L’Autodictionnaire Zola: original et passionnant

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Publié 11/12/2012 par Pierre Léon

Autodictionnaire Zola. Ce tout nouvel ouvrage est un régal. Son auteur est bien connu, particulièrement à Toronto, où il a laissé le souvenir d’un critique littéraire brillant et d’un remarquable enseignant. Il a été l’instigateur de colloques sur les problèmes de l’analyse textuelle, l’analyse du discours et bien d’autres sur le thème général de la linguistique et de la littérature moderne. Esprit vif, toujours aux aguets des dernières recherches, Henri Mitterand a une capacité de travail époustouflante. Il a produit des centaines d’articles, préfaces, éditions critiques et il a une passion: Émile Zola.

Il en a analysé toute l’œuvre en une série d’ouvrages qui sont un monument de littérature conçue comme véritable science humaine, où rien n’est laissé au hasard.

Chaque analyse est étayée de documents précis. De plus, HenriMitterand est un esthète. Ses présentations sont joliment faites et son écriture a l’élégance de celle de Maupassant – autre passion.

Une nouvelle mode

Son dernier ouvrage, Autodictionnaire Zola, est de la même veine que les précédents. Quel plaisir de découvrir un livre aussi original! Mitterand a sélectionné 1500 mots parmi les milliers que comporte l’œuvre de Zola.

Un tel choix est forcément subjectif. Mais ce serait mal connaître les talents de judicieux critique littéraire de Mitterand analyste de Zola, de A jusqu’à Z!

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La présentation du livre, intitulée «Épuiser la vie», est dense et claire (pp.3-77). Et l’ouvrage se termine par une copieuse Annexe (pp.682-769) qui comprend les incipits des Rougon-Macquart, la liste des amis de Zola, suivie de celle de ses œuvres, un rappel historique, ainsi que les réponses de Zola à un questionnaire indiscret. Je n’en cite que quelques-unes :

– La qualité que je préfère chez un homme: la bonté
– La qualité que je préfère chez une femme: la tendresse
– Mon occupation préférée: le travail
– Mon rêve de bonheur: ne rien faire
– Quel serait mon plus grand malheur: être dans le doute
– Ce que je voudrais être: toujours bien portant (p.753).

Étrange dictionnaire?

Mais qu’est-ce donc que cet étrange dictionnaire qui n’a que l’ordre alphabétique des ouvrages de ce genre? Puisqu’il s’agit d’une sélection de textes zoliens, on aurait pu s’attendre à ce qu’Henri Mitterand reprenne le classement thématique de sa préface: le littéraire, le chroniqueur, le polémiste, le critique, etc.

Mais il a bien senti qu’il nous priverait ainsi du plaisir de la découverte. C’eut été fragmenter une réalité que l’on découvre au fil des entrées lexicales.

Chacune d’entre elles est éclaircie, voire contredite par le contexte qui l’entoure. Un certain nombre de noms propres des œuvres de Zola, ainsi que ceux d’auteurs littéraires ou artistes ont été retenus. Les jugements de Zola sont souvent percutants et parfois inattendus. Ainsi :

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Balzac

«Et aujourd’hui, quand nous lisons les milliers de pages qu’il a écrites, nous n’y sentons plus souffler qu’un large souffle révolutionnaire. Ses agenouillements devant les trônes et les autels nous semblent une manie que nous lui pardonnons. À genoux, il brûle ce qu’il adore sans s’en apercevoir, » (p. 44).

Barbey d’aurevilly

«Avec Barbey d’Aurevilly, nous avons encore affaire à un catholique exaspéré qui ne semble accepter Dieu que pour avoir la jouissance de croire à Satan. Son titre le dit: Les Diaboliques» (p. 50).

Chateaubriand

«Chateaubriand subissait même à son insu la poussée révolutionnaire du siècle.
était pris entre les croyances chancelantes du siècle qui s’effondrait et les leçons d’analyse exacte que lui donnait la nature. (… ) Si René sanglotait sur son rocher, c’était en somme que René ne croyait plus et qu’il faisait d’inutiles efforts pour croire. » (p.106-107).

Hugo

Il a été un rhétoricien admirable et demeurera le roi indiscuté des poètes lyriques. (…) Mais je le discute comme penseur, éducateur. Non seulement sa philosophie me paraît contradictoire, faite de sentiments et non de vérités; mais encore je la trouve dangereuse, d’une détestable influence sur la génération, conduisant la jeunesse à tous les mensonges du lyrisme, aux détraquements cérébraux de l’exaltation romantique.» (p.314).
On retrouve dans ce dictionnaire de nombreux extraits de l’œuvre zolienne elle-même, comme ces notes sur Nana:

Coup de hanche

«Dès le second acte, tout lui fut permis: se tenir mal en scène, ne pas chanter une note juste, manquer de mémoire, elle n’avait qu’à se tourner et à rire pour enlever les bravos. Quand elle donnait son fameux coup de hanche, l’orchestre s’allumait, une chaleur montait de galerie en galerie, jusqu’au cintre.» (p. 137).

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Cul

«Le sujet philosophique est celui-ci: Toute une société se ruant sur le cul. Une meute derrière une chienne qui n’est pas en chaleur et se moque des chiens. Le poème des désirs du mâle, le grand levier qui remue le monde. Il n’y a que le cul et la religion.» (p. 151).
Observateur impitoyable de la société, voici des notes qui en disent long:

Paysan

«J’ai vécu dans des trous perdus où le curé, pour vivre en paix avec ses ouailles, ne leur parlait jamais du bon Dieu. L’église reste vide le dimanche et si on laisse le prêtre faire les baptêmes, les mariages, les naissances, ce n’est qu’en discutant ses prix et en lui mettant vingt fois le marché à la main. Les paysans sont avant tout des sceptiques et des indifférents. » (p.486).

Prêtre

«La femme aux mains des prêtres reçoit toute une éducation nerveuse. Cette machine délicate, cet organisme souple et ardent, au lieu d’être sagement équilibré, est ébranlés à toute heure par les secousses de la religion. On met en elle les épouvantes les plus farouches. On la traîne dans des histoires de sang et des extases de volupté. Après lui avoir défendu l’amour, on la donne à Jésus, on la fiance à un amant divin.
Qu’elle baise la croix, qu’elle sente dans sa chair toutes les pointes d’un désir qu’elle ne pourra jamais contenter. Elle sera sainte Thérèse pour ne pas être la Vanozza. » (p.518).

Ouvriers

«Les ouvriers se séparaient, se perdaient par groupes au fond de ces trous noirs. (…) Un par un, ils allaient, ils allaient toujours, sans parler, avec les petites flammes des lampes» (p. 468).
Il faudrait tout citer pour retrouver les multiples aspects de l’homme, Zola, de son rôle de défenseur des libertés, de la justice, critique impitoyable des institutions religieuses, politiques, de l’armée et aussi de son immense talent littéraire.
Mais c’est à vous, lectrices et lecteurs de courir à la découverte de cet original dictionnaire, présenté de manière impeccable par son éditeur*.

*Paris, Omnibus, 2012, 770p. Henri Mitterand est actuellement Professeur Émérite à l’université de Paris III et à Columbia University (NY).

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