Près de 70% de la population mondiale vit en ville et une personne sur cinq vit dans une métropole de plus d’un million d’habitants.
À l’aube du 375e anniversaire de Montréal, le titulaire de la Chaire UNESCO en paysage et environnement de l’Université de Montréal (CUPEUM), Philippe Poullaouec-Gonidec, qui vient de remporter le 1er prix interaméricain d’innovation éducative de l’Organisation universitaire interaméricaine, nous parle de design urbain collaboratif et de l’urbanisation effrénée de la planète.
Que vient souligner ce prix?
L’implication de jeunes urbanistes dans des activités de design urbain pour différentes villes du monde. Il s’agit d’une activité pédagogique développée à la Chaire UNESCO en paysage et environnement — le projet d’ateliers WAT_UNESCO — pour faire dialoguer différentes visions de l’urbanisme et inciter au partage des savoirs sur le devenir des villes.
Il s’agit donc d’une réflexion transdisciplinaire internationale sur l’aménagement urbain, dans une perspective de développement durable. Et c’est également un concours d’idées pour les étudiants et un modèle d’apprentissage collaboratif.
Ces ateliers WAT_UNESCO, de quoi s’agit-il?
C’est une aventure remarquable: la rencontre d’une quarantaine d’étudiants de nombreuses régions du monde — Maghreb, Amérique du Nord, Asie, etc.
Durant plus d’une semaine, différentes équipes d’urbanistes constituées d’étudiants de tous les pays vont travailler pour illustrer leur vision d’aménagement urbain. Chacun arrive avec son regard, son savoir, sa culture. Cette rencontre va générer, en images et en mots, une stratégie pour améliorer une zone délaissée ou s’attaquer à un problème d’aménagement.
Ces 10-12 visions seront léguées à la ville, comme autant d’outils devant la mener à un plan d’urbanisme qui tiendra compte des enjeux sociaux. Cela peut engendrer aussi une charte des territoires et des paysages, comme à Madhia (Tunisie).
Le premier atelier WAT_UNESCO s’est déroulé à Marrakech en 2004, le dernier à Binzhou (Chine) en 2014.
Pourquoi se mettre ensemble pour imaginer le futur des villes?
Dans une époque d’information instantanée, nous privilégions le contact humain et la réflexion. Les échanges se font un calque et un crayon à la main avec des étudiants plus habitués à des environnements virtuels.
Les échanges complexes aident à partager des conceptions du monde et de l’aménagement très différents. Ainsi, nous n’avons pas la même manière de faire et de penser qu’en Asie où le Feng shui importe tant.
Mais les cultures peuvent se rejoindre à la suite de discussions comme à Marrakech en 2004, où les musulmans se sont questionnés sur la notion de paysage, un concept très occidental associé à des valeurs sociales et culturelles du territoire. Les ajustements et le temps de réflexion sont parfois nécessaires, ce que nous ne pourrions pas faire à distance.
Collaborer, c’est aussi entamer le dialogue sur des enjeux urbains semblables d’une ville à l’autre?
Qu’elle soit du Nord ou du Sud, cette urbanisation effrénée apporte son lot de problèmes, dont la pollution. En Chine, les villes sont très bétonnées, très actives dans leur développement mais ce n’est pas durable.
La ville se reconstruit et se transforme sans cesse. Cela fait partie de la culture. Cette conception particulière du patrimoine se transpose dans l’urbanisation et l’art d’habiter la ville.
C’est très différent en Syrie, un pays où la diplomatie n’est pas facile, mais où le développement urbain peut être un levier de la démocratie.
Comment considérez-vous Montréal, à la veille de ses 375 ans?
Je suis un néo-Montréalais depuis 30 ans. C’est une métropole où l’on sent bien que les quartiers sont autant de villages. Et qui donne l’impression que la ville s’étend à l’infini.
Il coexiste une double impression, celle d’une ville globalement assez laide mais belle à petite échelle: l’échelle du quotidien avec ses rues bordées d’arbres et ses aménagements de proximité.
Le chantier «Montréal, ville UNESCO de design» (2008-2013) a montré l’existence de nombreux talents et de créativité en matière de design. Montréal se place dans la cour des grands avec une vision originale, particulièrement dans la jeune génération.
375 ans, c’est tellement jeune par rapport à une ville comme Rome. Montréal est donc moins empêtrée dans l’histoire et il est possible, lorsqu’on gratte le sol, de percevoir la matrice originelle du site. Son substrat historique, plus horizontal que vertical, se déplace avec son ouverture au monde et ses mouvements migratoires. Pourtant cela reste un lieu calme, une ville où il fait bon vivre.