Le pétrole au Canada: source de prospérité ou facteur d’instabilité?

L’évolution récente du prix du pétrole montre que le Canada est un exportateur non négligeable des hydrocarbures pour les années à venir.
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Publié 08/02/2006 par Nirou Eftekhari

L’évolution récente du prix du pétrole sur le marché s’est traduite par d’importantes augmentations des prix du baril. Cela a notamment mis en évidence les perspectives qu’offre le Canada comme exportateur non négligeable des hydrocarbures pour les années à venir.

Le Canada est actuellement à la fois le 7e producteur et consommateur de ces produits dans le monde.

Canada et ses richesses

Sa richesse pétrolière, concentrée essentiellement en Alberta, dans la région d’Athabasca, au nord-est de la province, a été pendant longtemps négligée. En effet, les sables de cette région recèlent d’importantes quantités d’une substance appelée le bitume ou le pétrole lourd. C’est une sorte d’huile épaisse et adhésive. Dans son état naturel, elle ne coule que si elle est réchauffée ou diluée dans d’autres substances.

Séparer le pétrole lourd des sables a été un défi extraordinaire par rapport au pétrole dit conventionnel que l’on trouve en quantité abondante dans le golfe Persique et dont le coût d’extraction est exceptionnellement bas.

Bien que la méthode de séparation ait été développée il y a presque 80 ans, le coût de production excessivement élevé a freiné l’exploitation des potentiels pétroliers de l’Alberta. À titre de comparaison, alors que le coût d’extraction d’un baril de pétrole brut dans le golfe Persique est d’environ 1 $ US. De l’autre côté, celui obtenu des sables bitumineux est actuellement estimé par différentes sources entre 25 et 30 $ US.

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Prix du pétrole et inflation

La récente hausse du prix de pétrole a donc mis en valeur les réserves canadiennes des hydrocarbures qui sont loin d’être négligeables. Selon le Oil and Gas Journal, celles-ci placent désormais le Canada au rang du deuxième pays riche en pétrole dans le monde, juste derrière la géante Arabie Saoudite.

Les réserves de pétrole conventionnel du Canada ont été au 2/3 exploitées, celles de son pétrole lourd sont par contre presque intactes. Ce qui est vrai du Canada l’est également du reste du monde. Avec la pénurie des produits pétroliers et la forte augmentation de la demande, le Canada dirige de plus en plus vers l’exploitation du pétrole non conventionnel que l’on trouve en grande quantité au Canada.

prix du pétrole canada - Pétrole liquide
Pétrole liquide. Photo : Pexels

En 2004, le Canada a produit 3,1 millions de barils par jour (mbj) de pétrole et en a exportés presque 1,4 mbj, essentiellement aux États-Unis. Le Canada constitue alors une source majeure de produits pétroliers et de gaz importés.

La forte croissance de la demande de ces produits en Chine a conduit ce pays à s’intéresser également au pétrole lourd. Sa part dans la production totale de pétrole au Canada a été multipliée par quatre depuis 1990.

La Chine, qui a déjà remplacé le Japon comme deuxième consommateur de pétrole dans le monde, a en effet une soif inassouvie pour ces produits. À titre d’exemple, alors que la demande de pétrole a augmenté de 15% aux États-Unis entre 1994 et 2004, on estime qu’elle augmentera du même taux cette année seulement en Chine.

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Sécurité

Du point de vie de la sécurité de ses approvisionnements pétroliers, le Canada représente pour les États-Unis – avec lesquels il partage 5 000 miles de frontière – et pour la Chine, plusieurs avantages considérables: situé en Amérique du Nord, le Canada n’est pas un membre de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et jouit d’une stabilité politique et d’un système parlementaire qui le mettent à l’abri des soubresauts politiques, bien connus des producteurs du Moyen-Orient.

Grâce aux augmentations récentes du prix du pétrole qui selon de nombreux observateurs constituent un mouvement irréversible, le Canada est en voie de surmonter les obstacles qui se sont historiquement opposés à la mise en valeur de ses ressources d’hydrocarbures.

La Chine a montré un grand appétit pour le pétrole de l’Alberta. Deux sociétés pétrolières chinoises, Petro China et Sinopec, ont signé avec les compagnies canadiennes des accords de participation à l’exploitation du pétrole de cette province.

Au mois de janvier dernier, Petro China a signé avec la firme canadienne Enbridge un accord de coopération pour la construction d’un oléoduc de 750 miles. Ce dernier devra évacuer 2 mbj de pétrole brut albertain vers les ports pacifiques de la Colombie-Britannique.

Cet intérêt de la Chine pour le pétrole canadien et son prix, qui est également convoité par les États-Unis, permettra au Canada de diversifier ses marchés d’exportation. Ils pourront aussi se servir de son nouveau statut sur la scène pétrolière internationale afin d’améliorer sa position dans les dossiers, tels que le bois d’oeuvre, qui l’opposent à son voisin du Sud.

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prix du pétrole canada - Chevalet de pompage
Chevalet de pompage.
Photo : Wikimedias Commons

Positif pour l’économie canadienne ?

L’expansion des activités pétrolières va certainement produire d’autres retombées positives au sein de l’économie canadienne. On anticipe que d’ici 2012, 102 000 nouveaux emplois seront créés par le développement de l’industrie pétrolière qui déjà est responsable de l’embauche de 525 000 personnes à travers le pays. Selon le CERI (Canadian Energy Research Institute), 44% des emplois générés par les investissements dans le domaine pétrolier le seront en dehors de l’Alberta, avec 16% en Ontario.

