Le Canadien français travaille toujours à contre-courant

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Publié 26/06/2012 par Paul-François Sylvestre

Benoît Cazabon est un linguiste qui a publié nombre d’articles et contribué à plusieurs livres sur l’enseignement du français langue maternelle. J’ai été un peu surpris d’apprendre qu’il avait publié un roman: Mattawa, à contre-courant. Cette œuvre de fiction ne dresse pas seulement le portrait d’une des premières municipalités du Nouvel-Ontario, elle explore aussi le sens des identités et des appartenances.

Le personnage principal du roman est le docteur Sylvain De Caseneuve qui arrive dans la communauté naissante de Mattawa, en 1889, pour y installer des services hospitaliers. Le roman prend la forme d’un journal que Caseneuve tient de 1889 à 1919.

À son arrivée en Ontario, il note aucune différence entre les Canadiens français de Mattawa et ceux du Québec. La rivière des Outaouais ne semble pas une frontière.

Une partie du roman décrit les démarches pour obtenir une école française à Mattawa à l’aube du Règlement XVII. Une école française ou un député canadien-français, peu importe. «On peut être second dans une grande ville ou dans un petit village.»

«Il semble que les Canadiens français vivaient toujours en seconds, peu importe où se jouait la pièce.» Tel est le sentiment qui anime Caseneuve et que Cazabon fait ressortir tout au long du roman. Son personnage doit sans cesse «travailler à contre-courant», d’où le titre du roman.

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Caseneuve passe son temps à espérer… un village à incorporer, une école à bâtir, une compagne à épouser. «Espérer, c’est arrêter de vivre au présent.»

Il fréquente Jasmine Fiffe, tenancière de l’hôtel où il loge. Il en devient amoureux et finit par l’épouser. Elle lui donne un fils qui ira étudier au Québec juste au moment où le Règlement XVII entre en vigueur (1912).

C’est la première fois que je vois la Commission Tilley-Raynar-McLeod mentionnée dans un roman, voire dans un livre d’histoire. En 1889, elle stipulait que «l’enseignement du français en Ontario ne devait en aucun cas nuire à l’acquisition parfaite de l’anglais». Prélude on ne peut plus clair au Règlement XVII.

Je dois signaler que certaines références dans ce roman ne seront comprises que par des gens nés avant 1950. C’est le cas lorsque l’auteur écrit que le fils de Caseneuve est en avance et pourrait être mis «en syntaxe ou méthode au collège» (en 10e ou 11e année).

La référence au lac Mazenod, elle, ne sera comprise que par ceux qui ont fait leur cours classique chez les Oblats (Mgr de Mazenod est le fondateur de cette congrégation).

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Durant les 29 ans que Caseneuve pratique la médecine à Mattawa, un seul francophone est élu maire (Georges Lamothe, 1907-1915), mais plusieurs Canadiens français siègent comme conseillers.

Francophones et anglophones se côtoient donc, mais ne souscrivent pas à une seule et même identité. Caseneuve résume la situation lorsqu’il affirme vouloir «être moi-même comme un autre, pas comme l’autre! Tu saisis la différence?»

La relation de Sylvain de Caseneuve avec Jasmine Fiffe occupe une bonne partie du roman. C’est l’occasion pour Cazabon de réfléchir sur le phénomène suivant: «Une relation qui n’avance pas recule.» On en déduit qu’une communauté qui n’avance pas recule elle aussi.

Dans son journal, Caseneuve mentionne plusieurs médecins, quelques politiciens et fonctionnaires sans donner leur prénom. Le Dr Hurtubise est Raoul Hurtubise, futur député fédéral de Nipissing, puis sénateur. Le Dr Merchant est Francis Walter Merchant, auteur du rapport sur les écoles françaises-anglaises en 1912, qui conduira à l’imposition du Règlement XVII.

Au sujet de la question scolaire, j’ai noté une savoureuse comparaison qui préfigure déjà un changement à venir…

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Caseneuve écrit dans son journal que «contrôler les écoles sans gérer le système d’éducation, c’est comme tenir un boyau d’incendie qui n’est pas branché à une borne-fontaine.» La gestion scolaire ne sera chose faite qu’en 1997.

Caseneuve se raconte pour se comprendre. Il décortique ses sentiments, analyse ses hauts comme ses bas. «Il faut toujours croire à son intuition, écrit-il. Elle ne ment pas. Seuls les humains se mentent à eux-mêmes et aux autres.»

Benoît Cazabon, Mattawa, à contre-courant, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2012, 206 pages, 21,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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