La myasthénie grave, une maladie aussi rare que méconnue

Myasthénie grave
Ça ne paraît pas, mais Michèle Sabourin souffre depuis longtemps de myasthénie grave, une maladie invisible. Elle est directrice de la Myasthenia Gravis Society of Canada. Photo: courtoisie
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Publié 11/12/2024 par Soufiane Chakkouche

Il est des maladies chroniques incurables qui se font très discrètes dans la littérature médicale et, par ricochet, demeurent méconnues chez le grand public et même chez les professionnels de la santé. Et pourtant, une fois diagnostiquées, la vie de celles et ceux qui croisent leur chemin s’en trouve bien souvent chamboulée à tous les niveaux. La myasthénie grave est de celles-là.

Microscopie sur la MG.

Sans entrer dans le détail médical, comme son nom d’origine grecque (myasthenia: maladie du muscle) et latine (gravis: grave) l’indique, la myasthénie grave est une maladie neuromusculaire auto-immune chronique qui provoque une fatigue extrême au niveau des muscles dits squelettiques, tels que ceux des yeux, des jambes, de la mâchoire ou de la déglutition.

En d’autres termes, plus les muscles sont sollicités durant la journée, plus la fatigue s’accentue au point, pour certains malades, de ne plus pouvoir garder les yeux ouverts ou de marcher par exemple. Maigre consolation, l’état des muscles s’améliore généralement avec du repos.

Risque de mort

Toutefois, pour les cas les plus sévères, la MG touche également les muscles responsables de la respiration – et par conséquent qu’on ne peut pas reposer –, ce qui peut entraîner le pronostic vital du patient s’il n’est pas pris en charge de manière adéquate et surtout rapidement.

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Myasthénie grave
Le Dr Ario Mirian.

«La gravité de la faiblesse peut varier, allant de symptômes légers et intermittents qui ont un impact minime ou nul sur la vie quotidienne, à une faiblesse sévère nécessitant une prise en charge médicale en unité de soins intensifs», confirme le Dr Ario Mirian, neurologue à Hôpital St Michael’s de Toronto et l’un des rares spécialistes du pays à mener, entre autres sujets de troubles neuromusculaires, des recherches sur la MG.

Maladie rare

Autre spécificité de la MG est sa rareté. En effet, bien qu’il n’existe pas de données précises concernant le nombre de malades dans la province et encore moins à Toronto, l’incidence de cette maladie se situe entre environ 0,5 et 3 cas pour 100 000 habitants, selon le Dr Mirian.

Rapporté au nombre d’habitants de la région du Grand Toronto, cela donnerait entre 37 et 222 personnes seulement atteintes de MG.

Cependant, la modestie de ces chiffres pourrait s’expliquer partiellement par un biais provenant du diagnostic.

Diagnostic tardif

«Il existe un grand problème de diagnostic de la MG. Cela peut prendre un an et plus pour que les gens soient diagnostiqués. Ces derniers ne reçoivent donc pas les soins et souffrent pendant tout ce temps avec un important impact sur leur vie de tous les jours», déplore Michèle Sabourin, directrice de l’association Myasthenia Gravis Society of Canada.

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Cet organisme à but non lucratif est géré par et pour les myasthéniques. Il a d’abord vu le jour à Toronto avant de se développer à l’échelle nationale, au vu des besoins croissants d’information et de sensibilisation.

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Fatigue et douleur sont des symptômes de la myasthénie grave. Photo: iStock.com/curtoicurto

Ce diagnostic tardif, qui parfois n’est posé que quand le malade est admis aux urgences suite à une crise myasthénique sévère, est dû en partie à la nature fluctuante des symptômes, ainsi qu’au fait que ces derniers peuvent imiter les symptômes d’autres affections neuromusculaires ou d’un stress aigu.

Obtenir un diagnostic précis peut s’apparenter au parcours du combattant, incluant un manque d’informations et des retards dans les consultations spécialisées​.

D’après une étude menée par Dystrophie musculaire Canada, «il faut cinq ans pour recevoir un diagnostic après six diagnostics erronés».

Une méconnaissance jusque dans les rangs du personnel de santé

Ces erreurs d’appréciation peuvent également être la conséquence d’un déficit de connaissance sur la maladie chez le grand public, mais aussi chez le personnel de santé.

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«Je pense que la maladie est relativement méconnue du grand public par rapport à d’autres maladies, ce qui n’est pas surprenant pour une affection aussi rare», observe le Dr Ario Mirian.