Cependant, quels que soient les avantages que le Canada peut retirer du développement de ses activités pétrolières en Alberta, celles-ci ne vont pas sans provoquer certains déséquilibres économiques et politiques sérieux, bien connus d’autres pays exportateurs de pétrole. Bien sûr, le Canada est loin de constituer un pays pétrolier typique avec des structures économiques et sociales polarisées par une seule ressource minière.

Le Canada fait partie du Groupe des huit pays les plus industrialisés de la planète, avec un secteur industriel moderne et diversifié qui contribue jusqu’à 30% de son PIB. Peut-être les meilleurs exemples auxquels peut se comparer le Canada du point de vue de l’impact attendu de l’importance grandissante de son secteur d’hydrocarbures, sont la Norvège et la Hollande d’il y a presque deux décennies.

On sait que la découverte du pétrole dans la mer du Nord et le développement des activités off-shore dans les années 70 et 80 ont produit un certain nombre d’effets pervers, connus sous le nom «Mal hollandais» (Dutch disease).

Celui-ci s’est historiquement manifesté par le déclin des activités industrielles traditionnelles, les goulots d’étranglement provoquant des tensions inflationnistes, la perte de compétitivité, la dépendance vis-à-vis des importations, l’expansion du secteur public et des activités de service financées et alimentées par la rente pétrolière, etc.

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Quels effets négatifs face au pétrole canadien?

La Canada n’est pas à l’abri de ces effets pervers, comme on peut le constater depuis 2004 avec l’appréciation de son de taux de change. Cela est due essentiellement à la revalorisation de ses ressources énergétiques qui comptent actuellement pour environ 40% de ses exportations totales et un quart du volume de ses marchés boursiers.

L’appréciation du huard inquiète de plus en plus les économistes qui y voient les risques d’une perte des emplois manufacturiers et des parts de marché au Canada et à l’étranger.

Par ailleurs, comparé à la Norvège ou la Hollande, le Canada est un pays bien plus décentralisé. Les provinces jouissent d’un certain degré d’autonomie dans la gestion de leurs activités économiques. La richesse pétrolière de l’Alberta est enjeu important qui a depuis longtemps opposé le gouvernement provincial à Ottawa.

Dans les années 70, au lendemain du premier choc pétrolier, un débat s’est engagé quant à la propriété juridique des gisements en pétrole, la fixation des prix et la taxation des revenus pétroliers.

Politique énergétique nationale et pétrole

La politique énergétique nationale (PEN) de Pierre Elliott Trudeau qui tentait de protéger les Canadiens de la hausse des prix des carburants en refusant de permettre à l’Alberta de vendre son pétrole au prix international avait provoqué la fureur des Albertains qui y voyaient une ingérence inacceptable dans leurs décisions économiques.

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Le bras de fer entre Ottawa et le gouvernement de l’Alberta qui menaçait de couper les approvisionnements en pétrole de l’Ontario et du Québec a duré plusieurs années. En 1981, l’Alberta a finalement mis à exécution ses menaces et a obligé Trudeau à signer un accord. Cet accord reconnaissait à l’Alberta une plus grande voix au chapitre de la fixation des prix du pétrole au canada et de sa part des revenus.

Cependant, le mécontentement de cette province relativement au contrôle de ses richesses minières ne s’est pas pour autant effacé. Il refait surface périodiquement, surtout lors des élections fédérales.

 

prix du pétrole canada - Plate-forme pétrolière : un des symboles de cette puissante industrie.
Plate-forme pétrolière : un des symboles de cette puissante industrie.
Photo : Wikimedias Commons

Alberta et désaccords

L’Alberta met en particulier l’accent sur la disproportion entre sa contribution aux divers programmes fédéraux. Sa participation au système fédéral des paiements de transfert dont elle est la plus importante pourvoyeuse de fonds. Cela s’ajoute aux  taxes et royalties versées par les compagnies pétrolières actives sur son territoire à Ottawa, et le nombre restreint de sièges qui la représentent au Parlement canadien, 22 contre 106 pour l’Ontario.

Certaines voix n’hésitent pas à faire l’écho des convictions partagées par une proportion non négligeable d’Albertains qui pensent que, grâce à leurs potentiels miniers, leur province ou l’Ouest du Canada connaîtraient une situation bien plus prospère en quittant la confédération canadienne.

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En effet, tous les indicateurs économiques, qu’il s’agisse, par exemple, du taux de chômage, du taux de progression du PIB, du niveau des exportations ou du volume des investissements, placent l’Alberta dans une bien meilleure position que le reste du Canada.

De plus, l’Alberta est également la province où l’on paie le moins d’impôts sur le revenu. C’est la seule province où il n’y a pas de TVP (taxe de vente provinciale) et qui cette année va complètement éponger sa dette.

On peut bien sûr questionner le sérieux des déclarations en faveur de la séparation de l’Alberta et de la place réelle qu’une telle idée occupe dans l’esprit de ses 2 à 2,5 millions d’habitants.

Une chose est cependant certaine: le prix du pétrole au canada, comme l’huile sur le feu, a attisé les débats. Ces débats opposent depuis plusieurs années cette province à Ottawa. Un jour, ils pourraient prendre des dimensions insoupçonnées. Comme l’a montré l’expérience d’autres pays pétroliers, la politique et le pétrole sont parfois un mélange très explosif.

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