La tourneuse de pages: simple et efficace, mais…

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Publié 03/04/2007 par Yann Buxeda

Avec La tourneuse de pages, Denis Dercourt signe son cinquième film. Dans la lignée de ses précédents travaux, il propose une histoire très calibrée, parfois un peu rigide, qui bénéficie néanmoins d’un casting irréprochable. Présenté au Festival de Cannes 2006 et au dernier Festival international du film de Toronto, La Tourneuse de pages sera sur les écrans torontois à partir du 6 avril.

Mélanie, jeune pianiste d’une douzaine d’années, est particulièrement douée. Mais tandis qu’elle passe le concours pour intégrer le conservatoire, l’attitude désobligeante de la présidente du jury, elle-même pianiste renommée, la déstabilise totalement. Suite à cet échec, elle range au placard ses partitions et ses espoirs. Mais Mélanie n’a pas pour autant tourné la page.

Dix ans plus tard, elle intègre en tant que stagiaire un grand cabinet d’avocats, dirigé par un brillant homme de loi, M. Fouchécourt, qui s’avère être le mari de la fameuse pianiste du concours. Mélanie, qui excelle dans les tâches qu’elle effectue au sein de son stage, se fait remarquer de son patron, et elle obtient de lui qu’elle s’occupe du gardiennage de son fils. Elle retrouve ainsi Mme Fouchécourt, avec qui le courant passe à merveille, d’autant plus que la pianiste n’a aucun souvenir de cette jeune élève. Mélanie, qui fait preuve de rares qualités musicales, gagne la confiance de Mme Fouchécourt et devient même sa tourneuse de pages.

Denis Dercourt a tout du réalisateur atypique, sensible à son sujet. Et pour cause! Musicien de formation, le réalisateur français n’en est pas à son premier scénario en lien direct avec la musique. Déjà, avec Les Cachetonneurs (1999) et Mes enfants ne sont pas comme les autres (2003), la musique était au coeur de son univers. C’est donc dans la lignée de son travail que ce long-métrage a été tourné.

Si le sujet abordé est typique de la patte de Dercourt, le visuel l’est également. Camaïeu de couleurs fades et ternes, La tourneuse de pages se déroule au sein d’un monochrome bleuté qui colle bien à l’atmosphère du film et à son accompagnement sonore, pour l’occasion plus qu’essentiel. En résulte un ensemble très propre, voire trop. Il manque à La tourneuse de pages ce petit grain de folie, de spontanéité. Un peu à la manière d’un pianiste de génie qui aurait oublié les ficelles de l’improvisation.

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Du génie il est par contre presque question à travers la performance de Déborah François. La jeune actrice, révélée en 2005 dans L’enfant, des frères Dardenne, épouse à merveille le costume d’une jeune fille rongée par son passé. Derrière une innocente discrétion factice, elle captive et subjugue au fur et à mesure que les pièces de son échiquier se mettent en place. En face, Catherine Frot, habituellement plus encline à se soumettre aux rôles humoristiques, apporte une réplique fraîche au talent de la jeune fille. Elle exécute son rôle de pianiste brisée sans fausses notes, froide et élitiste en apparence, troublée et perdue en réalité.

Les deux femmes portent le scénario avec une maîtrise surprenante. L’intrigue, justement, est globalement bien menée malgré un aspect un peu simpliste. Dercourt joue sur cette simplicité pour entretenir un flou, notamment sur l’évolution du stratagème de Mélanie au fur et à mesure que les sentiments entrent en ligne de compte. Au fil de l’histoire – par ailleurs bien équilibrée – le film fait ressortir de plus en plus le penchant machiavélique de son héroïne.

Si l’histoire profite sans conteste de cette performance, son côté glacial si particulier la fait pourtant trop souvent sombrer dans la rigidité. Les évidences sont légion et l’effet de surprise absent. Le tout sonne à la perfection et s’enchaîne comme les notes sur du papier à musique si bien que l’on devine généralement la prochaine étape avant même qu’elle soit annoncée.

Un défaut dû en grande partie aux nombreux stéréotypes dans lequel le scénario est emprisonné. Le concept embourgeoisé de la lutte des classes y est trop frappant pour y être réaliste. La jeune fille de boucher de province qui monte en région parisienne et s’adonne d’un coup aux plaisirs du tennis et des balades dans les domaines princiers de son hôte boursouflé d’argent peine à convaincre et sent même parfois le renfermé. Hugo avait fait de Cosette une bien meilleure ambassadrice du «petit peuple» en son temps.

Et puis, La tourneuse de pages souffre d’un autre défaut, cette fois récurrent au genre et plus globalement au cinéma moderne français: c’est lent, terriblement lent…

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Au final, ce drame psychologique ressemble malheureusement trop à un Chabrol mal assumé, ce qui fait que son auteur évite certes certains écueils du genre, mais pour mieux tomber dans d’autres que le mimétisme total aurait pu lui faire éviter.

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