Le Diefenbunker près d’Ottawa: la Guerre froide 90 pieds sous terre

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Publié 04/11/2008 par Magdaline Boutros

À 35 km d’Ottawa, 90 pieds sous terre se trouve l’un des rares vestiges de la Guerre froide conservé en sol canadien. Bien qu’ouvert au public depuis maintenant dix ans, peu de Canadiens connaissent l’existence du Diefenbunker, véritable labyrinthe de 368 pièces, réparties sur quatre étages. Pourtant, c’est là que le gouvernement et sa garde rapprochée aurait trouvé refuge en cas d’attaque nucléaire.

Construit dans le plus grand secret au coût de 22 millions $ entre 1959 et 1961 dans la petite municipalité de Carp, le bunker n’a été fermé par le gouvernement canadien qu’en 1994. Déclaré «site hérité de la Guerre froide le plus important au Canada», ce lieu inusité nous plonge dans un univers où la menace d’une confrontation nucléaire entre les États-Unis et l’URSS a été plus tangible que nulle part ailleurs au pays.

La visite débute dans l’immense couloir anti-souffle de 378 pieds bâti en surface pour canaliser l’énergie nucléaire et ainsi protéger la porte blindée donnant accès au bunker. Après avoir franchi les douches de décontamination, débute la découverte d’un vaste réseau souterrain qui aurait pu accueillir 535 personnes triées sur le volet, pendant 30 jours, et dont l’incommensurable tâche aurait été de reconstruire le pays. L’abri aurait en théorie pu résister à une attaque nucléaire de 5 mégatonnes, soit 250 fois plus puissante que celles qui ont frappées le Japon à Hiroshima et Nagasaki en 1945. L’histoire ne nous révélera cependant jamais si la structure aurait pu résister à un tel impact…

Comme au cinéma

Tout du bunker semble toutefois avoir été pensé avec minutie, la réalité flirtant plus que jamais avec la science-fiction.

La machinerie et la plomberie reposent sur un système de ressorts et de tuyaux flexibles qui aurait pu absorber le choc d’une explosion sans endommager l’équipement. Les planchers et les colonnes sont garnis de lignes noires et blanches, créant l’impression d’espaces moins exigus. Sans oublier la salle d’isolement, où les pensionnaires souffrant de claustrophobie auraient pu être confinés le temps de reprendre leur esprit.

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La fameuse war room est fidèle à tout ce qu’on a pu voir au cinéma. Au tour de la mythique table rectangulaire, le Gouverneur Général, le Premier ministre, les ministres influents et les représentants de l’armée auraient mis en place un plan d’urgence. Des cartes géantes tapissant les murs d’une pièce contiguë auraient permis de déterminer l’ampleur de la catastrophe. Et comme dans les meilleurs films hollywoodiens, des caméras vidéo juchées au plafond étaient en place pour pouvoir diffuser des messages à la nation du plus profond du bunker.

Au dernier sous-sol se trouve la voûte de la Banque du Canada. Protégé par une porte blindée pesant plus de 10 tonnes (plus épaisse et plus lourde que celle qui protégeait l’entrée du bunker… construite celle-là pour protéger les humains!), ce coffre-fort géant a été construit pour accueillir la réserve d’or du Canada.

Mais tout comme le bunker, la voûte n’a jamais été utilisée. La Banque n’entrevit la possibilité d’y recourir que lors de la crise des missiles à Cuba en 1963. Selon la légende, le train contenant les lingots d’or était prêt à partir d’Ottawa lorsque la Banque décida de garder prêt d’elle son avoir. La Banque abandonna la chambre forte lorsque l’or perdit son statut d’étalon monétaire international en 1971.

