Le gazon synthétique responsable du décès de joueurs de baseball?

gazon synthétique, baseball
Le Veterans Stadium de Philadelphie. Photo: Paul Altobelli, Veterans Stadium Final Game, September 28, 2003, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=17578936
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 12/05/2023 par Kathleen Couillard

Les produits chimiques qui composent le gazon synthétique de certains stades pourraient-ils expliquer les décès de plusieurs joueurs de baseball professionnels? Vérifions si cette hypothèse tient la route.

Le stade des Phillies

En 2017, le New York Times soulignait que plusieurs joueurs des Phillies de Philadelphie étaient décédés depuis 2003 d’un cancer du cerveau particulièrement agressif, le glioblastome. Ces anciens membres de l’équipe de baseball, notait le reportage, avaient tous joué au Veterans Stadium entre 1971 et 2003, un des premiers stades recouverts de gazon synthétique.

En mars 2023, le Philadelphia Inquirer a publié les résultats d’une enquête sur les décès chez les Phillies. En tout, six joueurs sont décédés d’un glioblastome.

Selon une estimation des journalistes, le taux de cancer du cerveau chez les Phillies qui ont joué au Veterans Stadium serait trois fois plus élevé que chez la moyenne des hommes adultes.

Cependant, cette estimation a ses limites. Selon les experts, le risque calculé pourrait être uniquement le résultat du hasard.

Publicité

Quatre échantillons de gazon

Les journalistes ont également acheté quatre échantillons du gazon synthétique qui recouvraient le sol du Veterans Stadium entre 1977 et 1982.

Les tests réalisés sur ces échantillons ont détecté des composés perfluorés (PFAS), des substances chimiques considérées comme potentiellement cancérigènes.

L’article suggère donc que c’est l’exposition au gazon synthétique qui serait responsable de ces décès.

Des produits chimiques dans le gazon synthétique?

Les premiers gazons synthétiques ont été introduits en Amérique du Nord dans les années 1960. Ils étaient alors constitués de fibres de nylon, rapporte l’Agence de protection de l’environnement (EPA) dans un rapport sur la question paru en 2019.

Une deuxième génération de gazon synthétique a ensuite été développée avec des fibres de gazons plus longues en polyéthylène, en polypropylène ou en polyamide, explique l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), qui avait pondu un rapport sur la question dès 2008.

Publicité

L’espace entre les fibres était rempli d’une mince couche de sable. Depuis l’introduction de la troisième génération en 1995, on ajoute aussi des granules en caoutchouc provenant généralement du déchiquetage de pneus recyclés.

Attention à la chaleur

Des chercheurs de la Norvège en 2006 et du Connecticut en 2011 ont effectivement détecté des composés organiques volatils, sous forme d’aérosols dans l’air, au-dessus de terrains de gazons synthétiques.

Selon une étude réalisée en Italie en 2014, l’émission de certaines substances est continuelle lorsque la température est élevée. Ce qui est particulièrement préoccupant, puisque les particules de caoutchouc du gazon synthétique peuvent atteindre 60°C par une chaude journée d’été.

Ces substances pourraient ainsi être inhalées par les joueurs.

Des dizaines de substances cancérigènes

En 2019, des scientifiques américains ont analysé 20 publications dans lesquelles la présence de contaminants chimiques dans les particules de caoutchouc avait été mesurée. Ils ont ainsi identifié 306 substances, dont 197 potentiellement cancérigènes.

Publicité

Les chercheurs soulignent que ces substances pourraient être ingérées par accident, en particulier par les enfants qui ont tendance à porter les mains à la bouche.

Les joueurs de soccer seraient aussi plus susceptibles d’être exposés à ces produits chimiques par le biais d’une exposition cutanée.

Par ailleurs, dans une étude publiée en 2023, des chercheurs de l’université Yale ont mesuré la présence de certains PFAS dans les gazons synthétiques. Ils ont remarqué que la quantité était trois fois plus importante dans les fibres de gazon que dans les particules de caoutchouc.

