Le Père Noël pris en flagrant délit à Toronto

Chaque année, Père Noël a beaucoup d’escaliers à monter, ce qui l’essouffle un peu. Et il y a tous ces immeubles qui n’ont pas d’ascenseur, de quoi faire suer Père Noël. Quant à avoir une cheminée à chaque maison, ça serait trop en demander. Tant et si bien que le Père Noël accuse un retard dans sa livraison. Pas étonnant qu’il file à toute allure au moment d’arriver aux abords du lac Ontario.

– À propos, Père Noël, n’avais-tu pas dit «juste un kilomètre sur l’autoroute 401, avant la sortie pour le centre-ville de Toronto»? lui demande Vieux Renne. Or ça fait trois sorties que nous dépassons. Je suggère donc de prendre la prochaine.

– C’est moi qui détiens la liste des commandes et le plan de navigation. Par conséquent, je sais où nous devons sortir, répond Père Noël d’une voix sonore qui dégage de la buée dans l’air frais entourant la Ville-Reine en ce 24 décembre 2009.

Mais Père Noël se rend compte que sa liste de commandes n’est pas complète. On a certainement oublié des noms. Il y a les Allard, Boivin et Comartin, les Desmarais, Emery, Fortin et Gingras, les Hussain, Juneau et Koscielniak, mais personne sous les lettres L et M, les deux lettres de l’alphabet sous lesquelles se trouvent le plus grand nombre de patronymes dans les bottins téléphoniques francophones. Les lutins Alpha et Omega auraient-ils cogné des clous durant leur quart de travail?

Père Noël est inquiet. Il a la réputation de n’avoir jamais déçu un enfant de la Ville-Reine. «Pas d’entorse à la sacro-sainte règle, pas d’accroc à la légendaire tradition», s’exclame-t-il en empruntant allégrement la sortie Gardiner Expressway.

La circulation est calme, juste quelques taxis en sens inverse, roulant probablement vers l’aéroport Pearson. Père Noël profite de cette accalmie et compose le numéro de lutin Alpha sur son cellulaire.

– Alpha, c’est Papy. Ma liste de commandes n’est certainement pas complète. Aucun nom commençant par la lettre L ou la lettre M. Cela n’est pas normal.

– Je corrige l’erreur immédiatement, Papy, et je t’envoie les noms manquants. J’espère que cela ne te causera pas d’ennuis. Toutes mes excuses, Papy. J’ai dû cogner des clous…

– On s’en reparlera, mon p’tit Alpha Caca! Je dois te laisser car un policier vient de s’approcher de mon traîneau. Je ne dépassais pourtant pas la vitesse limite. Je me demande bien pourquoi il me fait signe de me ranger sur l’accotement…

Père Noël s’arrête devant le Marché St. Lawrence. De scintillantes lumières dessinent une scène de la Nativité au sommet de l’édifice Sud et des sapins sont illuminés à chaque coin de rue. La féerie est de courte durée car le policier à la mine sévère s’approche.

– Père Noël, je vous prends en flagrant délit! Vous, la plus auguste personnalité du 24 décembre, en train de conduire d’une main et de tenir un cellulaire de l’autre main! Vous devriez savoir que c’est interdit en Ontario.

– Ce règlement est nouveau, n’est-ce pas? Je ne me souvenais pas s’il s’appliquait à l’Ontario, au Québec ou au Nouveau-Brunswick.

– C’est effectivement la loi en Ontario. Je vous donne un avertissement pour cette fois-ci. Mais l’an prochain, vous aurez droit à une contravention de 500 $ si vous êtes pris en flagrant délit. À bon entendeur, salut! Et bonne distribution de cadeaux. N’oubliez pas le 17, avenue Carlaw…

Avant de démarrer, Père Noël vérifie ses messages. Lutin Alpha a envoyé une liste révisée des adresses torontoises. Sous la lettre L il y a L’Express. Le cadeau à livrer au 17, avenue Carlaw est joliment ficelé.

Ce n’est pas un gros colis. Père Noël pourra le glisser sous la porte, voire le placer à la une du journal puisqu’il s’agit d’un conte.