Dévoilé par un journaliste

L’existence du bunker a été dévoilée le 11 septembre 1961 par George Brimmell, un journaliste torontois du défunt Toronto Telegram. Comme on peut l’imaginer, c’est dans le plus grand secret que le lieu de refuge du gouvernement avait été planifié. Même les ouvriers ne connaissaient pas la nature exacte du chantier, croyant qu’il s’agissait d’une station de communication expérimentale. Investiguant l’étrange projet, Brimmell décida de louer un avion pour survoler les lieux. C’est en voyant 78 toilettes s’engouffrer sous terre que le journaliste eut la puce à l’oreille. Le scoop mit évidemment le gouvernement en furie, ce qui ne l’empêcha pas de continuer d’opérer les lieux (environ 120 soldats y étaient basés en tout temps jusqu’en 1994). C’est d’ailleurs Brimmell qui donna le surnom de Diefenbunker à l’abri nucléaire, faisant ainsi un habile clin d’oeil au premier ministre de l’époque.

Pas de Diefenbaker au Diefenbunker

L’ironie du sort a toutefois voulu que le premier ministre John Diefenbaker ne mette jamais les pieds dans le bun-ker qu’il a commandé et qui porte son nom. Froissé par le fait que l’accès aux lieux ait été refusé à sa femme, pour cause de divulgation d’informations top secrètes, le premier ministre décida de boycotter le projet qui coûta plus de 22 millions $ aux contribuables de l’époque. Le seul premier ministre qui mit les pieds au bunker fut Pierre Elliott Trudeau. Et selon les ragots de l’époque, c’est la réputation des cuisines qui attira le premier ministre à aller y luncher!

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Denis Lortie : est-ce le bunker qui l’a rendu fou?

Les anecdotes ne sont toutefois pas que légères 90 pieds sous terre. Au cours de la visite guidée, on apprend que le soldat Denis Lortie, qui tua trois personnes à l’Assemblée nationale en 1984, était en service dans le bunker. C’est dans la réserve de munitions et d’armes des lieux qu’il se servit avant de rouler 450 km vers Québec et d’ouvrir le feu sur le personnel de l’Assemblée nationale.

Plusieurs mesures ont par la suite été adoptées par l’armée pour éviter la répétition d’un tel drame. Les munitions et les armes ne sont plus stockées dans un même lieu. Et surtout, la durée maximale d’une affectation au bunker a été fixée à 30 jours. Lortie était dans l’abri souterrain depuis 3 mois lorsqu’il commit l’impensable. Le stress psychologique aurait-il eu raison de son équilibre mental?

Une quarantaine d’abris dans le pays

Le programme des abris nucléaires a été aboli en 1994 par le ministère de la Défense. En tout, une quarantaine de bunkers, de plus petite taille, ont été construits à travers le pays. L’abri d’Ottawa est le plus vaste et le plus élaboré de tous avec ses 368 pièces. Il fut gardé en opération par les Forces armées pendant 33 ans à titre de quartier général d’urgence du gouvernement du Canada.

Un autre abri a été converti en musée en Nouvelle-Écosse. Certains bunkers ont été détruits, d’autres vendus. En Alberta, un abri aurait été cédé à un intermédiaire pour ensuite se retrouver entre les mains des Hells Angels. Le gouvernement a tôt fait de le racheter à fort prix (2 millions $)… et décida de détruire les autres bunkers plutôt que d’offrir une planque hors pair aux réseaux criminels!

En plus d’une visite des lieux, le Diefenbunker propose plusieurs petites expositions sur la Guerre froide (certaines sont uniquement en anglais). Ce vestige méconnu de la Guerre froide saura sûrement profiter du 10e anniversaire de l’ouverture des lieux au public, célébré cette année, pour séduire davantage d’amateurs d’histoire et de politique. On ne saurait trouver un lieu au Canada où l’on saisit de manière aussi tangible à quel point la menace nucléaire était vive et la paranoïa, ambiante, il y a quelques dizaines d’années encore.

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Les réservations sont obligatoires pour s’inscrire à une visite guidée. L’horaire et les tarifs sont disponibles à l’adresse www.diefenbunker.ca ou par téléphone au 1-800-409-1965.

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