Le Diefenbunker à Ottawa: vestige sous-terrain de la Guerre froide

Diefenbunker, Guerre froide
La porte de la chambre forte de la Banque du Canada aménagé au dernier sous-sol du Diefenbunker et destiné à entreposer les réserves d’or du pays en cas d’attaque nucléaire. Photo: Wikimedia Commons, Attribution-Share Alike 2.0 Generic
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Publié 04/02/2024 par Marc Poirier

Ça vous dirait de louer un espace à quelque 25 mètres sous terre pour une réunion ou une réception? Et tout ça à l’abri des bombes nucléaires? Le Diefenbunker est pour vous! Vous pouvez réserver la salle du Cabinet, le mess des officiers ou, pourquoi pas, la chambre forte, le tout à l’état presque neuf. Service de traiteur en sus!

Le Diefenbunker est un grand complexe sous-terrain qui devait servir d’abri nucléaire aux dirigeants du Canada – juste au cas. Il a été construit au début des années 1960, en pleine Guerre froide.

Le site choisi se trouve sous les terres d’une ancienne ferme dans la localité de Carp, située à une trentaine de kilomètres à l’Ouest d’Ottawa, aujourd’hui incluse dans l’agglomération de la capitale nationale.

Les bombes ne sont jamais venues. Le premier ministre canadien John Diefenbaker – d’où le surnom de Diefenbunker – qui en avait ordonné la construction, ne l’a même jamais visité.

Diefenbunker
John Diefenbaker, alors qu’il était premier ministre du Canada, 1960. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

La Guerre froide

Vers la fin des années 1950, les tensions entre les pays dits «occidentaux», avec en tête les États-Unis, et les nations communistes, menées par l’Union soviétique, ne cessent de croître. Cette «Guerre froide», comme on l’a appelée, suscite de plus en plus la crainte d’un conflit nucléaire.

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En réponse à cette menace, plusieurs pays construisent des bunkers pour fournir aux dirigeants un abri sûr qui leur permettra de sauver leur peau… autrement dit de continuer à gérer le pays. Ou les deux.

Et Diefenbaker créa le Diefenbunker

Le Canada n’est pas en reste. En 1958, le premier ministre John Diefenbaker lance la construction d’une cinquantaine d’abris nucléaires aux quatre coins du pays.

Au public, on présente le tout comme un «système fédéral décentralisé de gouvernement d’urgence avec des éléments centraux, régionaux et locaux». La langue de bois ne date pas d’hier…

Le projet est nommé «Centre expérimental des transmissions de l’armée».

Bref, le gouvernement souhaite garder ces bunkers ultrasecrets. Mais c’est sans compter la perspicacité et la ténacité d’un journaliste du nom de George Brimmell, du Toronto Evening Telegram, un journal aujourd’hui disparu.

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Guerre froide
Difficile de deviner de la surface qu’un énorme bunker se trouve sous terre. Photo: Dennis Jarvis, Wikimedia Commons, Share Alike 2.0

78 toilettes

George Brimmell trouve suspects les travaux de construction qui se déroulent à Carp. Il pose des questions aux autorités, mais n’obtient que des réponses évasives. On est muets comme une carpe.

Le journaliste décide de survoler le site en avion. Il aperçoit 78 toilettes qui se font engouffrer sous terre. Après avoir gratté un peu, Brimmell découvre la véritable nature du projet… et dévoile le tout dans son journal en septembre 1961. Ah, les journalistes! Ils trouvent toujours le moyen de foutre le bordel. Une chance.

Un complexe imposant

La révélation du journal met Diefenbaker en furie. C’est à ça aussi que servent les médias!

La construction du Diefenbunker s’achève en 1961. Elle a nécessité 32 000 verges cubes de béton et 5 000 tonnes d’acier. Le coût: 22 millions $. Une fortune pour l’époque.

L’abri est conçu pour résister à une attaque nucléaire de 5 mégatonnes, soit 250 fois la puissance des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Il a une superficie de plus de 30 000 mètres carrés répartis sur quatre étages et peut accueillir plus de 500 personnes.

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On y retrouve notamment :

  • des bureaux, dont une salle pour le cabinet des ministres du gouvernement fédéral
  • une cellule de crise (war room)
  • de l’équipement pour diffuser des messages à la population
  • une cafétéria
  • des dortoirs
  • des installations médicales et dentaires
  • une morgue (on a tout prévu)
  • des entrepôts à déchets.
Diefenbunker, Guerre froide
Tunnel d’entrée du Diefenbunker. Photo: Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

Le dernier sous-sol abrite une chambre forte dans laquelle la Banque du Canada aurait pu entreposer les réserves d’or du pays.

Le bunker est aussi doté de puits souterrains pouvant fournir jusqu’à 1 800 litres d’eau. Des générateurs ont été aménagés avec de grands réservoirs de carburant pour assurer une alimentation en énergie.

La machinerie et la plomberie étaient protégées par un système de ressorts et de tuyaux flexibles capable de soutenir le choc d’une explosion.

Mais ce bunker n’a jamais servi.

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Pas de bombe, pas de problème!

La seule occasion où l’on a envisagé sérieusement d’envoyer les dirigeants et l’or du pays sous terre est survenue en 1962, lors de la crise des missiles de Cuba.

Par la suite, comme la nature a horreur du vide, le bunker a abrité une station des Forces armées canadiennes, en tant que quartier général d’urgence du gouvernement du Canada.

En 1997, le Diefenbunker est devenu un lieu historique national et le site du Musée canadien de la Guerre froide.

Le nom Diefenbunker perdure encore, et il est aujourd’hui possible de visiter l’endroit pour y voir du matériel, des photographies, des films, des plans, des cartes ainsi que des meubles de l’époque. Pas besoin d’attendre la prochaine attaque!

Diefenbunker
Le bureau du premier ministre à l’intérieur du Diefenbunker. Photo: Jonathon Simister, Wikimedia Commons, Share Alike 3.0 Unported

Une salle d’évasion

Le complexe offre même une activité de simulation de type «salle d’évasion», au cours de laquelle les participants doivent tenter d’arrêter la séquence de lancement d’une bombe et de transmettre une alerte au monde extérieur. Tout pour un dimanche après-midi bien rempli!

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Le bunker a également servi pour le tournage d’une scène dans le film The Sum of All Fears. Eh oui, si aucun premier ministre du Canada – sauf Pierre Elliott Trudeau en 1977 – n’a mis les pieds dans le Diefenbunker, ce n’est pas le cas pour de grands acteurs, comme Morgan Freeman, Ben Affleck et d’autres.

Quant aux autres bunkers prévus à l’origine par Diefenbaker, seulement six seront construits, Pierre Elliot Trudeau ayant mis fin aux autres projets.

Guerre froide
L’une des affiches du programme de sensibilisation du public à la menace nucléaire lors de la guerre froide. Photo: Diefenbunker: Musée canadien de la Guerre froide, 2010A/00A/009C

Val Cartier et Debert

Deux sont encore en activité: celui de la base militaire de Val Cartier, près de Québec, sert de centre de simulation et abrite les bureaux de l’administration de la base, et celui de Debert, non loin de Truro, en Nouvelle-Écosse, a été rénové et est ouvert aux visiteurs.

Pour terminer, un clin d’œil aux Trudeau. Pendant la guerre froide, le gouvernement fédéral a mené une campagne au moyen de dépliants et d’affiches pour encourager la population à se préparer à la possibilité d’une attaque nucléaire, juste au cas. L’un des personnages utilisés pour transmettre ces messages s’appelait… «Justin Case». Ça s’invente pas.

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