Le partage de la culture à l’ère numérique: pas facile

Forum sur la nouvelle Loi C-11

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Au forum de La Cité et de l'UOF sur les contenus culturels numériques, le 8 mai dans l'agora de l'UOF. Photos: l-express.ca
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Publié 10/05/2023 par Dorian Vidal

Après plus d’un an de débats au Parlement canadien, la Loi C-11 a reçu la sanction royale fin avril. Ce texte, portant sur la diffusion en ligne de «contenu» culturel, a encore du chemin devant lui. Il devrait entrer en vigueur d’ici à la fin de l’année 2024, selon le plan réglementaire du CRTC.

Cette loi, son contenu et ses effets étaient au centre d’un forum organisé le 8 mai à Toronto par le Collège La Cité et l’Université de l’Ontario français (UOF). L’événement était notamment soutenu par le gouvernement du Québec.

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La présentatrice Caroline Isautier et les panélistes Monique Simard, Luc Perreault, Pierre Trudel, Frédéric Letendre.

La nécessité de s’adapter

Le monde numérique n’est pas vieux, c’est même tout le contraire. Depuis le début du siècle, beaucoup de changements ont pu être observés. Avec l’internet, de nombreux secteurs ont été chamboulés, affirme Frédéric Letendre, avocat et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et droit des technologies.

Plus encore, Monique Simard dénonce le «développement sauvage» des différents outils numériques.

L’ex-syndicaliste et dirigeante d’agences culturelles était membre du groupe d’experts d’examen de la législation en radiodiffusion et télécommunications. Elle souligne qu’il n’y a tout de même pas eu que du mauvais, pour la culture, dans le développement de l’internet.

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Monique Simard, Luc Perreault, Pierre Trudel, Frédéric Letendre.

Vide juridictionnel

L’histoire est toujours intéressante, et nous apprend beaucoup. Ainsi, explique Luc Perreault, président des Jeunesses musicales du Canada, l’industrie musicale a été forcée de totalement se métamorphoser.

Les artistes ne tirent plus aucun bénéfice de leurs albums, mais principalement de leurs concerts. Il faut alors «éviter de répéter les erreurs du passé».

Mme Simard souligne que cela fait bien longtemps que le secteur de l’audiovisuel est «fortement réglementé». Les nouvelles plateformes de diffusion ne resteront pas une exception longuement. D’autant plus que le système actuel ne bénéficie pas assez aux créateurs canadiens.

C’est ce qu’affirment les différents panélistes, comme Pierre Trudel. Le professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal explique que «si le marché fonctionne pour le contenu mainstream, cela ne fonctionne pas pour le contenu francophone et canadien».

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La présentatrice Caroline Isautier, Marie-Christine Morin, DG de la Fédération culturelle canadienne-française, Hela Zahar, professeure et responsable du pôle d’études et de recherche en cultures numériques à l’UOF.

Donner une place égale à tous

Les consultations permettant de «moderniser le système de radiodiffusion du Canada» devraient bientôt s’ouvrir. Il n’est pas possible de savoir exactement quelles mesures seront alors appliqués.

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Cependant, Mme Simard explique qu’il est envisageable d’espérer la mise en place d’une obligation de contribution au Fonds des médias du Canada pour financer davantage de créations.

Si internet était supposé «rapprocher», dans les faits, l’inverse saute plus aux yeux. «Internet a créé une facture dans la distribution du contenu», affirme Hela Zahar.

«La loi du marché met en avant les plus gros, au détriment des débutants ou moins reconnus», explique la professeure et responsable du pôle d’études et de recherche en cultures numériques à l’UOF.

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Caroline Isautier, Marie-Christine Morin, Hela Zahar.

La représentation des minorités

Le modèle économique même des plateformes musicales a beaucoup été scruté, mettant en lumière une rémunération loin d’être égalitaire. En plus de cela, Mathieu McKenzie et Florent Vollant, propriétaires du Studio Makusham, sur la côte Nord du Québec, soulignent l’impossibilité de s’identifier en tant qu’artiste autochtone sur les plateformes.

«Nous, nous sommes des faiseurs de chansons, des rêveurs», explique M. Vollant. «On ne parle pas la même langue que ces plateformes», déclare-t-il. Les termes techniques comme «algorithme», font peur aux artistes comme MM. Vollant et McKenzie.

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Les musiciens innus Mathieu McKenzie et Florent Vollant participaient à distance au forum de La Cité et de l’UOF.

La clé: l’algorithme

C’est pour cela qu’il faudrait «développer un langage pour les artistes», les aider à prendre en main ces nouveaux outils, affirme Marie-Christine Morin, directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française.

Pour la professeure Zahar, «le diable se cache dans les détails», quand il est question de la Loi C-11. Selon elle, l’algorithme est un acteur essentiel, dont on ne connaît pas assez bien le fonctionnement.

Pour le musicien Jean-Robert Bisaillon, consultant en création de sites webs culturels, l’algorithme n’est pas tout. L’auditeur reste maître de ses choix, d’autant plus que la fonctionnalité de recommandations des plateformes n’est pas parfaite.

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Jean-Robert Bisaillon, musicien, auteur-compositeur-interprète, expert des questions de «découvrabilité» des contenus culturels.

Des entreprises avant tout

Les enjeux soulevés dans le cadre de ce forum sont «politiques et économiques», rappelle Frédéric Letendre. Monique Simard souligne que les différentes plateformes ne proposent pas leurs services par plaisir. «Si elles font ce qu’elles font, c’est qu’elles se font de l’argent», affirme la présidente du conseil d’administration du Fonds Québecor.

Les débats au Parlement ont été très longs. Pour Pierre Trudel, il y a eu beaucoup d’exagérations. Selon lui, contrairement aux craintes soulevées par l’opposition conservatrice, cette loi «ne s’applique qu’aux contenants, et pas aux créateurs de contenus, comme les petits créateurs de vidéos YouTube».

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Cette loi doit alors pousser les plateformes à «accompagner et repenser les manières de créer et de diffuser», souligne Frédéric Letendre.

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Au forum de La Cité et de l’UOF sur les contenus culturels numériques.

Et si on créait une plateforme?

Le contenant joue un rôle majeur dans la circulation des valeurs, explique Hela Zahar. Pour mieux partager la culture francophone et canadienne, vient alors l’idée de créer une plateforme. Mme Zelar explique qu’il faudrait peut-être appliquer cette «plateformisation» de la culture. Selon elle, «on peut devenir un gros joueur si on s’y investit vraiment».

Il existe déjà Aire Ouverte, monde virtuel accessible à tous, qui «représente le secteur des arts et de la culture francophone du Canada».

Frédéric Letendre souligne également qu’il est plus que jamais «nécessaire de travailler en réseau». Pour faire plier les acteurs indépendants, une collaboration internationale serait sans doute plus efficace.

Pour répondre à toutes les problématiques soulevées lors de ce forum, il faudra du temps. De plus, le temps législatif n’est pas aussi souple et fluide que le temps numérique. D’ailleurs, le développement rapide des intelligences artificielles pourrait prochainement nécessiter de nouvelles discussions et législations.

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