La philosophie est-elle soluble dans la science?

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Publié 12/10/2016 par Agence Science-Presse

Mettre la science au cœur du questionnement philosophique, c’est l’objectif de la nouvelle Chaire de recherche du Canada en philosophie des sciences de la vie, qui ne vise rien de moins que de faire la lumière sur les nombreuses questions philosophiques que suscite la pratique des sciences.

Alors que son laboratoire de philosophie des sciences vient d’ouvrir ses portes à l’Université du Québec à Montréal, nous avons demandé à Christophe Malaterre de nous présenter les dessous de cette Chaire en philosophie des sciences de la vie, dont il est titulaire.

Pourquoi philosopher sur les sciences?

La philosophie des sciences – et ici, des sciences de la vie — forme une des branches de la philosophie, au même titre que l’histoire de la philosophie ancienne ou moderne, mais plutôt de tradition analytique.

Pour elle, les sciences représentent l’accès aux connaissances fiables sur le monde. Cette branche se déploie en trois volets:

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Le premier est analytique et porte sur le discours et les productions scientifiques afin de mieux les comprendre.

Le second volet, plutôt critique, décortique et questionne les fondements de manière théorique.

Le dernier, plus synthétique et de tradition empirique, cherche à prendre du recul avec la production scientifique et à se positionner en dialogue avec les sciences. C’est celui qui s’intéresse aux notions d’espace-temps, de vie, d’origine.

Comment stimuler les interactions entre les philosophes et les scientifiques?

De manière très concrète, nous créons des zones de dialogue entre les étudiants en philosophie et les étudiants en science. Les premiers n’ont jamais mis les pieds dans un laboratoire, alors nous les y amenons pour rendre les choses concrètes.

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Nous proposons aux jeunes scientifiques des activités réflectives. Nous les réunissons autour de cas scientifiques concrets, comme la mesure de la charge d’un électron (Expérience de Millikan), pour s’interroger sur l’entité réelle de l’électron.

La récente table ronde «Naturaliser en science» a réuni dernièrement des philosophes des sciences pour échanger en compagnie d’étudiants; nous proposons aussi des ateliers pour réunir philosophes et scientifiques autour d’une question et de concepts qu’ils manipulent – le prochain portera sur les fondements conceptuels de la biodiversité fonctionnelle.

À quoi ressemble un laboratoire de philosophie des sciences?

Cela ressemble à des bureaux avec une bibliothèque, une salle de vidéoconférence et des postes internet. Nous avons voulu créer un espace de travail pour les étudiants et les chercheurs invités, car nous en manquions.

Pour faire de la recherche, nous avons besoin de postes de travail connectés, mais aussi de lieux pour se parler. Nous avons aujourd’hui un «espace philo», un lieu ouvert polyvalent destiné à stimuler des interactions entre chercheurs et là où peuvent se tenir des rencontres et des conférences informelles.

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Quels sont les thèmes de recherche explorés par votre chaire?

La programmation de recherche de notre chaire en philosophie des sciences de la vie s’articule autour de trois axes: l’explication scientifique, la biodiversité et les principes de l’évolution chimique.

Le premier axe vise à s’interroger sur les différents modèles scientifiques et mécanistes (problématiques naturalistes) développés depuis le milieu du 20e siècle, qui fonctionnent encore et sont encore pertinents aujourd’hui.

Le second s’applique à la notion de biodiversité et s’interroge sur son entité abstraite et multicomposite, particulièrement à une époque où le concept désigne différents objets biologiques (biodiversité microbienne, colonies bactériennes, virus).

Le dernier s’intéresse à la transition de l’inerte au vivant. Quel est le processus d’allumage – ou les différentes étincelles – qui est parvenu à donner la vie? Autrement dit, comment sommes-nous passés d’une Terre primitive aux conditions prébiotiques susceptibles d’engendrer les premières molécules simples qui se complexifieront pour donner les premiers organismes vivants? Un champ d’études qui me passionne.

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Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la philosophie?

J’ai eu un parcours scientifique généraliste, de l’École centrale au MIT où j’ai découvert la philosophie des sciences et j’ai adoré – j’ai fait un DEA en histoire et philosophie des sciences et un doctorat en philosophie, à la Sorbonne (Paris, France).

J’avais aimé mes cours de philosophie au lycée – des cours de philosophie scholastique, sur les grands penseurs – mais en Europe, la philosophie des sciences est moins connue et donc peu valorisée.

La clarté de la philosophie analytique nord-américaine se prête bien à sa mise en œuvre dans le domaine scientifique. Il y a de grandes figures inspirantes ici, comme Ian Hacking ou encore la Torontoise Margaret Morrison. C’est un domaine très vivant et stimulant au Canada.

Un optimiste curieux

Quelques questions du questionnaire de Socrate pour mieux connaître le Pr Christophe Malaterre.

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Quels penseurs vous accompagnent?

Une multitude, à commencer par Descartes et sa méthode, puis David Hume et les empiristes et aussi le philosophe des sciences Carl Hempel, qui a essayé de renouer avec la tradition philosophique de dialogue avec la science. Pour tenter de construire une image cohérente et définir notre place dans le monde, il importe d’interroger la science.

La question qui vous tourmente?

Quelle est la durée de vie de l’espèce humaine? C’est intimement lié à la fin de l’Univers, le fait que notre planète va devenir inhabitable et donc que nous avons une durée de vie limitée. Est-ce qu’il n’y aura plus rien après et est-ce que nous tenterons d’envoyer la vie ailleurs? S’interroger sur la finitude de l’espèce humaine m’interpelle fortement.

Ce que vous retenez de votre éducation?

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Lorsqu’on est jeune, on a tendance à voir l’enseignement des sciences comme quelque chose de figé, qui figure dans les livres à apprendre, alors que c’est quelque chose qui se fait, qui est en évolution et auquel on peut tous contribuer. J’ai appris ça sur le tard, au MIT, il ne s’agit pas d’apprendre, mais de faire.

De quelle illusion vous bercez-vous?

Qu’on y arrivera toujours. Je suis un éternel optimiste et je pense toujours qu’il existe des solutions, l’illusion est de croire que c’est valable dans toutes les sphères.

Quelle question aimez-vous poser aux autres?

Je donne plus des recommandations, à mes étudiants ou à mes enfants. Peut-être: est-ce que vous avez vraiment essayé ? Cherchez toujours à être curieux, c’est comme cela que l’on trouve de nouvelles choses. La curiosité est importante pas juste pour résoudre les choses, mais pour trouver de nouveaux problèmes sur lesquels se pencher.

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