Le français est-il en déclin au Québec? Ce qu’il faut savoir…

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Grosse différence, du point de vue démolinguistique, entre Montréal et le reste du Québec. Photo: Ville de Montréal
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Publié 12/09/2025 par Stéphane Desjardins

À intervalles réguliers depuis des années, la question du déclin du français au Québec refait débat. Pour les uns, le français recule inexorablement, pour les autres, il s’agit d’une opinion alarmiste. Peut-on faire abstraction des opinions et s’en tenir uniquement aux chiffres?

Les principaux facteurs qui influencent le statut d’une langue sont l’accroissement naturel (les naissances moins les décès), les migrations internationales et interprovinciales, la mobilité linguistique intergénérationnelle, l’environnement économique et juridique.

Mais il y a aussi un autre facteur, qui explique les débats: les méthodes d’analyse des démographes.

Il existe essentiellement deux approches dites démolinguistiques: la langue maternelle et la capacité de soutenir une conversation en français. Cette dernière est plus complexe qu’elle n’y paraît parce que l’usage du français varie en fonction du contexte: maison, école, travail, espace public, consommation de produits culturels.

On désigne aussi cette deuxième approche par le concept de «première langue parlée», c’est-à-dire la langue dans laquelle une personne est le plus à l’aise de communiquer. Cette approche ne fait pas consensus chez les démographes.

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La langue d’usage à la maison

Par exemple, si on ne s’arrête qu’à la première langue parlée à la maison, il y a bel et bien une baisse «continuelle du français sur l’île de Montréal depuis 1971», tranche Marc Termotte, professeur associé au département de démographie de l’Université de Montréal.

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Marc Termotte.

«Ce phénomène est important, car la première langue parlée à la maison influence la langue parlée par les enfants, donc l’avenir. Et il s’étend aux banlieues, soit l’ensemble de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal.»

Mais la baisse est moins importante que celle du français comme langue maternelle.

Citant une étude de 2019 de l’Office québécois de la langue française (OQLF), Jean-Pierre Corbeil, professeur associé à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, distingue le français comme langue maternelle, qui a chuté de 3,8% entre 2011 et 2016, et le français comme langue la plus parlée à la maison ou au travail, qui a aussi baissé, mais de 0,9%.

On peut y voir un effet de la loi 101, qui a eu un impact important en obligeant les enfants d’immigrants à étudier en français au primaire et au secondaire.

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La langue de travail

En comparaison, Jean-Pierre Corbeil constate qu’entre 2011 et 2016, la proportion des travailleurs de langue maternelle anglaise ou tierce utilisant exclusivement l’anglais au travail avait baissé de 6 ou 7 points de pourcentage.

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Jean-Pierre Corbeil.

«Est-ce encourageant ou pas? Il se fait très peu de recherche sur l’influence de la mondialisation de l’économie sur la langue de travail, commente-t-il. Montréal est une plaque tournante de plusieurs industries de pointe, où l’anglais est généralisé, malgré la Charte de la langue française, qui impose le français comme langue de travail. L’accroissement des exportations impose l’anglais comme langue d’usage. Ce qui se traduit par une hausse du bilinguisme au travail : doit-on en conclure au recul du français?»

Bref, les experts ne s’entendent pas sur les indicateurs les plus pertinents pour mesurer l’utilisation du français au quotidien.

Les démographes ne s’entendent pas non plus sur des notions en apparence simples, comme la langue parlée à la maison ou comme la définition de ceux qui parlent occasionnellement le français.

Certains dénoncent même des approches qui peuvent mener à des distorsions méthodologiques, comme l’affirmait le démographe Michel Paillé dans Le Devoir, en mars 2022. M. Paillé critiquait le traitement des données de Statistique Canada, particulièrement lorsque plus d’une langue est utilisée par une même personne.

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La langue d’usage dans les commerces 

«Doit-on considérer la langue qu’on utilise au dépanneur ou durant la rencontre annuelle chez le médecin, comparée à la langue de travail», demande M. Corbeil, qui rappelle qu’en novembre 2020, le Journal de Montréal avait fait grand bruit avec son enquête sur l’accueil dans les commerces du centre-ville de Montréal.

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Michel Paillé.

La journaliste avait visité une trentaine de boutiques et restaurants: la moitié l’avaient accueillie uniquement en anglais.

La problématique n’est pas nouvelle. En 1972, la Commission Gendron soulignait qu’en 1970 et 1971, 13% des francophones québécois avaient de la difficulté à se faire servir en français. En 2017, le Conseil supérieur de la langue française rapportait que 17% de ses enquêteurs avaient été accueillis exclusivement en anglais et 8% de manière bilingue dans les commerces de l’Île de Montréal.

En 2019, l’OQLF a publié un rapport sur cette question, à partir d’un échantillon de 3097 commerces et 2402 résidents de l’île de Montréal. Le taux d’accueil en français s’établissait à 74,6%. Seulement 3,6% des commerces n’offraient un service qu’en anglais. Cette proportion grimpait toutefois à 20% le soir et les fins de semaine, et à 34% dans l’ouest de l’île.

Autrement dit, si on se fie à l’usage du français dans les commerces montréalais, il y a régression, mais ça dépend du territoire.

