Le Canada dans l’angle mort des Américains

À la veille des élections du 5 novembre

élections américaines, Club canadien de Toronto, 30 octobre
Au Club canadien de Toronto le 30 octobre: Louise Blais, ancienne ambassadrice adjointe du Canada à l’ONU, l'animatrice Marjorie April, Frances Donald, économiste en chef de la Banque Royale du Canada. Photos: François Bergeron, l-express.ca
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Publié 31/10/2024 par François Bergeron

Les diplomates canadiens doivent cultiver leurs contacts politiques et économiques américains pour éviter d’être oubliés ou tenus pour acquis dans les négociations commerciales et stratégiques.

Même si le Canada est le plus proche allié et partenaire commercial des États-Unis, il fait rarement partie des préoccupations de nos voisins, une superpuissance qui en a déjà plein les bras avec ses propres problèmes et ceux du monde entier.

C’est ce qu’a indiqué Louise Blais, ancienne ambassadrice adjointe du Canada à l’ONU, à la tribune du Club canadien de Toronto ce mercredi 30 octobre, une semaine avant les élections américaines du mardi 5 novembre prochain.

Restons calmes

Comme pour calmer les esprits face aux les impacts sur le Canada du résultat de cette lutte épique entre les Républicains de Donald Trump et les Démocrates de Kamala Harris, Frances Donald, économiste en chef de la Banque Royale du Canada, a rappelé que les débats politiques font rage «en surface» des «fondamentaux» du système économique.

Autrement dit, la société et l’économie fonctionnent relativement indépendamment de ce qui se passe sur la scène politique et au gouvernement. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête si Trump est élu. Ou Harris, car les Démocrates adoptent parfois eux aussi des politiques qui compliquent la vie des Canadiens.

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Les deux conférencières ont affiché une sérénité qui pouvait contraster avec l’angoisse de plusieurs membres de l’auditoire face aux résultats du 5 novembre. Selon les sondages, une grande majorité de Canadiens voteraient pour Harris, ou contre Trump.

élections américaines, Club canadien de Toronto, 30 octobre
Au Club canadien de Toronto le 30 octobre, au Vantage du 150 King Ouest.

Rien que l’économie

Dès le début de la causerie, animée par Marjorie April, de Radio-Canada, elles ont averti qu’elles aborderaient surtout des considérations économiques, du point de vue canadien. Pas de discussions sur l’avortement, les poursuites judiciaires, l’intégrité des élections…

À la fin, une question d’un convive a quand même porté sur la possibilité d’une guerre civile ou de violences si Trump perdait cette élection présidentielle. «Ça ne peut pas être exclu», a-t-on répondu.

Des Républicains sont parlables

Louise Blais, qui a vécu plusieurs années dans le Sud des États-Unis, affirme que, malgré la réthorique incendiaire de Trump, la plupart des élus républicains sont responsables et «parlables».

Elle présente même «l’indiscipline» de l’administration Trump, passée et hypothétique, comme un avantage pour le Canada, qui peut travailler à influencer la Maison-Blanche et le Congrès quand des projets de loi nuisent aux intérêts canadiens.

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Les Démocrates, au contraire, ont tendance à présenter des projets de loi «ficelé» en secret, difficilement amendables. Le premier geste de Joe Biden nouvellement assermenté, au début de 2021, a d’ailleurs été d’annuler un gros projet de pipeline de l’Alberta à la Louisiane, et de renforcer plusieurs mesures «buy America» protectionnistes.

Engagements plus ou moins fermes

Frances Donald, qui a participé à de nombreuses réunions d’experts cherchant à anticiper les décisions du prochain gouvernement américain, estime aussi «qu’il faut prendre Trump au sérieux, mais on ne doit pas le prendre au mot».

On sait que Trump jappe plus fort qu’il ne mord: certaines de ses propositions sont des bases de négociation pour obtenir des concessions, plutôt que des engagements fermes.

«J’écoutais un discours de Trump», raconte Frances Donald. «Il mentionne des tarifs de 10%. J’écris 10%. Puis il dit 30%. Je raie 10% et je note 30%. Après, il lance 60%…»

Immigration

On entend ça aussi sur la déportation des immigrants entrés illégalement aux États-Unis: on va en déporter 5 millions, non plutôt 15 millions, finalement ça pourrait être 35 millions…

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Ce qui est fort probable, croient cependant les deux conférencières, c’est que plusieurs de ces immigrants menacés de renvoi tenteront de se réfugier au Canada.

Or, la bureaucratie canadienne a déjà de la difficulté à traiter l’immigration actuelle, remarquent-elles, alors que notre économie a bel et bien besoin des nouveaux arrivants.

Frances Donald souligne que n’importe quels tarifs frappant les importations (canadiennes entre autres, si nous ne réussissons pas à obtenir une exemption) fouetteraient l’inflation la première année… puis provoqueraient de la déflation la deuxième année, puisque les consommateurs américains se serreraient la ceinture.

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Louise Blais, ancienne ambassadrice adjointe du Canada à l’ONU, l’animatrice Marjorie April, Frances Donald, économiste en chef de la Banque Royale du Canada.

Le Canada a une réputation

Par ailleurs, la diplomate a critiqué l’impréparation du gouvernement canadien face aux aléas de la politique américaine.

Pire, aux yeux de Louise Blais, «le Canada a une réputation (méritée) de pays qui ne respecte pas ses engagements». C’est le cas notamment sur la contribution à l’OTAN, un irritant dans les conversations canado-américaines.

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L’économiste, elle, a dénoncé notre faible productivité comparée à celle des Américains, due notamment à notre «économie de succursales» de grandes entreprises dont les sièges sociaux sont aux États-Unis. «On a le plus grand écart de productivité avec les Américains de toute notre histoire.»

Démondialisation

Mais Frances Donald n’est pas partisane d’une plus grande «diversification» des partenaires économiques du Canada. Nous devrions plutôt jouer à fond la carte de la proximité de nos voisins du Sud, notamment pour exporter nos ressources comme le bois et le pétrole, dit-elle.

Elle remarque que depuis le Brexit en 2016, on assiste à une certaine «démondialisation» et la création ou la réaffirmation de «blocs régionaux». La dépendance du Canada envers les États-Unis va donc augmenter… Dans un tel contexte, conclut-elle, «je préfère être reliée aux États-Unis» qu’à l’Europe ou à l’Asie.

Après tout, géographiquement, le Canada est bordé par trois océans… et les États-Unis. C’est déterminant.

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

  • l-express.ca

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