Le centenaire de Jean-Jacques

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Publié 17/04/2012 par Gabriel Racle

Voilà un petit livre qui arrive à point nommé, grâce à l’à-propos de l’éditeur, bien évidemment, qui nous propose une réédition de cet ouvrage en cette année au cours de laquelle on célèbre le 300e anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, dont nous reparlerons.

L’auteur

Le centenaire de Jean-Jacques, Infolio éditions, 2012, 128 p, 64 dessins originaux insérés dans le texte, de l’artiste Gustave Wendt, par Louis Dumur. Né près de Genève en 1860, Dumur meurt à Paris en 1933, car dès 1882, c’est dans cette ville qu’il s’installe et poursuit des études à la Sorbonne.

Il fréquente les milieux littéraires, collabore à des revues d’avant-garde comme Le Chat Noir et La Pléiade. Il part en Russie comme précepteur d’une famille aristocratique où il reste cinq ans, puis revient à Paris.

La Première Guerre mondiale le bouleverse, surtout l’attitude d’une partie de l’opinion suisse favorable à l’Allemagne.

Il publie un pamphlet ravageur contre la Suisse, suivi après la guerre par une trilogie romanesque revancharde, avant de s’en prendre aux bolcheviques qui ravagent une Russie qu’il connaît.

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«Ses coups de gueule politico-littéraires expliquent peut-être le fait que son œuvre abondante (dont 17 romans) est aujourd’hui largement oubliée… C’est injuste…

Le centenaire de Jean-Jacques fait partie d’une série de romans dans lesquels il propose une chronique amusée de l’histoire et des mœurs genevoises». (Éditeur)

Et le roman nous présente une double tranche d’histoire, concernant à la fois l’agitation qui secoue les milieux genevois, et un aperçu sur Jean-Jacques Rousseau lui-même, au moins tel que perçu par ses concitoyens. Le tout sur un ton amusé et moqueur qu’amplifient les dessins de Wendt.

Le roman

Pour s’en faire une idée et apprécier le style humoristique de l’auteur, voici les toutes premières lignes de l’histoire, qui créent habilement un suspens insoutenable.

«Deux mois avant, on commença à en parler, d’abord à mots couverts, puis moins furtivement; peu à peu le bruit prit du corps, gonfla, se fit rumeur; la rumeur s’étendit, roula de classe en classe; bientôt, elle envahit tout, attroupa tumultueusement les élèves pendant les récréations et ameuta les régents en conciliabules inquiets devant la loge de Boru, le pipelet; enfin, la nouvelle éclata, précise, formelle et désormais indubitable: le Collège de Genève participerait aux fêtes de Jean-Jacques Rousseau.»

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Et de suite, Dumur nous présente ce qui va causer tout un émoi, tout un problème, pire encore toute une guerre idéologique, guéguerre civile qui va embraser la ville.

«À la maison, quand j’informai de la chose, la tante Bobette s’écria:

— Encore une invention des radicaux!… Qu’est-ce que c’est que ce Jean-Jacques?

Mon père, qui paraissait mieux renseigné, dit:

— C’était un enfant de Genève. Il est allé en France. Il s’est fait catholique; puis il est redevenu protestant; puis, il s’est refait catholique. Il a eu des enfants d’une maîtresse.

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Tante Bobette leva les bras au ciel, puis les rabattit vivement pour appliquer ses mains sur ses oreilles. Mon père tordait gravement sa moustache. »

Le problème de fond

Donc, l’auteur place son récit dans un collège de Genève, qui sert en quelque sorte de prétexte pour décrire l’affrontement des tendances qui parcourent la ville au sujet de ce Jean-Jacques.

Les élèves se divisent en deux camps, les pour et les contre. Faut-il fêter le grand homme, le républicain, le révolutionnaire, père de la démocratie moderne et modèle d’une jeunesse progressiste, ou conspuer l’homme qui a brisé la tradition et foulé aux pieds les vertus anciennes, le pécheur et le père indigne, qui a des enfants d’une maîtresse?

«Ce fut un tapage épouvantable. Les trente-cinq (les pour) déclenchés comme des ressorts firent partir de tous les côtés bras, jambes, tignasses, bérets, vociférations et injures, dans une inextricable et assourdissante mêlée.

Aux cris sauvages des pirates, répondaient les imprécations des aristocrates (les contre); les gestes se croisaient frénétiques… une main jeanjacquarde s’efforçait de tracer en majuscules crayeuses (sur le tableau noir): AU LAC LES ANTIJ.» (p. 58)

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Actualité

Sur un mode caustico-moral, Louis Dumur nous conte l’histoire d’une guerre pacifique, puisque cette confrontation au nom de la morale ne fait pas de morts, sur fond de débat concernant des valeurs universelles.

Ce petit livre, d’un coût modique (9 €) est d’actualité. Sa lecture, distrayante, grâce à la verve moqueuse de l’auteur, prépare à aborder plus sérieusement, les réflexions et les propositions de Jean-Jacques Rousseau lui-même.

Il suscite aussi la réflexion sur les courants qui agitent ou divisent nos sociétés actuelles, nos partis politiques.

La forme change peut-être, mais qu’en est-il du fond? Et pour qui s’intéresse à la littérature en tant que telle, c’est l’occasion de lire un mode d’écriture quelque peu différent du nôtre, mais toujours excellent.

Il serait intéressant que l’éditeur publie d’autres titres de cette série, comme Les Trois demoiselles ou L’École du Dimanche.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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