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La mobilité linguistique des immigrants

Un enjeu important pour considérer l’évolution à long terme est celui des immigrants. Ainsi, ceux qui arrivent de pays non francophones se convertissent-ils en nombre assez élevé au français?

Selon Marc Termotte, le gain annuel moyen est d’environ 2000 personnes, grâce essentiellement à la francisation des immigrants. «Ce sont des peanuts», dit-il. Qui plus est, les immigrants «ont en moyenne 32 ans, un âge où on change difficilement de langue».

C’est plutôt l’immigration provenant de pays francophones qui fait toute la différence, pas la mobilité linguistique. Mais l’immigration non francophone est plus importante, rappelle Marc Termotte.

Son étude de 2011, menée avec Frédéric Payeur et Normand Thibault, sur les perspectives à Montréal de 2006 à 2056, commandée par l’OQLF, citait pourtant une baisse marquée du poids des anglophones et même une petite hausse des francophones entre 1971 et 2011 dans la RMR de Montréal.

Selon les auteurs, les années suivant 2011 seraient marquées par la fin de la décroissance de la population anglophone, qui s’explique par le quasi-arrêt des migrations interprovinciales et la hausse du poids démographique des allophones depuis 2001 (passés de 11% à 21% sur l’île de Montréal, et de 4,5% à 7,6% pour l’ensemble du Québec).

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L’étude prévoyait alors que le pourcentage de francophones sur l’île, déjà passé de 61% en 1971 à 54% en 2006, serait de 47% en 2031. Le déclin chez les anglophones serait moins prononcé: de 27% en 1971, à 23% en 2031. Ce sont les allophones qui présentent la plus forte croissance: de 11% en 1971 à 30% en 2031. C’est peut-être auprès de ce segment de la population qu’on remarque les effets de la Loi 101.

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Jean-François Roberge, ministre québécois de l’Immigration, la Francisation, l’Intégration, la Langue française et la Francophonie canadienne. Photo: gouvernement du Québec

Des projections complexes

En 2021, l’OQLF avait tenté de tenir compte de toutes ces variables, dans une étude portant sur divers scénarios de projections linguistiques au Québec, de 2011 à 2036. Les démographes René Houle et Jean-Pierre Corbeil y étudiaient la langue le plus souvent parlée à la maison et la capacité de soutenir une conversation en français ou en anglais, en tenant compte d’une variable dérivée de ces caractéristiques, soit la première langue parlée.

Dans leurs projections, le poids démographique des personnes étant le plus à l’aise d’utiliser le français comme langue parlée diminuerait de 2 à 5 points de pourcentage d’ici 2036.

L’étude avançait certains scénarios, comme l’augmentation de la part des immigrants économiques provenant de pays francophones ainsi que la connaissance du français chez les jeunes ou bien dès l’arrivée en sol québécois. Elle concluait que ces scénarios auraient un effet limité. Même si 100 % des immigrants économiques provenaient de pays francophones (ce qui est impossible), l’effet demeurerait marginal.

Un déclin réel, mais lent

Pour Alain Bélanger, professeur titulaire à l’INRS et spécialiste des microsimulations et des projections démographiques, «le déclin du français est réel. Mais comme la démographie évolue lentement, on ne peut pas affirmer que le français va disparaître d’ici 50 ou 100 ans».

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Alain Bélanger.

M. Bélanger illustre qu’en 1945, on prévoyait qu’en 1971, la population du Québec surpasserait celle de l’Ontario. «La fécondité des Québécoises était alors plus élevée que celle des Canadiennes anglaises», rappelle-t-il.

«À l’époque, Naftan Keyfitz, démographe québécois chez Statistique Canada et professeur à Harvard, avait basé ses projections sur ce phénomène. Il s’est trompé: le baby-boom a culminé en 1959 avec 400 000 naissances, un sommet jamais égalé depuis. La fécondité est sous le seuil de remplacement depuis 50 ans.»

«En démographie», poursuit Alain Bélanger, «il faut tenir compte des naissances, des décès et de l’immigration. Or, le taux de croissance des anglophones est plus rapide que celui des francophones, essentiellement à cause de l’immigration.

Montréal

Actuellement, 90% de la population hors Montréal est de langue maternelle française. Pour maintenir ce ratio, il faut que la deuxième génération d’allophones s’intègre dans une proportion de 9 pour 1.»

M. Bélanger explique que l’indice de continuité linguistique (le nombre de personnes parlant français à la maison, divisé par le nombre de personnes de langue maternelle française) se situait à 1,03 pour le français en 2016. Pour l’anglais, c’était 1,3.

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«Selon l’indice de continuité linguistique, 3% plus d’allophones optaient pour le français, comparativement à 30% pour l’anglais en 2016», ajoute-t-il. «Ça confirme le déclin du français, mais de manière très relative.»

Peut-on inverser la tendance? «L’attrait de l’anglais est très fort dans le contexte actuel, notamment chez les jeunes. Beaucoup d’immigrants et même des francophones fréquentent les cégeps anglophones. C’est là que se forment les couples», rappelle M. Bélanger.

Auteurs

  • Stéphane Desjardins

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

  • Agence Science-Presse

    Média à but non lucratif basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada.

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