Pour sa part, Michèle Sabourin estime qu’il y a «encore beaucoup de travail à faire, surtout par rapport aux professionnels de la santé, parce que beaucoup d’entre eux ne sont pas familiers du tout avec cette maladie».

«Par exemple, il y a un monsieur au Nord de l’Ontario qui a été diagnostiqué avec une myasthénie grave. Malgré cela, il a fini aux soins intensifs avec ventilateur, parce qu’on lui a procuré la substance de contraste pour l’IRM. Si les professionnels de la santé avaient été sensibilisés à cette substance qui peut provoquer une crise myasthénique, on aurait pu éviter cette situation.»

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Symptômes et traitements de la myasthénie grave. Photo: iStock.com/Alexander Ryabintsev

L’incompréhension, mère des préjugés

Cette méconnaissance est souvent derrière les jugements ou les préjugés que subissent les malades, comme le souligne la directrice de Myasthenia Gravis Society of Canada, elle-même myasthénique depuis 34 ans.

«Le fait que la MG soit une maladie invisible cause des problèmes au travail comme dans la vie sociale du patient. Aussi, du fait de son caractère fluctuant, on nous prend souvent pour des hypocondriaques, alors qu’on vit dans l’incertitude continuellement à cause de cette inconstance. Psychologiquement c’est très difficile.»

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«À un moment donné lorsque j’étais une jeune femme, j’étais très faible, je pouvais marcher, mais pas pour longtemps parce que mes jambes se fatiguaient vite», raconte-t-elle.

«J’ai donc fini par demander et avoir une autorisation de stationnement pour handicapé. Mais, quand les gens me voyaient sortir de ma voiture, ils me regardaient de travers parce que je n’étais pas en chaise roulante et que je n’avais pas l’air malade ou en détresse.»

Qu’en est-il des francophones?

Dans un tel contexte, il est trivial de deviner que le manque d’information et de sensibilisation est encore plus accentué chez les communautés minoritaires, comme les Franco-Ontariens. D’ailleurs, pour les besoins de cet article, il nous a été impossible de mettre la main sur un neurologue francophone spécialiste de la MG à Toronto.

Myasthénie grave, SIDA VIH Action positive
Marie-Ève Ayotte.

Reste alors le Centre francophone du Grand Toronto (CFGT), qui nous assure par l’intermédiaire de sa directrice des Services de soins primaires, santé mentale et développement de l’enfance, Marie-Ève Ayotte, que «le plus difficile en termes de suivis spécialisés est de trouver des services en français».

«Le CFGT offre les services d’un interprète médical pour accompagner les clients de la clinique médicale aux rendez-vous auprès de spécialistes anglophones, le cas échéant.»

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De son côté, Michèle Sabourin lève le voile sur une prochaine version bilingue du site internet de son association. «Ce projet est très important pour moi en tant que francophone. On veut vraiment connecter avec la communauté francophone à travers le pays pour faciliter l’accessibilité à l’information aux patients de notre communauté»,

Un espoir nommé science

Si le chemin du passé s’avère jonché de carences, le futur semble plus clément et porteur d’espoir pour les malades.

«Je ne suis pas certain d’une « guérison » à proprement parler, mais nous avons réalisé d’énormes progrès dans l’élaboration de nouveaux traitements pour la MG au cours de la dernière décennie environ», explique le Dr Mirian. «Il existe aujourd’hui beaucoup plus d’options pour une grande proportion de patients.»

Plus que cela, le spécialiste espère, «dans un futur proche», être en mesure de mieux comprendre les mécanismes de la maladie, de manière à pouvoir identifier les options thérapeutiques les plus efficaces pour chaque patient, et ce dès son diagnostic.

«Notre objectif est d’utiliser des thérapies permettant aux patients de vivre avec la MG avec peu ou pas de symptômes dans leur vie quotidienne, et ce, de la manière la plus sûre et la plus précoce possible après le diagnostic. Ce serait vraiment formidable si les futures avancées pouvaient nous aider à atteindre cet objectif de manière personnalisée pour chaque patient», souhaite-t-il.

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Quant au niveau politique, là aussi le vent des consciences semble avoir changé. Pour preuve, en 2022, et afin de sensibiliser à cette maladie, l’Assemblée législative de l’Ontario a acté le mois de juin comme étant le Mois de la Myasthénie grave.

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