y aurait un grand total de 20 musulmans), qu’inexplicablement la police n’a pas classé comme un crime «haineux». De tels incidents font dire à Agnès Berthelot-Raffard que «la matrice du pouvoir est à la racine du racisme».

Léonie Tchatat a surtout présenté des statistiques tendant à démontrer que les immigrants et les minorités, plus souvent qu’à leur tour, réussissent moins bien à l’école que les «blancs» et y font plus souvent l’objet de mesures disciplinaires. Plus tard, ils décrochent de moins bons emplois, sont plus pauvres, plus souvent au chômage, vivent dans les quartiers les plus moches. Bien sûr, ce sont aussi les noirs et les minorités visibles qui sont stoppés par la police, arrêtés ou incarcérés en plus grand nombre.

Justement, ce même jeudi matin, la plénière entendait quatre chefs de police – dont celui de Toronto, Mark Saunders, et celui de l’OPP, Vince Hawkes – expliquer les moyens (essentiellement, une meilleure formation) qu’ils ont pris pour s’adapter à une société multiculturelle et empêcher chez nous ce que l’un d’eux a appelé un «effet Ferguson», du nom de la ville du Missouri qui a connu plusieurs jours émeutes suite à la mort d’un jeune noir abattu par un policier blanc en août 2014.

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Même si la mondialisation fait que les crises étrangères trouvent rapidement des échos chez nous, la situation canadienne est tout de même très différente, a fait valoir un des panélistes: nous comptons davantage de suicides de policiers que de personnes abattues par des policiers.

Profilage et harcèlement

«Il y a 30 ans, quand j’étais une recrue», a raconté Mark Saunders, «les trois principaux défis de la police étaient censés être son budget, les cas de santé mentale, et la diversité ethnique et raciale… Ce sont les trois mêmes priorités aujourd’hui!»

Reconnaissant que les interpellations arbitraires et le profilage racial – «l’éléphant dans la pièce», selon le modérateur – ont nui aux relations entre la police et les minorités, le chef Saunders a expliqué que ses policiers sont déjà formés à la désescalade des conflits et que le port de caméra pour enregistrer leurs interactions avec les citoyens va contribuer à améliorer les pratiques policières.

Avec une centaine d’intervenants oeuvrant au sein de gouvernements, d’universités et d’organisations en première ligne, la conférence nationale de la FCRR a aussi abordé des thèmes comme la réconciliation avec les Premières Nations, l’inclusion dans la société canadienne du point de vue des minorités religieuses, la lutte contre la radicalisation et les crimes haineux, la cyberviolence, l’intégration des réfugiés, et le multiculturalisme à l’aube du 150e anniversaire de la Confédération.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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