Quels effets sur la santé?

Si la présence de substances préoccupantes est claire, peut-on toutefois établir un lien avec des problèmes de santé?

En 2022, des chercheurs du New Jersey ayant réalisé une revue de littérature ont souligné que peu d’études se sont penchées spécifiquement sur les effets sur la santé du gazon artificiel. Les avis sur le sujet sont donc contradictoires.

Publicité

Par exemple, les auteurs de l’étude italienne croient que la quantité de substances toxiques relâchées par les gazons synthétiques constitue un danger pour la santé publique.

À l’inverse, les chercheurs du Connecticut et de la Norvège estiment que l’exposition à ces contaminants n’est pas assez importante pour nuire à la santé des athlètes.

Les gazons plus propres avec le temps

Des chercheurs américains avaient analysé des échantillons de gazon synthétique et des particules de caoutchouc dès 2008. Ils avaient noté que la concentration de PAH et de métaux lourds déclinait avec le temps.

C’est-à-dire que les gazons synthétiques installés depuis un certain temps émettaient moins de substances chimiques que les gazons nouvellement installés. De plus, les substances relâchées étaient peu ou très peu absorbées par le corps.

Des chercheurs chinois avaient pour leur part réalisé une revue de la littérature scientifique sur le sujet en 2013. Ils ont conclu que les effets sur la santé du gazon synthétique seraient préoccupants, mais uniquement pour des installateurs de gazon artificiel qui travaillent dans de petites installations mal ventilées, et ce, depuis plusieurs années.

Publicité

Dans le même esprit, selon des simulations menées par l’Office of Environmental Health Hazard Assessment (OEHHA) en 2007, l’exposition des enfants aux particules de caoutchouc pourrait augmenter leur risque de cancer plus tard… Mais en supposant une utilisation régulière d’un gazon synthétique (par exemple, sur une surface de jeux) pendant les 12 premières années de vie.

Une cause de cancer?

Enfin, même si certaines substances préoccupantes se retrouvent dans le gazon synthétique et peuvent avoir des effets sur la santé, cela n’est pas suffisant pour faire un lien entre le Veterans Stadium et le cancer du cerveau.

La Société américaine du cancer rappelle qu’il est généralement difficile de prouver qu’un élément de l’environnement cause une forme ou l’autre de cancer.

En effet, le cancer est une maladie fréquente: près de 4 personnes sur 10 vont en souffrir au moins une fois dans leur vie. C’est pourquoi observer plusieurs personnes avec un cancer dans un même groupe peut être le fruit du hasard.

Besoin d’enquêtes minutieuses

Par ailleurs, l’Institut national du cancer des États-Unis souligne que l’incidence de cancer peut être plus élevée dans un groupe, sans que les cas soient reliés entre eux.

Publicité

Par exemple, une étude américaine de 2012 avait étudié 576 situations où l’incidence de cancer semblait plus élevée que la normale. Après vérification, l’incidence plus élevée a été confirmée dans seulement 20 cas et la cause a été identifiée dans seulement trois.

Pour démontrer un lien entre l’environnement et le cancer, il faut évidemment mener une enquête minutieuse. Les experts examinent les diagnostics pour déterminer s’il s’agit du même type de cancer dans tous les cas.

Ils comparent ensuite le nombre de cas avec ce que l’on voit normalement chez des personnes du même âge, du même sexe et du même groupe ethnique. Ils s’assurent aussi d’avoir l’historique médical des victimes.

Enfin, ils cherchent une exposition commune à un facteur environnemental qui peut avoir eu lieu il y a plusieurs années, sachant qu’il y a toujours un délai entre l’exposition et l’apparition du cancer.

Auteurs

  • Kathleen Couillard

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

  • Agence Science-Presse

    Média à but non lucratif basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur